L'ARGENT DE WADE, MODE D'EMPLOI
MAMOUR CISSÉ DU PSD-JANT BI SUR L'UTILISATION DES FONDS DE CAMPAGNE DE L'ANCIEN CHEF DE L'ÉTAT

Dans cet entretien accordé à EnQuête hier, le leader du Parti social-démocrate/ Jant bi revient, entre autres sujets, sur ses relations avec Me Wade à la lumière des “dessous sonnants et trébuchants” de la dernière présidentielle qui, comme EnQuête l'avait indiqué il y a quelques jours, semblent l'avoir éloigné de l'ex-chef d'Etat. Ce qu'il réfute. Entretien.
Le vendredi dernier, vous n’avez pu accéder au président Wade, bloqué que vous étiez au portail de son domicile. Vous aviez alors accusé Pape Samba Mboup d’en être l’instigateur. Pouvez-vous revenir sur cet incident ?
Simplement pour dire que cette histoire est derrière nous pour la simple et bonne raison que Pape Samba s’est expliqué. Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est mes relations avec Abdoulaye Wade qui est mon père. Je lui voue une admiration sans borne. Je suis et je demeurai à ses côtés éternellement. Je veux lever cette équivoque : je n’ai aucun problème avec lui. Cet incident, je l’ai minimisé. J’ai pris Pape Samba Mboup au mot, même si par ailleurs c’était un rendez-vous que j’avais calé avec le président Wade.
On peut penser que si Mboup a agi ainsi, c’est sur ordre de Wade.
Wade a bon dos ! Ce n’est pas sur ordre du président. Qu’est-ce qui explique cela ? Il (Pape Samba Mboup) l’a dit : “le président était monté”. Peut-être qu’il était fatigué. Avec le recul, j’accepte la version. Franchement, c’est un événement... (il ne termine pas sa phrase). Je n’ai aucun problème avec le président Wade. Il m’a fait l’honneur de m’avoir reçu au lendemain de sa venue au Sénégal. J’ai été le premier leader allié qu’il a reçu. C’est d’ailleurs Pape Samba Mboup qui m’a appelé. Entretemps, j’ai rencontré le président de la République quatre fois. Donc cela veut dire que je n’ai aucun problème avec lui.
Etes-vous entré en contact avec Wade depuis ?
Je n’ai aucun problème avec le président Wade.
Oui, mais il aurait pu vous contacter après cet incident qu’il a sans doute appris.
Le président Wade est un père. Il ne cesse à chaque fois que de besoin de manifester l’attachement qu’il me porte au même titre que Karim Wade.
On a parlé d’une histoire d’argent qui vous aurait opposé à Wade. C'est vous qui gériez le budget entre les deux tours. Est-ce que...
(Il coupe) Pas au second tour mais au premier tour. C’était un comité de trois personnes : le président du Sénat (Pape Diop), Samuel Sarr et moi-même. C’est au second tour qu’on a scindé les choses (en deux groupes) : le PDS, qui était représenté par Oumar Sarr et Samuel Sarr, et moi qui m’occupais des instructions présidentielles. Le président m’a renouvelé sa confiance jusqu’aux législatives où j’ai eu à participer au comité chargé des sous.
A combien s’élevait votre budget de campagne ?
Je l’ai dit partout, l’autre camp avait dix mille fois plus de sous que nous.
Quel camp ?
L’ancienne opposition qui est maintenant au pouvoir.
On a parlé d’un budget de 7 milliards vous concernant.
Non. En toute bonne foi, on a passé des moments difficiles. Financièrement, on a eu beaucoup tensions de trésorerie.
Comment est-ce possible alors que vous étiez au pouvoir ?
Cela veut dire que le président savait faire la part des choses. La preuve, les gens avaient dit qu’il a pillé la totalité du budget de l’État. Ce n’était pas vrai. Il savait faire la part des choses entre Abdoulaye Wade et l’institution qu’il représentait.
Mais on peut quand même avoir une idée sur le budget de campagne, les montants dépensés...?
(Rire). Je te dis Daouda que le montant était largement en deçà de ce que les gens ont dit. Comprends que xaalis bugul coow (l’argent n’aime pas le bruit). En tout cas, avec mon ami Samuel Sarr, nous avions géré l’argent dans les règles de l’art. C’est la raison pour laquelle le président Wade me renouvelle sa confiance. Ce qui est important, ce n’était pas l’enjeu financier. Tout le monde sait que je n’étais pas du PDS, mais le président m’a fait l’honneur de me faire non pas son argentier, mais son dircab (Directeur de cabinet) où s’assurait l’intérim du secrétaire général du gouvernement. Quand on te donne autant de responsabilités, ce que j’en attends, c’est le waaw goor (l’encouragement). Je savais que le meilleur restait à venir. Donc, je ne pouvais pas avoir des fixations d’argent. C’est nul !
Qu’est-ce qui vous liait à lui au point qu’il vous confiât “autant de responsabilités” alors que vous n’étiez pas de son parti ?
Une relation de confiance, un respect mutuel, du feeling de façon terre à terre. Je suis meurtri quand quelqu’un peut penser un seul instant que je vais trahir Wade. Si tel est le cas, c’est ma famille qui va me tabasser.(...)
Au-delà de l’affection, vous avez certainement bénéficié des largesses de Wade. C’est quoi ?
(Rires) Wade est un “samba Linguère” (généreux donateur), c’est tout ce que je peux vous dire.
Vous avez annoncé votre départ de la coalition Boloo taxaw askan wi. Pourquoi ?
