LE CONCEPT FUMEUX DU NOUVEAU TYPE DE SENEGALAIS (NTS)
Sous le feu d’une médiatisation à outrance, le mouvement Y en a marre nous a livré le concept de Nouveau type de Sénégalais (NTS), entré depuis dans le langage courant de nos compatriotes. Avant de rendre opérationnel le concept et d’interroger ses différentes dimensions, il convient tout d’abord d’étudier les manières de faire des acteurs, promoteurs du NTS, qui veulent impulser un changement de comportement dans la société tout entière. L’analyse permettra de dévoiler des contradictions manifestes qui dépouillent à cette notion vague et creuse toute crédibilité.
L’inanité du NTS se traduit de prime abord par la distance séparant le discours des dirigeants du mouvement et la réalité de leurs pratiques. L’exigence des animateurs de Y en a marre en direction des pouvoirs publics à trouver du travail aux jeunes alors que certains d’entre eux ont vite fait d’abandonner leurs métiers pour s’autoproclamer révolutionnaires professionnels, entre dans ce cadre. Ce fait démontre à suffisance qu’ils ne croient pas profondément à la vertu du travail comme unique moyen de réussite.
Les « nouveaux penseurs » requièrent le changement des manières de faire, de sentir, d’agir des Sénégalais, mais ils surfent sur les vagues d’indignation des populations pour se convertir en courtiers de la misère. La clique de Y en a marre veut, à l’image de certaines organisations qui se réclament de la société civile, s’assurer une rente sur les conditions miséreuses du peuple. Une démarche qui tranche net avec les valeurs que le mouvement compte insuffler dans la société. A la lumière de ce qui procède, on peut se demander si la création de ce mouvement ne cachait pas un moyen de parvenir à une réussite sociale.
L’inconséquence entre les paroles et les actes des promoteurs du NTS est repérable également dans leur code langagier. Pris individuellement, aucun membre de cette clique ne peut se prévaloir d’être porteur des valeurs qu’ils veulent sécréter dans le corps social. Il suffit simplement d’écouter leurs chansons pour se convaincre que l’insulte est un trait distinctif de leur style musical. Qu’il s’agit de Malal Talla alias Fou malade ou du groupe Keur gui, il est courant d’observer dans leurs textes des écarts de langage qu’aucun père de famille n’aimerait faire écouter à ses enfants.
La célébration de leur anniversaire à la Place de l’obélisque en est un autre cas illustratif. Les injures d’un Niagass complètement éméché, à l’endroit du public, témoignent de leur comportement asocial, antisocial et indigne d’un bon citoyen. Ils reproduisent sans discernement les mêmes pratiques que les rappeurs américains, alors que les contextes culturels et les réalités sociales sont différents, parfois antithétiques. Toujours sur le plan comportemental, on se rappelle de Fou Malade qui a tabassé Gaston qu’il soupçonnait de préparer un opus contre le mouvement Y en a marre. Je suis au moins d’accord avec eux sur l’état pathologique de la société sénégalaise et sur l’urgence de refonder les valeurs. Mais, les promoteurs d’un tel redressement normatif doivent incarner les valeurs qu’ils agitent. Or, tel n’est pas le cas pour ces gens.
L’acceptation d’un tel concept sans l’avoir passé sous le prisme d’une analyse rigoureuse prouve la démission des intellectuels. Avec les petites phrases dignes des politiques les plus perfides et la réplique incisive contre leurs contradicteurs, ils sont parvenus à mettre aux pas tous les intellectuels.
A la suite de Edward Saïd, nous pensons que « l’intellectuel, ne doit être ni un pacificateur ni un bâtisseur de consensus, mais quelqu’un qui engage et qui risque tout son être sur la base d’un sens constamment critique, quelqu’un qui refuse quel qu’en soit le prix les formules faciles, les idées toutes faites, les confirmations complaisantes des propos et des actions des gens de pouvoir et autres esprits conventionnels. Non pas seulement qui, passivement, les refuse, mais qui, activement, s’engage à le dire en public ». Ce type d’intellectuel a disparu et des rappeurs sortis de l’ombre à la faveur d’une situation de « crise sociale totale », occupent cette place vacante pour orienter, organiser, modeler la pensée collective. Un signe symptomatique d’une société profondément malade.
Cet échec de la pensée se retrouve au plus haut sommet de l’Etat, quand le président de la République reprend l’idée saugrenue de la levée des couleurs prônée par Y en a marre. D’abord, c’est une pratique qui était en cours dans presque tous les établissements. Donc, il n’y a rien de nouveau. Ensuite qu’est ce que cela change dans le rapport des Sénégalais avec les symboles de la République. Pour inculquer à la jeune génération l’amour de la patrie et de ses symboles, il faut travailler à faire renaître ce sentiment d’appartenance à une nation. Cela passe par une sérieuse prise en charge de leurs préoccupations.
Aussi, l’élite dirigeante se doit de montrer par l’exemple, le sens du sacrifice pour la nation. Or, la classe dirige par son comportement travaille toujours à contourner la loi ou à se trouver des passe-droits. Cela n’incite pas le peuple à adopter des attitudes citoyennes. Le changement de comportement ne se décrète pas, il se sécrète doucement à travers l’éducation au sens large. C’est-à-dire la famille, l’école et les rapports sociaux. Au-delà de ces facteurs, une société a besoin de coercition pour dissuader les récalcitrants. Dans les pays où les citoyens sont plus respectueux des normes, c’est parce l’application de la loi n’y souffre d’aucune faiblesse. Si aujourd’hui les Sénégalais s’acquittent globalement de l’assurance automobile, la raison est à chercher dans l’intransigeance de la police sur cette question.
De même, lorsque les forces de l’ordre ont commencé à verbaliser systématiquement les automobilistes contrevenant au port de ceinture, ceux-ci ont changé aussi promptement de comportement. A la lumière de ce constat, nous estimons que la volonté de Y en a marre de faire du NTS un chantier, traduit un souci de se trouver une occupation, suite au changement de contexte de crise qui a favorisé son émergence. Ce mouvement « slogan », sans fondement idéologique et doctrinaire se cherche de nouvelles tâches pour continuer d’exister. Cette carence idéologique traduit le flottement dans l’action après avoir joui d’une popularité à trop bon marché.
Luttant contre une extinction naturelle, Y’en a marre se refugie dans une sorte d’opposition de salon et médiatique. Or, ce mouvement s’était singularisé par l’action de terrain et la mobilisation, se démarquant ainsi des cercles de réflexion et des mouvements platoniques.
Désormais, les actions de représentants de Y’en a marre visent exclusivement un dividende médiatique pour donner l’illusion d’être au service du peuple. Mu par cet impératif existentiel, ce groupe ne peut plus « dépasser ses intérêts immédiats pour se hisser à une ambition supérieure, valable pour la nation entière », comme disait Léon Blum.
Ibrahima Diop
Professeur de mathématiques
Mail : diopibrahima14@gmail.com