Le cours magistral du substitut du Procureur spécial sur la compétence de juridiction
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Antoine Diome, substitut du Procureur spécial près la Crei, est revenu, hier, face à la presse, sur la compétence de juridiction qui a été agitée depuis le début de l’enquête sur l’enrichissement illicite. Et c’est pour expliquer, d’emblée, que «le Parquet vise avant tout d’éviter la prorogation d’information parcellaire ou inexacte. Et pour cette raison, ici comme ailleurs, il est permis de livrer des éléments objectifs tirés de la procédure, mais qui, au demeurant, ne comportent aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause». M. Diome de renchérir : «Auparavant, et avant d’en arriver là, il ne serait pas sans importance, de vous rappeler les termes du délit d’enrichissement illicite en raison duquel nous faisons toutes les actions qui ont été déjà engagées, naturellement, dans sa poursuite, en vue de sa répression, mais aussi la procédure qui lui est applicable».
S’agissant du délit d’enrichissement illicite, Antoine Diome a précisé qu’«il est prévu et prouvé par l’article 3 de la loi 81-53 du 10 juillet 1981, ce qu’on retrouve en substance dans cette loi. Et qu’à chaque fois qu’une personne occupant des fonctions publiques ou ayant occupé des fonctions publiques se retrouve dans l’impossibilité de justifier l’origine licite de son patrimoine ou de son train de vie, au regard de ses revenus légaux connus, la loi considère que le délit est constitué». «Et de la même manière, lorsque cet enrichissement est fait par l’intermédiaire d’un tiers ou bien par l’intermédiaire de personnes morales, ce tiers, ainsi que les dirigeants physiques de ces personnes morales, qui auront participé à la réalisation de cet enrichissement, pourront être poursuivis comme complices», a souligné, en outre, le Procureur spécial près la Crei. Et c’est ce qui peut, selon lui, «justifier l’arrestation d’une personne occupant ou ayant occupé des charges publiques, en même temps que d’autres personnes qui ne sont jamais intervenues, en tout cas, dans une sphère publique».
Concernant la procédure, M. Diome d’indiquer : «Il faut aller vers l’article 5 de la loi 81-54 du 10 juillet 1981 qui prévoit que le Procureur spécial peut ordonner une enquête sur la base d’instructions écrites, lesquelles sont adressées, soit à des officiers de police judiciaire pris dans le cadre de brigade spécialisée ou considérés individuellement». «Après cette enquête, le Procureur spécial reçoit le Procès-verbal, et s’il estime qu’il y a des incidences d’enrichissement et d’une éventuelle poursuite, il met à la disposition de l’intéressé toute la procédure pour communication pendant un délai de 48 heures. Au jour indiqué pour la mise en demeure, la personne concernée est entendue, on lui notifie les résultats de l’enquête qu’on compare aux détails des éléments de son patrimoine connu, ainsi que de son train de vie, avant de procéder formellement à la mise en demeure qui est de la compétence exclusive du Procureur spécial».
«Le délit d’enrichissement illicite est une infraction instantanée»
Poursuivant dans ses explications, le substitut du Procureur de souligner : «Il a un mois pour répondre. Et c’est ce qui a été observé dans cette affaire. S’il répond, les réponses peuvent être satisfaisantes, et elles peuvent ne pas être satisfaisantes, comme il a la possibilité aussi de ne pas répondre. Le Procureur spécial peut estimer que les preuves sont satisfaisantes, et il classe le dossier sans suite. Il peut estimer que les réponses ne sont pas satisfaisantes, il décide de poursuivre, et c’est là où se pose la question cruciale de la compétence, parce que, depuis le début de cette affaire, on a cessé de nous parler de la compétence».
Revenant en détails sur la question de la compétence de la juridiction, M. Diome de faire savoir : «Pour bien comprendre quels sont les critères qui sont à la base de la détermination de la compétence d’une juridiction déterminée, il faut retourner à la loi». A l’en croire, «ce n’est pas parce qu’une personne pense qu’une juridiction est compétente ou parce qu’elle ne l’est pas que de facto on va prendre une décision en ne s’appuyant pas sur les éléments légaux». Avant de soutenir : «Et on retourne aux deux lois combinées 81-53 et 81-54 du 10 juillet 1981. Elles situent le moment de constitution de délit de façon précise. Non seulement l’exposé des motifs de la loi 81-53 fait des développements subséquents sur la question, mais l’article 3 qui consacre même la définition nous précise qu’il s’agit d’un délit instantané et qui se situe à la réponse apportée à la mise en demeure».
C’est-à-dire, a-t-il expliqué : «On ne peut considérer le délit caractérisé qu’au moment où la réponse est apportée à la mise en demeure. Si la réponse qui est apportée à la mise en demeure n’est pas satisfaisante, c’est à partir de ce moment que la loi situe la constitution du délit. Vous pouvez bénéficier dans le cadre de vos statuts ou de vos fonctions d’un privilège qui vous soustrait à la compétence des juridictions de droit commun ou, en tout cas, par la compétence d’une juridiction où doivent être jugées toutes personnes ne bénéficiant d’aucun privilège». Mais, a précisé M. Diome, «au moment de la constitution du délit, ce privilège ou ce statut qui conférait ce privilège disparaît, vous redevenez justiciable, ordinaire comme tout le monde. Et ça, ce n’est pas moi qui le dis, et ce n’est pas non plus le Procureur spécial qui le dit, mais la loi stipule et dit de façon expresse que le délit d’enrichissement illicite est une infraction instantanée».