LE 11 SEPTEMBRE, C’ETAIT LE RAPPEL A L’ORDRE QUI DEVAIT AMENER LES AMERICAINS A NE PAS DORMIR SUR LEURS LAURIERS
ALIOUNE FALL, SPECIALISTE DES QUESTIONS MILITAIRES
Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 semblent ne pas avoir livré tous ses secrets. L’analyste politique Alioune Fall - bien au fait des questions militaires - décortique les dessous de cet attentat et apporte quelques éclairages sur le nouvel ordre mondial qui a suivi le 11 septembre.
Qu’est-ce qui a bien pu mener, selon vous, aux attentats du 11 septembre ?
Je pense que la vérité absolue dans cette affaire échappe encore au commun des gens. Dans ma perception personnelle, les attentats du 11 septembre sont un épisode atroce de la situation de tension latente que les puissances occidentales menées par les USA, entretenaient déjà depuis plusieurs années sur la place internationale, dans leur volonté d’aligner le monde derrière eux, avec leur système, leur modèle, leurs valeurs.
Cette situation elle-même fait suite à la séquence de la guerre froide et des tensions idéologiques amorcées au lendemain de la 2nde Guerre mondiale, et qui n’a pris fin qu’avec l’effondrement du bloc de l’Est à la fin des années ‘80’.
Après être venus à bout du communisme, les Occidentaux se sont tournés contre l’islam identifié comme le nouvel ennemi à anéantir. Toujours pour les mêmes raisons : la volonté de soumettre l’humanité à un mode de pensée unique, une croyance unique, une manière de vivre uniforme sur le globe. C’est la volonté des Occidentaux d’imposer leur civilisation comme unique et universelle qui est à l’origine de cette tension permanente sur la planète.
Et le 11 septembre, cela a malheureusement pris une tournure plus que dramatique, avec les évènements sombres que l’on connaît. Voilà tout ce que l’on peut en dire avec certitude. Pour le reste, l’histoire a été écrite essentiellement avec la version officielle américaine. Or, ce qui s’est passé en Irak, par la suite, a révélé que les autorités américaines de l’époque, au niveau le plus élevé, ne se gênaient nullement de recourir aux mensonges publics, devant l’humanité tout entière, d’entrer dans les manipulations les plus odieuses, juste pour obtenir une guerre qu’elles cherchaient. On l’a vécu. C’est pourquoi, moi je m’impose une certaine prudence dans la lecture des circonstances de ces évènements. J’ajoute que, le dossier palestinien et la position des Américains là-dessus, en frustrant des millions de musulmans, faisaient déjà souffler un vent pas favorable à l’entente cordiale entre les uns et les autres.
Comment analysez-vous les nouveaux enjeux sécuritaires après les attentats du 11 septembre ?
Les nouveaux enjeux sécuritaires se posent en des termes très complexes. Et c’est paradoxal d’ailleurs, car dans la théorie occidentale, la défaite du communisme et le nouvel ordre mondial qui en serait issu devaient entraîner la fin des guerres et des violences sur la planète. Or plus de 20 ans après la chute du mur de Berlin, l’insécurité dans le monde est à un niveau jamais atteint dans les temps modernes. Et la nouveauté, qui est aussi le principal facteur aggravant de cette situation d’insécurité, c’est le caractère non localisé, non structuré, non identifié et finalement non maîtrisable de l’une des forces en confrontation. Nous ne sommes plus dans le cas de figure où une partie des pays du globe s’alignait derrière les Usa pour faire face à une autre partie conduite par l’Urss. Ici, c’est une coalition d’Etats qui est en guerre contre un ennemi sans territoire ni nation, sans institutions ni organe, ayant tantôt la forme de groupes, tantôt l’aspect d’individus, présents partout et nulle part.
Les spécialistes parlent de guerre asymétrique. Cette forme de guerre est particulièrement éprouvante pour les puissances étatiques qui offrent des cibles constantes et précises, à vulnérabilité variable mais dans tous les cas réelle, à des ennemis qui, eux, évoluent dans la plus totale confusion, ne sentant pas non plus liés, ni par les lois, encore moins par la morale de la guerre. Malgré leur formidable
puissance militaire, les Usa et leurs alliés révèlent des faiblesses notables dans cette confrontation très différente des formes de guerre pour lesquelles ils se sont préparés à coups de milliards de dollars.
Ainsi, malgré tous les efforts qui ont été déployés depuis des années, le défi demeure plus que jamais grand, et on a même l’impression que dépitées ou perdues dans leur errance stratégique, les puissance occidentales travaillent à renforcer l’ennemi. Il n’y a qu’à voir les conséquences nées de l’effondrement provoqué par l’Occident, des régimes dans certains pays l’Afghanistan, l’Irak mais aussi plus
récemment la Libye, et bientôt certainement la Syrie.
