L'année du sacre pour le 7eme art Sénégalais

Pour la première fois, le Sénégal inscrit son nom au tableau d'honneur du Fespaco en s'adjugeant la plus haute marche avec « Tey-Aujourd'hui » de Alain Gomis et la troisième marche avec « La pirogue » de Moussa Touré. De l'or et du bronze, jamais pays participant à ce grand rendez vous du cinéma n'avait fait une aussi fantastique chevauchée. A l'heure des comptes, le cinéma sénégalais, dont la présence était attestée par 11 films dans différentes sections, retourne au bercail avec un total de 11 trophées et récompenses, même si tous les films ne l'ont pas été.
Sur la piste du stade du 4 aout traversée par le tapis rouge, Moussa Touré d’un pas hardi était monté sur le podium pour recevoir des récompenses avant même l’annonce du palmarès. Voila qui aux yeux des critiques de cinéma lui ouvrait déjà la plus haute marche. Il avait aussi l’air d’y croire avant que l’éclair d’une déception ne l’effleure à l’annonce du Bronze. Le jury avait affiché sa préférence à Tey de Alain Gomis. Ceux qui s’attendaient à voir « La pirogue » l’emporter , pourront toujours emprunter aux wolofs l’adage qui dit : « la fortune n’a point quitté la demeure », pour se consoler.
Le regard troublé à l’annonce du grand prix, Alain Gomis descend du gradin d’un pas rythmé. Il comprime sa joie, ne l’exprime ni avec démesure, ni débordement. C’est plus qu’un rêve pour lui . Dans sa tête pétarade mille feux d’artifice qu’il en oublie de citer au moment des hommages Ndiaye Doss dont c’était la dernière apparition dans Tey. L’émotion trouble l’esprit, c’est bien connu. Alain Gomis a le triomphe modeste pour avoir à l’esprit qu’avant lui, les autres ont travaillé pour ce prix. Il dit en guise de reconnaissance : «Je ne suis que la main qui reçoit mais le corps est représenté par des générations entières de cinéastes sénégalais ». Il rend à ceux qui l’ont précédé dans la profession leur part de mérite et salut le rôle d’aiguillon qu’un Sembéne Ousmane, un Mambetty et un Moussa Touré qui ont joué sur le chemin qu’il a emprunté.
Le film Tey –Aujourd’hui, choisi par le jury que dirigeait la réalisatrice de « Rue Casse nègre », Euzhan Palcy, est un film à plusieurs entrées et dont la prouesse repose sur l’art de raconter une histoire là où n’existe pas d’histoire à raconter, parce que tout ce qui est montré relève de l’ordinaire de la vie. « Tey » peut être vu comme le rêve d’un homme qui, au sortir de son sommeil se met à nous le raconter en action. Ce peut être aussi un homme qui se réveille de sa mort et cherche à comprendre son parcours sur terre puisqu’une journée est une vie. Enfin, ce peut être un homme à qui il reste une journée de vie et qui décide de faire ses adieux, non pas en condamné de mort traumatisé par la mort mais en bonne intelligence avec la mort. Un film-miroir qui nous renvoie à notre propre mort et nous pousse à mieux l’accueillir.
Il y a comme un jeu de poursuite entre « Tey- aujourd’hui » de Alain Gomis et «La Pirogue - Goor Fiit » de Moussa Touré.
Aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC), c’est « La Pirogue » qui avait coiffé au poteau « Tey » et à Ouagadougou, ce fut l’inverse. La Pirogue est un drame qui se vit de l’intérieur avec la présence de la mort qui déploie ses ailes au dessus de la pirogue qui au départ , portait l’espoir des migrants ayant pris place dans ses flancs. Du coup, le spectateur embarque avec, bien qu’ayant les pieds à sec. Il est aussi pris d’émotion dans cette traversée qui mène au désespoir et un rêve qui s’effondre comme château de cartes. Avec ce film, l’on ne peut plus dire : «On n’était pas au courant ou bien on ne savait pas». «Le Président Dia» en est à sa troisième grande récompense dans le genre documentaire. Il obtient le bronze dans sa catégorie. Le film propose un autre lecture des événements de 1962 avec l’embastillement du président du conseil d’alors, Mamadou Dia. Un devoir de mémoire que le retour à ces pages de l’histoire politique du Sénégal.
Au Fespaco , le cinéma sénégalais s’est présenté comme un cinéma d’ une grande diversité aussi bien dans sa thématique que dans son approche . Comme sujet de préoccupation il y avait ( La mort ( Tey), la quête d’un ailleurs ( La pirogue), l’autodestruction ( cette couleur qui me dérange ) de Khady Pouye, l’art de vaincre son handicap ( Moly), relation apaisée avec Dieu ( Accusé de réception) de Djibril . Diversité dans son approche, l’humour, le drame, la réflexion, la mémoire… Toute cette diversité converge vers un seul point, à savoir l’Humain. Tout ce qui se raconte l’est au nom de l’humain pour davantage toucher le public. L’individu est au cœur de l’histoire racontée. Le peuple n’est plus le héros comme le voulait Ousmane Sembéne mais c’est l’individu qui devient le moteur de sa propre histoire. Il y a assurément une mutation.
Une nouvelle génération de cinéastes sénégalais prend place avec un Alain Gomis pour tête de fil et qui aime à se définir comme « le plus jeune des anciens ou le plus vieux des jeunes » .Un cinéma plus réfléchi et pointilleux se dessine avec de nouvelles exigences qui excluent que ce qui vient d’avoir lieu à Ouagadougou ne soit feu de paille. Il est rageant de constater qu’à l’heure de la fête aucune institution de financement public n’existe encore pour soutenir la production cinématographique sénégalaise. Le Fespaco de 2015 avec l’avènement du numérique dans la grande compétition s’ouvre de nouvelles perspectives, osons croire que le Centre Sénégalais de la cinématographie et de l’audiovisuel verra le jour en cette année de triomphe pour le développement du septième art.