LE DIVORCE DU LAPIN ET DE LA CARPE
ANALYSE DE L'ÉDITORIALISTE DE SenePlus SALIOU GUÈYE : LA BROUILLE ENTRE MACKY ET ABC, QUI S’EST TOUJOURS PRÉSENTÉ COMME SON COADJUTEUR, NE REMONTE PAS AU LIMOGEAGE DE CE DERNIER DU GOUVERNEMENT.
Cette fois, c’est la bonne. La séparation entre le lapin Macky et la carpe Alioune Badara Cissé est bel et bien officialisée. L’apparente dyarchie à la tête de l’Apr est arrivée à terme. C’est la fin du mariage de la carpe et du lapin. En limogeant ABC de son poste de coordonnateur national de l’Apr, Macky Sall, président dudit parti politique, a donné le coup d’envoi de la liquidation définitive de ce franc-tireur iconoclaste et braqué contre lui tous les faucons du palais et les cadres du parti républicain qui rêvaient lui offrir un enterrement politique de première classe. L’opération liquidation définitive politique ABC est en marche. Maintenant, on ne va pas le lâcher. Il faut lui donner le coup de grâce politique qui l’achèverait.
Selon les Apéristes, son arrogance, son manque d’humilité, son narcissisme, le culte de soi et son égotisme ont fini par excéder Macky Sall. A cela s’ajoute la récente tournée européenne où ABC exigeait la libération d’Aïdara Sylla mêlé à un blanchiment et recyclage de fonds détournés et du jeune Bara Gaye incarcéré pour offense au chef de l’Etat. Ces attitudes jugées fractionnistes ont achevé d’irriter le président de l’Apr, Macky Sall. Ainsi le poids des mots a fait place au choc du divorce.
Les deux hommes ne se parlaient plus depuis le limogeage d’Alioune Badara Cissé de son poste de ministre des Affaires étrangères. Le pôle de communication présidentiel avait intoxiqué l’opinion lors de la célébration de la fête de la Korité en colportant que les deux frères s’étaient retrouvés. Ce qui était l’antipode de la réalité. Certes ils s’étaient rencontrés mais ils ne s’étaient pas retrouvés. Les retrouvailles signifiant qu’il y a des concessions faites de part et d’autres et qui aboutissent à un accord minimal.
Comme dans une opération de storytelling savamment planifiée, les différentes sphères de la galaxie libérale s’adonnent à une palanquée de critiques plus ou moins objectives pour légitimer l’acheminement de l’impénitent ABC au poteau d’exécution. On l’accuse de tous les péchés d’Israël pour mieux le crucifier. Sa liberté de ton et ses prises de position dérangeantes qui détonnent avec celles de Macky ou de l’Apr sont analysées comme activités fractionnistes qui fragilisent le parti républicain. Mais que s’est-il réellement produit pour aboutir à une telle discorde, voire un tel divorce entre Macky et ABC ? Remontons aux premières heures de gésine de l’Apr pour comprendre la situation conflictuelle actuelle entre les deux compères.
Saleh et le retour au Pds
La brouille entre Macky et ABC, qui s’est toujours présenté comme son coadjuteur, ne remonte pas au limogeage de ce dernier du gouvernement d’Abdoul Mbaye, en octobre 2012. Cela date des premières heures de la naissance au forceps de l’Alliance des forces du progrès quand un certain Mahmout Saleh, leader du Nouveau parti (NP), voulut siéger aux réunions de l’Apr. Pendant cette même période assez trouble au sein de l’Apr naissante, la question du retour d’Alioune Badara Cissé au Pds avait été agitée.
Beaucoup le soupçonnaient de vouloir succomber aux offres alléchantes du président Abdoulaye Wade, lequel avait débauché Sitor Ndour de l’Apr, en avril 2009, en le nommant, le 6 mai 2009, ministre conseiller porte-parole du président de la République avant de le placer, quatre mois plus tard, à la tête du Coud (Centre des œuvres universitaires de Dakar).
