LE CHEMIN DE CROIX DES IMMIGRÉS SÉNÉGALAIS
CHEIKH TIDIANE SALL, CONSULAT GÉNÉRAL DU SÉNÉGAL À CASABLANCA RACONTE LE CALVAIRE
CASABLANCA, Maroc – Consul général du Sénégal à Casablanca, Cheikh Tidiane Sall, a reçu, samedi, quelques heures avant le match Sénégal-Côte d’Ivoire, les envoyés spéciaux de la presse sénégalaise. A cette occasion, il est revenu sur le calvaire de nos compatriotes qui tentent la traversée vers l’Europe et a révélé qu’en ce moment deux d'entre-eux sont dans une morgue de Casa et que leurs parents au Sénégal sont toujours inconnus.
D’après le consul, beaucoup de nos compatriotes ne pouvant plus partir par les côtes sénégalaises viennent au Maroc dans l’intention de rejoindre l’Europe. «Il se trouve qu’il y a un ensemble de passeurs dans le nord du Maroc et à Tanger en particulier. Ils tentent, à partir de zodiacs ou d’embarcations de fortune, de traverser, et assez souvent il arrive que ces embarcations chavirent et il n’est pas rare que des corps soient rejetés sur les plages marocaines», explique M. Sal.
Les corps de deux Sénégalais repêchés au Maroc
Il ajoute qu’en ce moment même, «deux cadavres se trouvent à la morgue de Rahma qui se trouve ici à Casablanca. L’un a été rejeté par la mer sur les plages de Mohamedia et l’autre a été repêché en haute mer par un patrouilleur marocain. Il s’agit de deux présumés compatriotes parce qu’on a trouvé sur eux des passeports sénégalais qui ont permis aux autorités locales de nous avertir. Nous avons pris les dispositions nécessaires pour savoir qui ils étaient, d’où ils venaient, qui sont leurs parents, etc, de façon à pouvoir les avertir. Malheureusement, dans des cas d’espèces, on est confronté à des situations assez compliquées. Parce que tous les Sénégalais qui débarquent au Maroc et notamment à Casa ne se font pas connaître du Consulat général. Or, c’est l’une des premières formalités à laquelle ils doivent se soumettre. Parce qu’à l’occasion, toutes les informations sont recueillies sur eux et
ça permet, en cas de problèmes, en interrogeant nos bases de données, de savoir comment saisir leurs proches».
Les proches de Mamadou Thiam et Abdou Ndiaye restent inconnus
Le diplomate souligne que les Sénégalais sont presque réfractaires à l’enregistrement au consulat. «Quand un Sénégalais se présente pour se faire connaître, il y en a quatre ou cinq qui ne se présentent pas. Surtout quand les gens ont des intentions qui ne sont pas tranquilles. C’est le cas de ces deux-là, car quand on a interrogé nos fichiers, à partir des informations qui nous ont été données sur la base de leurs passeports, ils nous étaient inconnus. J’ai dû d’ailleurs solliciter monsieur Moustapha Elimane Sall, qui était directeur de la police des étrangers et des titres de voyages à Dakar, en lui communicant les numéros de passeports des intéressés. Et c’est lui qui nous a donné les fiches d’état civil des intéressés. Mais les passeports ne donnent pas toutes les informations».
Selon la fiche qui lui a été envoyée, confie M. Sall, une des deux victimes a juste marqué comme adresse sur son passeport Louga et il s’appelle Mamadou Thiam. Et l’autre, son adresse est en Espagne, à El Jezira et où il se présente sous le nom de Abdou Ndiaye. «Les deux corps sont à la morgue, depuis un mois. En tout état de cause, nous allons les enterrer sur place. Parce que leur état ne permet pas de faire autrement, même si leurs parents étaient identifiés et souhaitaient qu’on les
rapatrie, ça ne pourrait plus être le cas parce que la manipulation n’est plus possible. On a entamé la procédure pour les autorisations pour les inhumations et aussi les moyens pour le faire. Parce que pour enterrer ici, il faut payer. C’est les situations auxquelles on est confronté au quotidien. Ça complique un peu notre travail», ajoute le consul.
«Avec le Maroc, ce qui est vrai pour les générations d’avant ne l’est plus pour celles d’aujourd’hui»
«Les arrivées au Maroc, en ce moment, sont massives, elles sont quasi quotidiennes depuis que la route a été ouverte. Il y a un effet d'appel. Vous savez, l’immigration, il y a toujours un problème, les gens qui partent ne disent pas à ceux qui sont restés les conditions dans lesquelles ils vivent. Ils leur font toujours croire qu’ils vivent dans un eldorado, alors que la réalité est tout autre. Il se trouve, dans le cas du Maroc, que dans notre inconscient collectif, nous le considérons comme un prolongement du Sénégal et qu’ici on peut faire ce qu’on veut. Or, ce n’est pas le cas. La situation n’est pas aussi simple qu’on veuille bien le dire. Nous sommes des pays amis certes, mais il y a des choses difficiles à dire», lâche-t-il.
Cheikh Tidiane Sal est d’ailleurs d’avis qu’«avec le Maroc, ce qui est vrai pour les générations d’avant ne l’est plus pour celles d’aujourd’hui. Le Marocain d’hier, très sentimental vis-à-vis du Sénégal, n’est pas le même que celui d’aujourd’hui. Il y a des frictions qui se passent dans les quartiers populaires, etc. Parce qu’aussi, nous avons un mode de vie qui ne se font pas dans ces contrées, mais qui est un peu agressif. Parce que nous vivons comme nous savons partout où nous allons. Et parfois, c’est compliqué».
D’après le consul, les estimations officielles des Sénégalais du Maroc tournent autour de 10 à 15 000. «Mais il y en a plus. Car, quand un Sénégalais se fait connaître, il y en a cinq que ne se font pas connaître». Ces compatriotes, selon lui, «avant, c’était des cadres, des commerçants, des étudiants qui, à la fin de leurs études, étaient employés par des entreprises marocaines ou qui créaient leurs propres sociétés. Nous étions réputés pour être des gens intelligents, sérieux, travailleurs. Et si le Maroc avait ouvert ses portes si grandes au Sénégal, c’est parce qu’il avait besoin d’un effet d’entraînement. Parce que les Sénégalais étaient bien réputés et qualifiés. Malheureusement, ce n’est plus le cas. Le gros de la troupe de nos compatriotes qui immigrent actuellement, c’est des gens qui n’ont pas été pour la
plupart à l’école, qui arrivent ici, qui pensent qu’ils peuvent faire ici ce qu’ils veulent. On a beau leur expliquer que certes vous pouvez venir sans visa, mais vous avez trois mois pour vous mettre en règle. Au-delà, vous êtes en situation irrégulière. Et ici, il y a une particularité, c’est que quand vous dépassez le délai de séjour légal, pour sortir du pays vous devez avoir une autorisation de sortie du pays, un laissez- passer que nous sollicitons d’ailleurs. C’est à ce moment qu’ils nous sollicitent d’ailleurs. Et le délai est assez long puisque c’est 3 ans».