Je l’ai fait depuis vendredi parce qu’on ne sent pas sa présence sur la scène politique. Il n’existe pas de liste Boolo taxaw askan wi à Dakar. Et il est dit en wolof “quitte à se faire dévorer dans la savane, mieux vaut que ça soit l’œuvre d’un lion”. Dès qu’il nous a été possible de nouer des alliances avec le Parti démocratique sénégalais, nous l’avons fait comme à SaintLouis, Sicap-Mbao, Louga, aux Hlm et même à la Biscuiterie avec la bénédiction de Me Wade qui a promis de venir nous soutenir. Je préfère garder mes relations avec la formation libérale qu’à être mal habillé.
Pourtant cette coalition a comme tête de pont le PDS auquel vous êtes allié.
Il y a une seule locomotive, le PDS, j’en suis conscient. C’est pourquoi j’avais même proposé de faire d’Oumar Sarr la tête de notre comité électoral. C’est le Pds qui tire le Boolo et je préfère être avec eux. L’autre problème, c’est qu’il n’y a pas de rotations au sein de la coalition alors que nous sommes d’égale dignité. Ce qui a comme conséquence de voir la coalition aller en rangs dispersés pour les élections du 29 juin.
Quelles sont vos chances pour les prochaines élections ?
On a beaucoup d’ambitions. On va jouer un rôle fondamental dans ces élections. Ndiouga Sakho (ex Dg de la Sapco) sera le futur maire de la Biscuiterie. On a une très forte coalition dans des localités comme Linguère avec des ténors comme Djibo Kâ.
Vous n’êtes pas allé aux élections. Pourquoi ?
J’ai préfère prendre du recul et mettre en avant mes collaborateurs. En tant que chef de parti, il est important lors de ces élections locales de laisser certains responsables faire leurs preuves dans la gestion.
Mais en tant que leader, vous avez besoin d’une base électorale.
J’ai une base à la Biscuiterie.
Pourquoi avoir cédé la place à Ndiouga Sakho ?
Parce qu’il est beaucoup plus disponible, il sera 100% dévolu aux affaires de la commune. Ce qui ne sera pas possible avec moi au regard de mes responsabilités professionnelles et électorales. En effet, je me dois aussi d’aller vers les régions pour soutenir nos listes.
Comment appréciez-vous la floraison des listes au nombre de 2 700 ?
Ça fait mal ! La raison en est aussi un certain échec des politiques. Et si un citoyen a les moyens et désire s’engager auprès des populations locales, ces derniers peuvent être amenées à lui faire confiance pour résoudre leurs problèmes.
Si on avait autorisé les candidatures indépendantes, est-ce qu’on allait s’en sortir ?
Non, on peut trouver des passerelles entre les partis politiques et la société civile. Et la société civile peut faire valoir son expertise dans la gestion des mairies. Il est par exemple dommage de ne pas faire bénéficier de villes comme Dakar de l’expertise d’un Me Mame Adama Guèye qui aurait mieux fait que d’expulser quelques ambulants et autres projets de pavages en 5 ans de règne avec 50 milliards de budget. C’est carrément inadmissible.
Vous voulez faire allusion au bilan de Khalifa Sall qui est salué par beaucoup de Dakarois ?
Concernant les pavages, c’est moi qui ai eu l’idée aux élections de 2001.
Mais c'est Khalifa Sall qui l’a mise en œuvre
(Il coupe) C’est une bonne chose, mais on ne peut pas vivre que de cela. Aujourd’hui, les feux rouges entravent la mobilité urbaine. En plus, il y a un étouffement constaté de la ville de Dakar qui ne dispose pas de poumons verts et d’espaces verts. Et sur le plan culturel, il n' y a pas de théâtres à Dakar.
Mais cela n'est-il pas lié à la spéculation foncière notamment sous l’ancien régime ?
C’est vrai qu'il n'y a plus de réserves foncières au Sénégal, mais une volonté politique aurait permis d’implanter plus d’arbres. Et le constat ne se limite pas à la municipalité de Dakar. C’est le cas pour les mairies de commune comme Point E.
Il y a une polémique autour de la liste de Touba qui n’a pas respecté la parité. Comment l’analysez-vous ?
Moi je pense qu’on ne peut plus réinventer la roue sur cette question. Tous les politiques reconnaissent que Touba dispose d’un statut spécial ; il n’est pas question d’élections mais de nomination. C'est une faveur, un consensus national qui a été fait sur le cas de Touba. Ensuite, quand il s’est agi, durant la onzième législature, de voter le code de loi sur la parité, je faisais partie des gens qui n’avaient pas voté. Mais regardez aujourd’hui la douzième législature, c’est la plus faible de l’histoire politique du Sénégal. Je ne jette pas l’anathème sur toutes ces grandes dames, ces femmes d’exception, qui sont à l’assemblée nationale. Je fais allusion à Sokhna Dieng Mbacké et d’autres qui tiennent aujourd’hui la contradiction à beaucoup de ministres et à leurs collègues. Mais il y a aujourd’hui une faiblesse qui est caractérisée par le niveau de ceux qui sont à l’assemblée nationale.
Que préconisez-vous, que l’on revienne sur la parité ?
Je pense que c’est un acquis qui est là, qu’on le veuille ou non. Quand le président Wade le posait comme acte, c’était par rapport à beaucoup de choses. C’est un visionnaire, il anticipe sur beaucoup de choses. Mais quand on parle de développement, cela suppose la combinaison de changements mentaux et sociaux d’une population. De ce point de vue, il faut mettre l’accent sur l’éducation des femmes. Il y a certains milieux traditionnels où cela pose problème. Tant qu’on n’aura pas réglé ces préalables, cela va être très difficile. Et les problèmes deviennent très pointus quand il s’agit de parler de programme économique, de problèmes financiers, d’intérêts stratégiques du Sénégal. Pour être à même de porter les contradictions qu’il faut, il y a un minimum de niveau intellectuel qu’il faut avoir !