Le chemin de croix de l'ancien homme fort de N'Djamena
C’est en 1990 que l’ancien président tchadien a trouvé refuge sur le sol sénégalais. Sa venue avait provoqué beaucoup de bruits dans les plus hautes sphères du pays. Il est accusé d’avoir commis des massacres, des tortures et des tueries sauvages pendant ses huit ans de pouvoir, entre le 7 juin 1982 et le 1er décembre 1990.
Mais Hissène Habré n’était pas venu les poches vides. On parle de plusieurs milliards de francs Cfa. S’en est-il servi pour «acheter le silence» des autorités de l’époque? Ce qui peut être retenu, c’est que l’actuel Premier ministre du Sénégal, Abdoul Mbaye, avait fait office de banquier pour la gestion des fonds que Habré avait fait venir avec lui.
En 2001, le départ du gouvernement socialiste au Sénégal fait bouger les choses. Après que les tribunaux Sénégalais se sont déclarés
incompétents pour juger Habré, un juge de nationalité belge entame des enquêtes au Tchad pour faire la lumière sur les exactions commises durant ses huit ans de pouvoir.
En 2005, il inculpe officiellement Habré. L’extradition de l’ancien président tchadien est demandée par Bruxelles. Mais Habré avait déjà réussi à tisser un puissant réseau d’amis au sein du nouveau pouvoir et des familles religieuses. Me Madické Niang, un des hommes de main du Président Wade, faisait d’ailleurs partie de ses conseils. Hissène Habré ne sera pas extradé. Il avait fini de s’installer dans le quartier lébou de Ouakam et se marie à une Sénégalaise.
Le Sénégal a continué à retarder l’extradition devant les pressions de lobbies tapis dans l’ombre. La Communauté étrangère s’impatiente, puis se résout à changer de tactique. En juin 2006, l’Union européenne (Ue) demande au Sénégal de juger l’ancien président tchadien sur son sol pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et actes de torture. L’Ue invite alors l’Union africaine (Ua) à s’impliquer. Mais rien n’y fit.
Sous prétexte de manquer de moyens financiers et logistiques, le Sénégal n’a jamais pu organiser le procès de Hissène Habré.
En 2012, l’arrivée au pouvoir de Macky Sall accélère le processus. En février 2013, les chambres africaines extraordinaires sont mises sur pied. C’est la première juridiction africaine jamais mise en place pour juger un Africain avec un budget de près de 5 milliards de francs Cfa que se sont partagés l’Union Européenne et les Etats-Unis. Voilà d’ailleurs ce qui a poussé certains analystes à faire le «link» (lien) entre la visite d’Obama à Dakar et l’arrestation d'Hissène Habré, survenu seulement 48 heures après le départ du chef d’Etat américain. Le président Obama qui a salué les «efforts de Dakar pour que le procès se tienne».
L’arrestation puis l’inculpation de l’ancien président tchadien a été vécu comme l’aboutissement d’un long combat pour les familles des victimes. Pour l'avocat américain Reed Brody, porte-parole de l'organisation de défense des droits de l'homme Human right watch (Hrw), il s'agit d'une «étape majeure de la longue campagne pour le traduire en justice». Il a confié qu’«après 22 ans, les victimes de Habré peuvent enfin entrevoir la lumière au bout du tunnel".
Il y a eu un même ton de soulagement dans les propos de Clément Abaïfouta, président de l'Association des victimes des crimes du régime d'Hissène Habré. «Cela fait plus de deux décennies que j'attends de voir Hissène Habré traduit en justice. Nous allons enfin pouvoir confronter notre bourreau et recouvrer notre dignité en tant qu'êtres humains», a-t-il déclaré».