LE DOULOUREUX PASSAGE DE L’OPULENCE AU DENUEMENT
LES CELEBRITES ET LA PRISON
Se retrouver du jour au lendemain derrière les barreaux, privé de la liberté d’aller et venir et vivre constamment sous la haute surveillance de gardes, c’est une expérience qu’aucun individu au monde ne souhaite connaître. Naturellement, cette épreuve doit être beaucoup plus douloureuse pour des célébrités souvent habituées à vivre dans l’opulence, à mener grand train, et brusquement contraints de se contenter du strict minimum. Depuis l’accession de notre pays à la souveraineté internationale, beaucoup d’hommes politiques, d’hommes d’affaires, d’acteurs du showbiz et du monde des médias ont connu l’enfer du séjour carcéral. On peut citer pêle-mêle Mamadou Dia, Me Abdoulaye Wade, Idrissa Seck, Abdoulaye Bathily, Mamadou Diop Decroix, Mbaye Diack, Dr Diallo Diop, Mademba Sock, Bara Sady, Sada Ndiaye, Abdoul Aziz Tall, Ndèye Khady Guèye, Thierno Ousmane Sy, Amadou Kane Diallo, Barthélémy Diaz, le célèbre importateur de riz Moustapha Tall, Cheikh Béthio Thioune, Luc Nicolaï, les journalistes Cheikh Yérim Seck, Madiambal Diagne et Moustapha Sow, et enfin le célébrissime pensionnaire de Rebeuss Karim Wade. Et la liste est loin d’être exhaustive. «L’As» est allé à la rencontre de certains d’entre eux (le politicien Mamadou Diop Decroix, le syndicaliste Mademba Sock et l’homme d’affaires Moustapha Tall) qui ont accepté de raconter les différentes péripéties de leur séjour carcéral.
«La prison, c’est quelque chose de difficile. On ne souhaite pas la prison à son pire ennemi». Ces propos tenus par Barthélémy Dias juste après son élargissement de la prison le 22 mai 2012, résument parfaitement l’appréhension des Sénégalais par rapport à la prison. Des déclarations qui confortent la position de Me Ousmane Sèye selon laquelle personne au monde ne peut dire qu’il n’a pas peur de la prison. Si l’emprisonnement inspire une telle phobie, c’est parce qu’au-delà de la privation de liberté qu’il implique, il est vécu comme une déchéance sociale suprême, voire une malédiction.
Chez une importante frange de la société sénégalaise, l’incarcération est assimilée à une cinglante et humiliante défaite. Mais Mamadou Diop Decroix, qui a été incarcéré à quatre reprises, bat en brèche l’idée selon laquelle tout le monde a peur de la prison. «Les hommes politiques se foutent pas mal de la prison», recadre le leader d’Aj/Pads tendance opposition. Car en Afrique, indique-t-il, «la prison est la seconde maison des hommes politiques».
DECROIX: «DANS UNE SOCIETE INJUSTE, LA JUSTE PLACE DES JUSTES C’EST LA PRISON»
Un des principaux animateurs du mouvement estudiantin qui a fortement ébranlé le régime de Senghor entre les années 60 et 70, Mamadou Diop Decroix a fait les frais de sa rébellion en subissant la répression du pouvoir qui l’a mis au frais. Sa première incarcération intervient en 1971. Plus de quatre décennies après, Decroix qui est crayonné comme un homme courageux et teigneux en garde des souvenirs impérissables. «Mon premier contact avec le milieu carcéral ne m’a fait aucun effet. Je découvrais avec intérêt la prison, mais cela ne m’a pas du tout perturbé. Je n’avais absolument pas peur de la prison. Car tout dépend de pourquoi vous allez en prison, ce qui est à la base de votre emprisonnement », rectifie d’emblée l’ancien ministre du Commerce avant de retracer le contexte dans lequel est intervenue son incarcération. «Au début des années 70, le régime de Senghor a été sérieusement secoué. Et ce fut une décennie de répression très violente. Il y avait dans le pays un mouvement populaire insurrectionnel puisque les étudiants avaient fait front avec les travailleurs pour combattre Senghor. Donc c’était un contexte assez difficile pour Senghor qui avait durci ses positions au point de fermer l’université. Si bien que nous qui étions dans l’opposition clandestine, nous nous attendions à tout moment à être assassinés.
