LE CERCLE VICIÉ DE L’ENTRAINEUR
A force de les enterrer avec une lassitude routinière, on pouvait penser que la vie d’un entraineur ne méritait pas plus que les cinq lignes de faire-part qui s’étalent, à l’occasion, dans la presse.
Cette fois, l’onde de choc dégagée par les quatre démissions-destitution qui viennent de se succéder dans le landerneau de la Ligue 1, a dépassé les oscillations d’une tempête dans un verre d’eau. Emoi et révolte se sont déversés dans les colonnes des journaux, pour également envahir les ondes.
Jo Diop a rappelé les temps ardents où, pour certains, entraineur rimait avec militant. C’était au temps où les idées de gauche imprégnaient le milieu. Années fiévreuses de rêve d’un Grand soir, où l’Association des entraineurs et éducateurs de football mobilisait autour de principes, d’idées et de pratiques de rupture. C’était au début des années 1980.
Dans la presse, Jo Diop défend : «Il nous faut un statut juridique et législatif de l’éducateur et de l’entraîneur.» On le lit dans d’autres colonnes de la presse et il fait flotter dans l’air une ambiance de syndicat. Mais à vouloir défendre les intérêts matériels et moraux d’une corporation, il faudrait bien que celle-ci soit d’une homogénéité basée sur des convergences qui favorisent une unité d’action.
Les entraîneurs sont minés par leurs propres contradictions. Car la fragilité des destins qui se jouent sur le banc trahit l’état d’un corps dont on s’interroge sur la véritable consistance en tant que cellule homogène.
Dès lors, nombre de paramètres sont à régler dans ce milieu avant de songer à le réguler pour en faire une force de revendication et de résistance.
Se demander «c’est quoi un entraîneur», aujourd’hui, au Sénégal, c’est comme poser une question existentielle.
Un métier, on le défend quand il fait sens dans une vie. Quand toute faille quelque part, hors de soi, est une atteinte qu’on vit en soi. Quand il s’agit d’un sacerdoce et non pas d’une sinécure. Quand on connaît le salaire de la peine et qu’on pèse à sa juste valeur le poids de la réussite.
Entre équivalence, profil et accès à la profession, le monde de l’entraîneur est comme un écheveau dont il faut dénouer les fils, tisser à nouveau la trame de la fonction et voir comment poser les bases d’une régulation.
Pour beaucoup de techniciens, entrainer est une sorte de béquille. On a une vie ailleurs. Ce qu’on négocie avec les clubs tombe souvent comme un sursalaire. Se faire limoger revient juste à perdre des revenus. La vie continue à faire sens dans d’autres domaines, la poussière des terrains en moins.
Comme dans le système du xar matt, il se développe donc une zone de non-droit dans laquelle les présidents évoluent à volonté et à leur guise. Dans cette sorte d’informel quasi absolue, travailler sans contrat n’a rien de surprenant.
Un entraineur étant un travailleur comme tout autre, sa protection aurait dû être celle qui s’adosse à la loi du travail en général. Rompre son contrat à durée déterminée, que ce soit d’un commun accord, pour cas de force majeure ou pour faute grave, ne se décide pas comme un droit de vie et de mort.
On voit bien ce qu’il en coûte, dans les championnats professionnels bien normés au plan juridique, que de licencier un coach juste parce que l’équipe part en décrépitude. Même l’obligation de résultats ne saurait suffire, comme «faute lourde», pour justifier d’un licenciement. Quand un entraineur met tous les moyens dont il dispose pour l’accomplissement honnête de son contrat, on ne peut le dégager comme un malpropre.
S’engager dans un juridisme de bon aloi pour activer une commission appelée à juger les litiges autour des coaches, revient à continuer à vivre avec une bombe à retardement dans les vestiaires.
Pour la Fédération sénégalaise de football, comme pour la Ligue Pro, certaines solutions peuvent aider à contenir les facteurs de crise. La solution de fond revient aux entraineurs, ainsi qu’à ces techniciens qui gravitent autour du foot avec des connaissances pointues.
A laisser une profession verser dans la déliquescence et se clochardiser progressivement, on l’entraîne dans une forme de prostitution aggravée et à sa dégénérescence.
Foi de journaliste, on en sait ce qu’il en advient d’une profession quand tout se délite autour et en interne. On le vit et on désespère de ce cancer qui ronge.