LE BONHEUR D'ÊTRE FORT
Ce vendredi, il n'y a pas de limites à éprouver. À l'échelon du football local où se dispute ce tournoi de foot des Jeux africains, chacun y va avec ses certitudes. Mais l'opportunité est assez belle pour qu'on soit trop cons de la laisser passer
C'est juste à côté, mais ici c'est l'autre bout du monde. Aurait-on été à Kinshasa qu'il aurait suffi de traverser le fleuve pour se retrouver à Brazzaville et partager ce moment historique de finale des Jeux africains avec les "Lions" du foot. Mais Bukavu c'est le Sud Kivu. A cet extrême est de la Rd Congo, on est à 3 510 km de la capitale. Pour débarquer ici, on est passé par le Rwanda voisin.
Les échos de ce qui est proche de Kin-la-joie rappellent donc un autre univers. Déjà, il faut changer de fuseau horaire, quand on joint les deux villes. C'est dire l'immensité d'un pays qui fait 2 345 000 km², dans lequel on peut loger le Sénégal treize fois. Mais il n'y a pas un coin au monde où le foot n'habite pas les (ou des) cœurs, et les "Lions", on en parle ici aussi.
Cela étonne que l'"évidence" s'installe avec autant de facilité. Voir le Sénégal en finale de ces Jeux africains n'étonne personne ici. On est estampillé pays de foot où tout peut être acquis.
On pense que la Génération 2002 a aussi marqué les esprits ici, mais le coiffeur qui engage la conversation remonte plus loin. Il n'a plus de noms dans la tête, mais il se rappelle la qualification des "Lions" aux tirs au but en 1975, à Kinshasa (3-1 ; 2-0 et 5-4), pour les qualifications aux Jeux olympiques 1976. "On revenait d'un mauvais Mondial en Allemagne et notre football commençait à entrer en crise. Mais vous aviez une belle équipe", lâche-t-il.
On entre alors dans les détails pour lui montrer que ses convictions ne tiennent pas. Ainsi, seul un club sénégalais a disputé une finale de Coupe d'Afrique en cinquante-cinq ans (la Ja en 1998). Jamais l'équipe nationale n'a eu à gagner une Can. De même, c'est la première fois, depuis 1960, que des "Lions" se présentent à la finale d'un tournoi panafricain qualificatif de football.
Qu'à cela ne tienne. "Ce n'est pas normal. Vous n'êtes pas à votre place…", s'entend-on répliquer. Cette "place", elle est donc à conquérir devant le Burkina, ce soir. Un succès est de l'ordre du possible face aux "Etalons" ; il faut le construire. Les regrets de la défaite n'habitent que les nostalgiques. Pour l'histoire, ce sont les vainqueurs qui comptent. Vivre une finale de Can perdue en 2002 n'a apporté rien d'autre au football sénégalais que des évocations qui traduisent les actes manqués. On vivait l'espoir de voir cette Génération 2002 monter plus haut et se faire conquérante les années à venir, mais elle était déjà au sommet de son possible que confortera un quart de finale au Mondial. Et on ne le savait pas. Doucement, douloureusement, on la verra s'effondrer jusqu'à l'anéantissement total, un soir d'octobre 2008, devant les Gambiens (1-1 à Léopold Senghor).
Ce vendredi, on ne se sent pas plus fort que le Burkina Faso. Il n'y a pas non plus de faiblesse à ressentir ou de limites à éprouver. A l'échelon du football local où se dispute ce tournoi de foot des Jeux africains, chacun y va avec des certitudes qui peuvent autant peser que les envies de l'autre. Mais l'opportunité est assez belle pour qu'on soit trop cons de la laisser passer. Beaucoup ne le comprendrait pas. A commencer par ces Rd Congolais pour qui il n'y a pas meilleur favori que le Sénégal dans cette finale.
Un sacre ce soir serait comme le joyau d'une résurgence qui rendrait la couronne magnifique. Peut-être qu'on est trop demandeur à la Fédération sénégalaise de football et aux sélections nationales pour s'en rendre compte, mais l'œuvre des "Lions", cette année, se déroule comme un tapis rouge où le ballon multiplie les rebonds de plaisirs. Une demi-finale en Coupe du monde juniors, c'est énorme. Une première place dans le groupe des "Lions" pour la qualification à la Can, c'est apaisant. S'y ajoute cette finale des Jeux africains qui laisse entrevoir la fraîcheur d'une première victoire africaine du Sénégal. C'est plus que les Coupes de l'Aof, c'est mieux que la victoire aux Jeux de l'amitié.
Reste à voir les garçons se pénétrer des immenses attentes qui sont nourries à leur endroit.