Par conséquent, c’était une aubaine qu’on nous envoie en prison. Notre credo à l’époque, c’était ceci : dans une société injuste, la juste place des justes c’est la prison ». A la faveur de la forte agitation qui régnait à l’université de Dakar, Decroix est arrêté en 1971 en compagnie des Abdoulaye Bathily, Mbaye Diack, Famara Sarr, Mamadou Sall, Bassirou Faty, Sakhewar Diop, Mohamadou Sanokho, Mbaye Diouf, Tidiane Ly, Pape Konaré Niang, Alhousseynou Cissé. Decroix est ensuite enrôlé de force dans l’armée pendant 18 mois et envoyé à la prison militaire de Tambacounda où la chaleur était étouffante. «Il faisait 45° à l’ombre. Dans nos cellules, on avait remplacé les fenêtres par des contreplaqués de sorte qu’on ne pouvait pas distinguer le jour de la nuit. Nous étions douze dans la pièce et les toilettes se trouvaient à l’intérieur. Les gens pensaient qu’on allait y rester», se rappelle le coordonnateur du Fpdr qui ne manque pas de relever la grande capacité d’adaptation de l’être humain. «Car malgré l’installation des contreplaqués, le jour on arrivait pratiquement à lire. Le commandant du camp, qui voyait qu’on n’était pas malheureux, a décidé de nous faire sortir et de nous larguer».
DANS LES CELLULES, LES FENETRES ONT ETE BOUCHEES PAR DES CONTREPLAQUES
Véritables têtes brûlées, Decroix et ses codétenus n’avaient pas hésité pas à défier le commandant du camp en observant pendant une semaine une grève de la faim. «Malgré la grève de la faim, on nous apportait toujours des repas et des fruits. Ce qui constituait pour nous une torture. La plus grande torture quand vous avez faim et que vous avez décidé de ne pas manger, c’est qu’on vous apporte des repas et que vous n’y touchez pas», se souvient-il en guise d’anecdote. Autre anecdote : «pendant la guerre de libération de la Guinée Bissau menée par l’armée de libération du Paigc qui se battait contre les troupes coloniales portugaises, on nous a balancés à la frontière bissau-guinéenne. Car Senghor ne voulait pas que les guerrilleros traversent la frontière, pour ne pas impliquer le Sénégal. Dans le quartier général où j’étais à Pakour dans le Kolda, toute la nuit on entendait le bruit des armes. On se disait qu’à tout moment les gars pouvaient venir. Du coup, on ne dormait pas et on était sur le qui-vive».
BALANCES A LA FRONTIÈRE BISSAU-GUINEENNE AVEC DES MINUTIONS AVARIEES
Mamadou Diop Decroix et les autres soldats sénégalais positionnés à Pakour, près de la frontière bissau-guinéenne sont de véritables miraculés. Il suffisait juste d’une petite incursion des guerrilleros ou des troupes portugaises dans leur base pour qu’ils passent de vie à trépas. Car durant tout le temps qu’ils étaient à Pakour, ils étaient sans moyens de défense puisqu’ils ne disposaient que de minutions avariées. «Lorsque nous avons quitté Pakour et que nous sommes retournés à Tambacounda pour les exercices de tir, nous nous sommes rendu compte que les caisses de minutions étaient toutes avariées. Donc, si les gens nous avaient surpris sur place, ils nous auraient égorgés tout simplement», relate-t-il.
«TUE A SANTHIABA MANJACK, L’ETUDIANT ALHOUSSEYNOU CISSE A ETE ENTERRE SANS TETE»
Sur les douze étudiants enrôlés de force dans l’armée et envoyés à la frontière sud lors de la guerre de libération de la Guinée Bissau, si les onze s’en sont sortis indemnes, ce n’est malheureusement pas le cas de Alhousseynou Cissé. Etudiant en deuxième année de droit, Cissé est mort au front à Santhiaba Manjack, tué par les supplétifs portugais qui lui ont coupé la tête. «On l’a enterré sans tête à Ziguinchor. Mamadou Sall, frère de l’ancien ministre Seydou Sy Sall, était présent au moment où Alhousseynou Cissé a été tué. A l’annonce de sa mort, il y a eu beaucoup de grabuges à l’université de Dakar», affirme Decroix avant d’ajouter : «quand nous avons appris la nouvelle à Bignona où nous étions, Sakhewar Diop et moi, notre seule réaction c’était de savoir qui allait être le suivant. Tous les jours, on s’attendait à ce qu’un ou plusieurs d’entre nous meurent. Pourtant, nous n’avons jamais flanché». Après 18 mois de séjour sous les drapeaux marqués par 45 jours de prison militaire, Decroix est de nouveau envoyé derrière les barreaux en 1975. Une fois de plus, les motifs de son arrestation sont relatifs à son opposition aux réformes universitaires instituées par le régime de Senghor.
