L'asile sous la pression des proxénètes nigérians
PARIS, (AFP) - "Quand ils m'ont dit d'aller me prostituer, j'ai résisté. Mais ils m'ont battue. Regardez mon nez !": la narine de Queen, 20 ans, garde la trace du couteau qui l'a forcée à descendre dans la rue.
Trois ans plus tard, la jeune Nigériane a décidé d'échapper au réseau qui l'a fait venir en Europe. Menacée de représailles dans son pays, parce qu'elle n'a pas remboursée sa "dette de passage" (50.000 euros), elle demande l'asile en France. Sans aucune certitude de l'obtenir.
Elle se heurte à une certaine méfiance, car les réseaux de proxénètes
nigérians ont pris l'habitude d'envoyer leurs victimes déposer des demandes
d'asile fictives pour les maintenir sur le sol français. En effet, un demandeur d'asile ne peut pas être expulsé pendant l'examen de son dossier, qui peut prendre de longs mois.
Les réseaux chinois utilisent parfois cet expédient, mais ce sont les Nigérians qui sont "les plus structurés", explique le commandant de police Patrick Cotelle, de l'Office central pour la répression du trafic des êtres humains (OCRTEH).
Dans ces réseaux africains, qui exploitent des centaines de prostituées de rue en France, "certaines personnes sont dédiées aux demandes d'asile, d'autres sont juste payées pour rédiger des récits de vie", le document central de la demande d'asile, dit-il: "c'est 500 euros par récit".
Le démantèlement d'un réseau actif à Rouen et Colmar vient de rappeler cette spécialisation: sur les 16 personnes mises en examen, il y avait "des mamas", des collecteurs d'argent et des passeurs.
A son arrivée en France, les bourreaux de Queen l'ont effectivement priée de déposer une demande à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Comme elle avait transité par l'Espagne, son dossier a rapidement été classé.
Mais un jour, elle est tombée malade. Diagnostic: une hépatite. La jeune femme au visage poupin décide alors de décrocher.
Dans un premier temps, elle va voir la police. Une carte de séjour peut être délivrée aux victimes de traite qui coopèrent avec les forces de l'ordre.
Mais, faute de moyens suffisants à l'OCRTEH (qui compte 16 enquêteurs), les témoignages restent souvent sans suite. L'an dernier, seules 35 victimes de traite ont obtenu un tel titre de séjour.
Cette route ayant échoué pour Queen, aujourd'hui âgée de 20 ans, elle a décidé en mai 2012 de déposer une nouvelle demande d'asile. Cette fois, elle révèle être victime d'exploitation sexuelle. Mais l'officier traitant "ne m'a pas crue", déplore-t-elle.
Temples et Juju
Depuis quelques années, l'Ofpra a appris à écouter ces femmes malgré les variations de leurs récits. Plusieurs ont obtenu une protection subsidiaire (mêmes droits qu'un statut de réfugié mais à renouveler chaque année).
Toutefois, "il n'y a pas d'harmonisation des traitements. Ca dépend de l'officier qui traite le dossier", regrette Vanessa Simoni, de l'Association du Bus des Femmes, qui aide les prostituées.
Conscient du problème, le nouveau directeur général de l'Ofpra, Pascal Brice, consulte depuis des semaines tous les acteurs du secteur. "Nous devons accorder une protection aux victimes de traite quand elles ont des craintes en cas de retour, estime-t-il. Mais nous avons besoin d'analyses fines pour éviter l'instrumentalisation des réseaux".
La traite des femmes nigérianes se distingue par un fort contrôle exercé par le droit coutumier au pays: la plupart des victimes sont originaires de Benin City (sud), où des cérémonies rituelles, le Juju, sacralisent le contrat avec leur passeur.
En cas de non remboursement, les temples qui avaient organisé ces cérémonies se chargent des représailles auprès des proches. "Sur ces questions-là, l'Ofpra est très peu informé", selon Mme Simoni.
"Cet aspect spirituel est également survolé à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA)", confirme l'avocate Marine Thisse.
Certains juges de la CNDA se sont toutefois montrés réceptifs: à trois reprises ils ont accordé un statut de réfugié - la protection maximale - à des victimes de traite. L'Ofpra a fait appel devant le Conseil d'Etat, qui n'a pas réussi à trancher lors d'une première délibération en avril.
"Si j'obtiens des papiers, dit Queen, je pourrai trouver un travail. N'importe lequel. Et bâtir une nouvelle vie."