ABC répétait les brouilles avec le directoire de l’Apr au point que le clash avec Macky était inéluctable. Beaucoup pensaient que le Pds tirait les ficelles surtout que cette situation trouble coïncidait étonnamment avec le départ de Sitor. Et plusieurs actes posés par ABC semblaient corroborer l’éventualité d’un départ. Quand en novembre 2009, le coordonnateur de l’Apr lançait des diatribes contre des partis de Bennoo Siggil Senegaal (dont l’Apr est membre) et plus spécifiquement contre le Ps, Macky était obligé d’intercéder pour arrêter ce qui semblait être une diversion d’ABC qui en réalité faisait le jeu du pouvoir wadien.
Son entretien, à l’insu des instances de son parti, avec le ministre Awa Ndiaye suivi de sa rencontre secrète avec le président Wade, renforçait les certitudes de son départ de l’Apr. Même si les velléités de départ du numéro 2 étaient supposées assujetties à tort ou à raison à des offres mirifiques que lui auraient faites Abdoulaye Wade et son Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, la contestation de la place de Mahmout Saleh, leader du parti le Nouveau Parti (NP), dans les instances de l’Apr, en était aussi pour beaucoup.
ABC ne pouvait comprendre que le trotskyste Saleh infiltrât son parti au point de siéger dans ses instances décisionnelles. Cette occupation illégale de terrain par Mahmout Saleh, sous l’œil passif, voire complaisant de Macky, faisait grincer beaucoup de dents parmi d’autres membres de la direction de l’Apr, lesquels ne comprenaient pas non plus à quel titre y siégeait le leader du NP. Si certains Républicains avaient osé élever la voix pour fustiger l’attitude hybride de Saleh, c’est parce qu’ils le considéraient comme une taupe trotskyste qui demain n’hésiterait pas à faire imploser l’Apr de l’intérieur s’ils se retrouvaient avec Abdoulaye Wade.
Gêné par cette présence ubiquitaire à l’Apr et au NP, Mahmout Saleh avait préféré éclaircir sa posture en démissionnant de son parti, le 30 avril 2010, afin de mettre un terme à cette levée de bouclier que suscitait sa présence au sein d’un parti dont il n’était pas membre. Mais cette liberté de mouvement de Saleh au sein de l’Apr avant son ralliement officiel s’expliquait par sa proximité avec la femme du président Marième Faye qui exerce beaucoup d’influence dans les activités politiques de son mari.
Le ventre mou d’ABC
On connait Saleh, il a toujours joué le rôle de mentor auprès Macky quand ce dernier était ministre libéral. Sa posture de directeur de cabinet politique du président a envenimé sa vieille rivalité avec ABC. Résultat : aujourd’hui ABC est dessaisi de ses fonctions de coordonnateur national de l’Apr. Aujourd’hui, la valetaille présidentielle veut sonner l’hallali de sa carrière politique. A défaut de l’exclure dare-dare de l’Apr, ABC sera ménagé jusqu’aux locales pour le pousser à la sortie.
Limogé du gouvernement, éloigné des instances du parti, ABC qui ambitionnait d’occuper le fauteuil du premier magistrat de la ville de Saint-Louis ne dispose plus d’aucun levier politique pour briguer la mairie de Saint-Louis. A défaut d’un candidat consensuel de la coalition Bennoo bokk yaakaar (si elle est encore en vie à la date des locales), l’Apr présentera Mansour Faye, frère aîné de la Première dame). S’il franchit le rubicond au point de présenter une liste non parrainée par son parti, il officialisera de facto son exclusion de l’Apr.
Le ventre mou d’ABC, c’est qu’il ne dispose d’aucune base populaire affective qui pourrait faire tanguer le navire apériste à Saint-Louis et même dans d’autres localités du Sénégal. Ses Abécédaires ne pèsent pas d’un poids lourd pour apeurer Macky Sall. Ses moyens financiers non plus ne sont que roupies de sansonnet devant la puissante machine financière du président milliardaire de l’Apr. Avec une telle vulnérabilité, pourra-t-il résister devant la redoutable machine broyeuse de l’Apr qui veut l’écrabouiller ? That’s the question !