Sous le coup de l’article 80 du Code pénal, il est jugé pour troubles à l’ordre public, actes et manoeuvres de nature à jeter le discrédit sur les institutions de la République et condamné à huit mois de prison ferme. «Je retournais en prison avec fierté. Durant mon emprisonnement, mon épouse qui portait notre premier enfant était fière de voir son mari s’opposer à un régime autocratique. Elle était au front du combat. Ma maman ne m’a jamais découragé, mon père non plus», déclare l’ancien ministre d’Etat sous Wade, avant d’ajouter : «le pouvoir d’alors savait que je m’en foutais pas mal de la prison. Alors par décret du président de la République, j’ai été exclu de l’université de Dakar et empêché de m’inscrire dans toutes les écoles supérieures du Sénégal». En 1985, à l’occasion d’une marche anti-apartheid, Decroix est encore arrêté en même temps que Wade, Mazid Ndiaye, Bathily, etc. Ils passent la Tabaski en prison. C’était la première fois que Me Wade allait en taule. «Diouf a considéré qu’on voulait saboter la visite de Mobutu, alors que je n’étais même pas au courant que Mobutu venait au Sénégal», argue-t-il.
MADEMEBA SOCK
Seize ans après, la bravoure et l’héroïsme de Mademba Sock sont encore loués à la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss où il a séjourné de juillet 1998 à 22 janvier 1999. Emprisonné en compagnie de 26 dirigeants syndicaux pour s’être opposé au projet de privatisation de la Senelec, le leader du Sutelec n’a jamais flanché en prison, selon des agents de l’administration pénitentiaire. Le principal concerné joue à fond la carte de la modestie et vend sa recette qui consiste, dit-il, à «penser sa vie et vivre sa pensée».
Pour Mademba Sock, «c’est un concept qui vous permet de surmonter toutes les épreuves. Quand on est dans certaines situations, on est obligé de recourir à la foi et l’engagement». En tant que leader d’un groupe «qui est agressé et pour lequel l’Etat attendait des moments de faiblesse», Sock s’est construit une carapace autour de sa personne. Et cela, bien avant la prison. «Cela peut m’arriver et voilà comment je devrais me comporter », explique le leader de l’Unsas, attablé dans un célèbre restaurant de la place en cette journée de mars. «En prison, je faisais du sport, je lisais beaucoup et je réfléchissais. C’est quand même un lieu de réflexion. Le rôle du leader c’est de tirer les autres. Chaque fois, j’essayais d’appuyer des camarades qui n’étaient pas forts psychologiquement. Le sport m’a beaucoup aidé à tenir le coup à Rebeuss», soutient l’emblématique leader du Sutelec. Quand on a fait la prison, note-t-il, on n’a plus peur de rien.
«EN PRISON, ON ESSAIE DE VOUS DEPERSONNALISER»
D’un caractère trempé et vrai dur à cuire, Sock a tenu à marquer son territoire dès son arrivée à Rebeuss. Il raconte : «les relations ont été houleuses entre les gardes et moi. L’administration pénitentiaire n’admettait pas que les détenus achètent des produits à l’extérieur et les amènent à l’intérieur de la prison. Mais nous, nous étions 27 personnes et nous avions l’habitude d’acheter du pain et du sucre à l’extérieur. A un moment donné, le régisseur a tenté de nous vendre par tous les moyens certains produits comme le sucre et le café. Le petit sachet de café qui coûtait 25F était vendu à 50F dans la prison.
