LE BAL DES POURRIS
Sepp Blatter, élu à la présidence de la Fifa, gagnerait ensuite à démissionner. Continuer à gérer une maison dont les piliers s"effondrent et où les portes s"ouvrent sur des catacombes est un désastre

On est tenté de retourner au Far West, de trouver un tonneau de goudron, d'y plonger les "neuf salopards", de les arroser de plumes, pour ensuite les promener dans les rues en plein midi. On est d'autant plus guilleret à ce faire qu'il n'y a aucun Africain dans les lascars que la police suisse a cueillis à l'heure du laitier, mercredi, à Zurich. Ce n'est pas une absolution ; cela rappelle simplement que les corrompus sont partout et on peut prendre plaisir à parler des autres.
Les neuf corrompus viennent tous des Amériques. Leurs positions actuelles dans les instances de la Fifa, de même que leurs antécédents à la tête des fédérations et confédérations d'Amérique centrale, d'Amérique latine et de la Concacaf, les placent auprès de "dieu-le-père". Sepp Blatter lui-même.
C'est comme la mafia. Quand les capos tombent, on pense au parrain. Tous les yeux sont donc tournés vers Blatter. Mais depuis tant d'années que les scandales agitent la Fifa, que les filières de corruption montent vers les sommets de la pyramide, c'est pour se perdre dans le halo de l'impossible coupable.
On s'est toujours demandé ce qui protège Sepp Blatter. On ne se le demande plus. Parler de son intégrité motive juste des sourires pleins de sous-entendus. Le bonhomme doit être fort. Dans une forêt de petits brigands, sorte de pieds nickelés à la combine facile, son imperméabilité détonne. Aujourd'hui, il est un peu plus seul. Une partie de son avant-garde dans la mélasse judiciaire, le roi est un peu plus nu. Nul ne sait s'il est corrompu. Les accusations et les (mé)disances ont plu, il a toujours eu le bon mot pour faire la bonne parade. La justice ne lui a encore rien reproché, on ne fera pas le justicier du diable.
Cette affaire, on a une idée sur la manière dont elle va se terminer. Blatter va disposer de son cinquième mandat avec le Congrès de la Fifa qui se tient ce vendredi. Le prince Ali de Jordanie ne devrait pas peser lourd et Joseph montera sur le trône. On dira que le scandale est tombé trop tard pour devenir le poison de sa vie. Et puis, des candidats sérieux, il n'y en a simplement pas.
Hayatou et l'Afrique (54 voix) ont rejoint le poulailler après avoir fait monter la poussière. Platini se réfugie derrière l'opulence de l'Uefa (53 voix) en attendant son heure. Et puis, Blatter tient son monde là où il faut. Peut-être même qu'il n'a pas besoin de corrompre ou de recevoir des bons de caisse en retour. L'homme est à la tête d'un système à milliards de francs qu'il lui revient simplement de faire tourner. D'en faire profiter la petite famille. Les per diem et autres frais de mission lui assurent l'obséquiosité des petites fédérations.
Il est toujours possible pour un homme de durer au pouvoir, mais la capacité qu'il peut avoir à tromper son monde n'est pas infinie. Les possibilités dont il dispose pour assujettir ses inconditionnels finissent par se heurter à l'opposition de francs-tireurs. Le parcours de Blatter, les multiples contradictions au milieu desquelles les affaires de la Fifa l'ont enfoncé lui valent des ennemis. Qu'ils aient été licenciés ou autrement sanctionnés, des hommes dorment avec leur rancune et leurs petites affaires.
Blanchiment, racket et détournements de fonds ne sont pas de petits dossiers. Les neufs pontes qui ont été "arraisonnées" mercredi matin, au tomber du lit, ne vont sans doute pas se noyer tout seuls. Reste à savoir si l'affaire est une marée montante qui va atteindre les sommets ou c'est au reflux que la vague va encore faire des victimes. En attendant, l'enquête que diligente le Fbi vise encore cinq autres personnalités ayant négocié des opérations marketing ou obtenu des droits de diffusion. Le tout pour quelque 90 milliards de francs Cfa amassés entre la Gold Cup, la Copa America, la Copa Libertadores, mais aussi lors du choix de l'organisateur du Mondial-2010, en Afrique du Sud – qui clame son innocence.
Sepp Blatter, élu à la présidence de la Fifa, gagnerait ensuite à démissionner. Continuer à gérer une maison dont les piliers s'effondrent et où les portes s'ouvrent sur des catacombes est un désastre. Il ne peut continuer à vivre dans une cage aux folles à défaut d'être aussi fou que les enchainés. La plus grande aide que Blatter pourrait apporter au foot est de s'éclipser de lui-même. Mais certaines choses sont difficiles à comprendre quand on gère le foot sans l'avoir jamais pratiqué.
Tidiane KASSÉ