LE CAUCHEMAR DES PROPRIÉTAIRES
DÉMOLITION DES MAISONS ET BATIMENTS SITUÉS PRÈS DU MUR DE CLÔTURE DE L'AÉROPORT LSS
Les propriétaires des maisons situées entre le mur de l'aéroport et la cité Tobago ont eu un mauvais réveil hier. Des bulldozers ont commencé à détruire maisons et bâtiments pour aérer la bande verte de l'aéroport. L'inquiétude gagne les résidents alors que le chef de la communauté lébou de la zone accuse les autorités.
Hier, il y avait de la consternation, des larmes (étouffées ou irrépressibles), de l'incompréhension, du fatalisme, et surtout beaucoup de colère des populations habitant derrière la cité Tobago, près du mur de clôture de l'aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar. "Vous voyez comment ça marche dans ce pays. On se décarcasse pendant tout ce temps à l'étranger pour trouver un toit à la famille et l'on vient nous humilier de la sorte en détruisant nos habitations", laisse échapper la dame Mme Diouf, amère, inquiète et dépassée par la démolition des habitations situées à quelque 200 mètres du mur de clôture de l'aéroport.
Devant les questions insistantes de sa fillette d'une dizaine d'années, descendue s'enquérir de la situation, elle prétexte une soif imaginaire pour l'envoyer chercher de l'eau. Son bâtiment R+1, avec trois magasins et deux chambres salon, est encore débout, mais nul doute que les bulldozers vont passer bientôt pour transformer cette demeure en un tas de débris poussiéreux. Comme ils ont commencé à le faire depuis la matinée d'hier. De la Voie de dégagement nord (Vdn), rien n'indique qu'un mélodrame se joue derrière les villas cossues des cités Tobago et Benja.
Il fallait aller derrière le décor pour voir des gendarmes et leurs pick-up superviser les allers-retours de ces monstres mécaniques emboutir les pans des maisons sous l'œil du préfet Alioune Badara Diop. Matelas portés par les occupants des taudis voisins, poutrelles mécaniques balancées des fenêtres, charrettes empilant les sacs de ciment de propriétaires ‘chanceux' qui en sont aux fondations... ; le branle-bas de déménagement est à son comble.
Les résidents sauvent les meubles avant l'arrivée des engins mécaniques. L'amertume est tellement immense chez I.K qu'il préfère en rire jaune. Ce résident entre deux âges, qui revient d'un exil italien de plus d'une décennie, trouve que "c'est un manque de considération totale à la dignité humaine auquel se sont livrées les autorités", déclare-t-il.
"On a acheté en toute légalité"
L'heure est grave dans la maison des Sarr, où un collectif des propriétaires a été improvisé pour voir comment solutionner ce problème. Signe de la gravité, ce rassemblement n'a même pas encore trouvé de dénomination. Pas plus que n'en dispose cet espace de 26 hectares. Certains l'appellent cité Rahma, d'autres Sandaga. "On l'appelle juste "derrière la cité Tobago", confie Matar Sarr, porte-parole de ce collectif.
Mme Fall est quant à elle révoltée par la réaction à retardement des autorités. "On nous a laissé acheter les terrains en toute légalité, creuser les fondations, ériger et décorer une maison, nous installer. Aujourd'hui, on vient nous mettre à la porte alors que, pas plus tard que la semaine passée, des agents des Impôts et domaines sont venus pour la perception", dénonce cette dame ruinée par le désespoir.
Résidente depuis 10 mois à peine, elle se demande en boucle comment on a pu laisser tout ceci se passer. Plus de 200 maisons sont concernées par ces démolitions. Sa voisine Mme Ndione a piqué une crise alors qu'elle sort tout juste d'hospitalisation.
Alors que les résidents disent tous que "les Lébous" leur ont vendu les terrains, ces derniers estiment être également victimes de la puissance publique. Le Jaraaf de Ouakam, représentant la communauté du Taanka (Ngor, Ouakam, Yoff), Youssou Ndoye, réclame la propriété de ces terres et accuse les autorités domaniales de jouer à un double jeu. "Pour prendre ces terres, elles ont changé les numéros des titres-mères qui passent de quatre à cinq chiffres. C'est par ce processus qu'elles veulent nous déposséder de biens ancestraux", déclare-t-il.
Pour lui, ces conflits fonciers récurrents découlent du non-respect des autorités coloniales du droit à la préemption. Promettant de porter plainte contre la France qui avait fait une réquisition de ces terres, il accuse le gouverneur de Dakar et le Maire de Yoff d'être à l'origine de ces destructions. "C'est pure invention, Abdoulaye Diouf Sarr n'a rien à voir avec ça", rétorque-t-on du côté de sa communication tandis que le gouverneur Mohamed Fall ne s'est pas exprimé.