Considérant cela comme de l’arnaque, j’ai refusé de prendre. Résultat : j’ai eu des problèmes avec le régisseur. C’est ainsi que j’ai adressé une lettre au ministre de la Justice de l’époque, Serigne Diop, via le régisseur qui était obligé de transmettre le courrier. Dans la lettre, j’attaquais le régisseur lui-même. Ce commerce déguisé, pratiqué par l’administration pénitentiaire, était une manière pour le pouvoir de nous affaiblir. Mais cela ne m’a jamais fait flancher. Au contraire, un jour j’ai apostrophé des gardes en leur disant : «on vous amène toujours de l’argent à la porte : il faut que vous arrêtiez, sinon je vais vous dénoncer. A partir de ce moment, les gardes ont compris que j’étais décidé à me battre».
SOCK EN A FAIT BAVER LES GARDES
Alors que la majorité des Sénégalais ont une grande appréhension du milieu carcéral, Mademba Sock relativise : «la prison est plus accueillante que les violons des commissariats de police. Mais le problème de la prison, c’est qu’on essaie de vous dépersonnaliser. Quand vous êtes pudique, vous êtes obligé d’aller aux toilettes très tôt le matin, avant que les autres ne se réveillent et vous observent». Pour tuer le temps, Sock se jette dans la lecture et s’adonne à la belotte et au sport. Le pensionnaire de la cellule 38, qui a adopté les caïds de l’époque comme le célèbre Ino et Pape Ndiaye, se montre alors fervent amateur des séances de lutte. «Ino qui m’appelait «père» était un excellent lutteur, mais il n’y avait que moi pour le faire lutter. Dès que je le lui demandais, il priait quatre rakkas et s’introduisait dans l’enceinte de l’arène. La prison est un milieu à part», indique Sock qui s’offusque du fait que la reconversion soit souvent ratée.
Un des rares détenus à ne pas porter de gris-gris lors de son incarcération et acclamé par les prisonniers à son arrivée à Rebeuss, Sock faisait beaucoup dans le social. Si bien qu’il a été adoubé par la plupart des détenus. Soutenu par ses deux épouses qui se sont beaucoup impliquées dans le combat, le syndicaliste est davantage ragaillardi par le fameux tube «Mademba» que Youssou Ndour a chanté en son honneur. «En prison, la chanson passait en boucle sur la bande Fm et les autres détenus la reprenaient en choeur», se rappelle Mademba Sock qui, à la veille de sa sortie le 21 janvier 1999, a demandé à goûter pour la première fois au fameux «Diagan» (Ndlr, le repas préparé en prison et qu’on sert aux détenus).
SEJOUR DE IDRISSA SECK ET DE BARA TALL
Si Mademba Sock est cité en exemple de détenu courageux, Idrissa Seck, ancien Premier ministre de Abdoulaye Wade, n’est pas en reste. Pendant son séjour de plus de six mois à Rebeuss, il serait resté intact, assure une source pénitentiaire. Il disait aux gardes qu’il ne leur demandera jamais un service, révèle notre interlocuteur. «Si je le fais, on me le reprochera quand je serai Président de la République et que je sois amené à vous voir défiler devant moi. Durant donc tout le temps que je passerai ici, je ne vous demanderai rien». Ainsi dit, ainsi fait. D’autres sources indiquent toutefois que Idrissa Seck était devenu nerveux vers la fin de son séjour. «Il se montrait de plus en plus désagréable envers les gardes pénitentiaires et leur criait dessus », assure un de nos interlocuteurs. «Surtout quand les négociations avec Wade ont commencé à piétiner», croit savoir un autre de nos interlocuteurs. Il n’est pas le seul à s’être montré désagréable envers les gardes pénitentiaires. Tel personnage célèbre pour ses écrits et séjournant au Camp pénal ne supportait pas de ne pouvoir recevoir sa mère dans un pièce confortablement aménagée. Aussi, refusait-il tout simplement de recevoir. Tel autre Directeur général de société nationale, emprisonné en fin 2001, se défoulait sur son avocate et sur le régime de Wade pour déverser son trop plein de rancoeur.
Autre exemple de courage en prison, c’est bien l’entrepreneur Bara Tall, inquiété dans l’affaire dite des chantiers de Thiès. «Fort du soutien constant du personnel de Jean Lefebvre, de ses amis et parents, Bara est resté le même», soutient un élément de l’administration pénitentiaire qui l’a côtoyé.