Les Usa n'en font-ils pas trop, dans leur guerre contre cette insécurité internationale ?
Je crois effectivement que la notion d’obsession sécuritaire souvent utilisée en parlant des USA, illustre à merveille les excès des USA dans leur campagne internationale déclarée contre le terrorisme. C’est ce que je qualifiais plus haut d’attitude de dépit ou d’errance stratégique. Finalement, l’impuissance face au mal pousse l’Amérique et ses alliés à se sentir obligés de toujours bouger, de créer sans cesse des guerres et des fronts, sans jamais en avoir remporté réellement un seul, à ce jour. C’est un fait de bombarder un pays, de renverser le gouvernement, de tuer même le Président. C’en est un autre de neutraliser sur place toute force hostile et de repartir avec la certitude qu’on a définitivement anéanti le mal. Regardez l’Afghanistan ou l’Irak, dix ans après ; ou la Libye qui est le cas le plus récent.
Au nom de la lutte contre le terrorisme, l’Occident a ramené le monde dans une situation qu’on croyait avoir dépassée depuis longtemps. Une situation de guerre permanente, avec des injustices et des oppressions ne pouvant engendrer que frustration, haine et vengeance. C’est une spirale de la violence et de l’insécurité dont le monde risque de ne pays sortir de sitôt. En plus de ses effets altérants sur la cause agitée. Car il est incontestable que l’on ne saurait s’indigner et condamner les attentats du 11 septembre, sans en faire de même pour ces milliers de civils innocents tués aveuglément par les bombes américaines à chaque fois que les USA partent en guerre contre un régime qu’ils considèrent comme ennemi.
Et moi je dis, ayons le courage de l’affirmer, il y a dans cette situation une grande responsabilité de l’Occident, l’Amérique en tête.
Quel rôle, pensez-vous que le Sénégal joue dans le nouveau dispositif sécuritaire des Usa?
Les USA semblent manifester un certain intérêt militaire pour le Sénégal, mais je crois que dans cette guerre, notre pays est surtout utile à l’Amérique dans une perspective symbolique et aussi dans le travail d’endoctrinement et de contrôle de l’opinion. Il est par exemple très important pour les Américains que l’opinion musulmane ne perçoive pas la situation actuelle comme une nouvelle croisade de
l’Occident contre l’islam. Et le Sénégal, un pays fortement musulman, d’un islam modéré, peut jouer un rôle dans ce sens.
Pensez-vous qu’aujourd’hui, les Usa sont à l’abri d’un nouveau 11 septembre ?
Je pense que le 11 septembre, c’était le rappel à l’ordre qui devait amener les Américains, qui se sont beaucoup investis pour leur sécurité nationale, à ne pas dormir sur leurs lauriers. Avant le 11 septembre, le territoire américain avait la réputation d’être inviolable. Même l’attaque japonaise de Pearl Harbor en 1941, qu’on met souvent en parallèle avec le 11 septembre, ne visait pas le territoire principal des USA. Et je crois que depuis le 11 septembre, les Américains ont suffisamment renforcé leur dispositif de sécurité nationale pour qu’on puisse minimiser les risques que leur territoire puisse être encore atteint avec autant de gravité. Mais évidemment, il n’existe pas de défense infaillible.
La menace terroriste s'intensifie en Afrique de l'Ouest, le Sénégal n'est pas épargné alors qu'il est la pointe la plus avancée vers les Etats-Unis. Cette position contribue-t-elle à davantage exposer notre pays ?
Il est vrai qu’entre les USA et le Sénégal, il n’y a aucun Etat, mais il y a quand même tout un océan, et ce n’est pas rien. Je pense que si on pose le problème en termes de position d’opération sur le territoire américain, le Sénégal n’est pas aussi stratégique pour le type d’actions mené en général par les terroristes, et qui nécessite une proximité du lieu ciblé, pour ne pas dire une présence sur place.
Mais, j’insiste là-dessus, l’autre camp est tellement confus, tellement mal cerné, qu’on ne saurait avoir d’apriori ferme sur la question.
Peut-on au Sénégal être à l'abri des influences et menaces terroristes ?
Le caractère confus de cette menace ne permet à aucun pays au monde prétendre aujourd’hui être à l’abri. Je pense qu’on pourrait plutôt évoquer le degré de vulnérabilité des uns et des autres. Et sur ce plan là, le Sénégal n’a aucune raison à s’inquiéter particulièrement, mais n’en est pas moins tenu à une obligation de prudence et de vigilance. Il en est de même avec les influences. Des facteurs internes limitent les risques sur ce plan-là, sans les anéantir complétement.