MOUSTAPHA TALL, HOMME D’AFFAIRES LE SUCRE SALE DE L’IMPORTATEUR DE RIZ
Dans le monde des affaires, ils ne sont pas nombreux ceux qui ont survécu à la prison. Adel Korban, Oumar Ba (un richissime commerçant qui était établi à Kaolack) et Khadim Bousso sont tous décédés alors qu’ils avaient maille à partir avec la justice. Moustapha Tall, le célèbre importateur de riz, est l’un des rares hommes d’affaires à se rappeler et à raconter les 58 jours qu’il a passés derrière les verrous. Ecroué le 7 septembre 2004 dans une sombre affaire de fraude douanière sur le sucre, qu’il considère comme un faux dossier monté de toutes pièces, l’homme d’affaires affirme avoir été imperturbable à l’annonce de sa mise sous mandat de dépôt par le juge Moustapha Fall qui siégeait à l’époque au 3ème cabinet d’instruction. «Quand le juge Moustapha Fall m’a placé sous mandat de dépôt, cela ne m’a pas surpris parce que je savais que je serais pris. Sur le coup d’ailleurs, j’en ai rigolé parce qu’on m’a écroué sans dossier et sans que je sois entendu. Il ne pouvait même pas soutenir mon regard», dit-il en se redressant dans son fauteuil. A la chambre 43 de la Mac de Rebeuss qu’il partage avec 20 détenus, il se montre stoïque et parvient à tenir le coup. «J’ai un mental fort, j’ai été éduqué comme cela. Donc ce n’est pas cela qui pourrait m’ébranler. Je considérais mon séjour à Rebeuss comme un pèlerinage, à l’image de mon guide le vénéré Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké qui a été déporté par les Blancs. Je l’ai pris avec philosophie», clame-t-il.
Alors qu’il avait refusé de transiger avec la Douane qui lui réclamait 650 millions F en guise de différentiel de péréquation, Moustapha Tall s’est senti lâché aussi bien par l’Unacois que ses collègues commerçants a compris qu’il ne devait compter que sur lui-même pour s’en sortir. Il casse sa tirelire et décaisse un milliard de francs Cfa pour recouvrer la liberté, après 58 jours de détention au cours desquels il a reçu de nombreuses visites. N’empêche, il considère que c’est dangereux de mettre les gens en prison. «J’ai été particulièrement frappé par la promiscuité dans le milieu carcéral. Des personnes qui viennent de divers horizons sont entassées par dizaines dans des cellules et on les entendait crier, se cogner la tête contre le mur», raconte notre interlocuteur qui ne s’étonnerait guère que des individus en arrivent à se suicider dans le seul but d’éviter la prison.
CONFIDENCE D’UN PROCUREUR : «Placé sous mandat de dépôt, un homme marié demande souvent s’il peut appeler son épouse…»
Avec plus d’une dizaine d’années d’exercice dans la magistrature, un parquetier qui a eu à notifier à des centaines d’individus leur mise sous mandat de dépôt a relevé les mêmes réactions chez ces clients particuliers et noté l’importante place que la mère, l’épouse, bref la femme occupe dans les moments de difficultés. Sous le sceau de l’anonymat, un procureur qui a longtemps servi au tribunal régional hors classe de Dakar déflore les conduites adoptées dans le secret de son bureau. «Très souvent, quand un homme marié est inculpé et placé sous mandat de dépôt, la première réaction qu’il a c’est de dire : « est-ce que je peux appeler mon épouse ?». S’il s’agit d’homme célibataire, il dira : «puis-je appeler ma mère ? » Et d’habitude, ce sont les épouses et les mères qui font les différentes tractations et les démarches pour trouver un avocat. Il peut arriver qu’une femme qui a un bébé soit mise sous mandat de dépôt. Dans ce cas, elle est souvent accompagnée de son mari qui s’empresse de prendre le bébé et de le mettre face au mur, pour qu’il ne voie pas la détresse de la maman», confie un procureur qui a aussi remarqué la grande propension des personnes écrouées à invoquer Dieu. «Ce sont des gens qui retournent rapidement vers Dieu et retrouvent la foi. «Allahou Akhbar», «Mouhamed Rassoulilahi» font partie des premiers mots qu’ils prononcent. A la cave, quelle que soit l’heure, ils demandent aux gardes s’ils peuvent faire leurs ablutions et prier, ne serait-ce que quatre rakkas».