LE DROIT À LA MARCHE DANS UN ETAT DE DROIT : CE QUE L’OPPOSITION IGNORE
Si l’Exécutif peut, et cela est légal, intervenir pour arrêter des poursuites, il ne peut libérer qui que ce soit
L’Etat est aujourd’hui considéré par les constitutionnalistes comme la forme d’organisation la plus achevée des sociétés politiques. Cet Etat que l’on oppose souvent à la monarchie, demeure une organisation politique qui garantit les droits des citoyens. On parle alors d’Etat de droit.
L’Etat de droit est un modèle théorique, mais il est devenu aujourd’hui un thème politique puisqu’il est considéré comme la principale caractéristique des régimes démocratiques. L’Etat de droit est donc un système institutionnel dans lequel les citoyens et la puissance publique sont soumis au droit, où les décisions de l’Etat sont soumises au respect de la légalité à l’instar des autres personnes juridiques ; un Etat où la hiérarchie des normes est respectée. Ce dernier principe permet d’encadrer l’action de la puissance publique en la soumettant à la légalité et au respect des principes constitutionnels, afin que les décisions prises par l’Etat respectent les normes juridiques en vigueur.
L’Etat de droit est aussi un Etat où tous les citoyens sont égaux devant la loi. Mais l’Etat de droit est aussi et surtout un Etat qui consacre la séparation des pouvoirs par une indépendance de la justice et la garantie des libertés. A ce titre, l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (Ddhc) dispose : «Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de constitution».
La séparation des pouvoirs est une notion garantie par la Constitution du Sénégal à son article 88 qui dispose que «le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif». Elle signifie que les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire doivent être séparés parce que comme le dit Montesquieu «tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser» et «s’il est concentré entre les mains d’une seule personne ou d’un seul organe, il n’y a point de liberté». Il faudrait donc «que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir».
Ce principe fondamental de l’Etat de droit interdit au président de la République, par ailleurs gardien de la Constitution, de s’immiscer dans le pouvoir législatif et dans le pouvoir judiciaire. Il est donc choquant dans une République de voir certaines personnes demander au président de la République de faire libérer un individu qui a maille à partir avec la justice. Le faire, c’est même manquer de respect à la justice et aux magistrats.
Même si l’on sait que dans notre droit interne le parquet peut recevoir des ordres écrits, ce qui est conforme à la législation au nom du principe de hiérarchie qui gouverne les magistrats du parquet, il n’en est pas de même pour les juges qui sont au service de la loi. Même si tant est que le président de la République demande une faveur au juge, celui ci a toutes les garanties pour refuser.
Si l’Exécutif peut et cela est légal, intervenir pour arrêter les poursuites, il ne peut pas demander au juge de libérer qui que ce soit, au nom du principe de la séparation des pouvoirs.
L’Etat de droit est aussi un Etat qui assure la garantie des libertés collectives et individuelles, dont le droit à la marche prévu à l’article 10 de la Constitution. Aux termes de cet article, «chacun a le droit d’exprimer librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique...».
Ceux qui évoquent ce droit pour marcher sans autorisation, ont délibérément omis la suite de l’article qui précise ceci «...Pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte à la considération d’autrui, ni à l’ordre public».
Cette précision est importante puisqu’elle amène des restrictions à ces droits qui doivent selon la Constitution s’exercer dans le cadre des lois et règlements. La Constitution, de manière générale énonce de grands principes et renvoie à la loi pour son application.
Même si le droit à la marche est un droit constitutionnel, sa mise en œuvre relève de la loi, puisqu’il faut au préalable faire une déclaration préalable. Cette déclaration n’est cependant pas une simple formalité comme le pense l’opposition. C’est l’occasion pour l’autorité administrative de vérifier le respect par le déclarant de certaines conditions de forme, comme le lieu de la manifestation, la date et l’heure, l’itinéraire à emprunter et à des conditions de fond comme le motif de la marche.
Au-delà de ces conditions, l’autorité administrative à l’obligation de vérifier si la manifestation ne trouble pas l’ordre public et cette appréciation relève de la seule autorité administrative, qui dispose en l’espèce d’un pouvoir discrétionnaire.
Dans les deux situations, l’opposition avait la possibilité d’attaquer la décision du préfet devant la seconde chambre de la Cour Suprême, par un recours pour excès de pouvoir, pour violation de la loi, ou pour erreur manifeste d’appréciation. Ce recours au juge est important, parce que ce sera l’occasion pour le juge de nous éclairer sur l’encadrement du droit à la marche.
Cette décision fera jurisprudence et l’Etat sera tenu de l’appliquer. C’est ce qui se passe dans les grandes démocraties. Malheureusement, au Sénégal, l’on n’a pas l’habitude de saisir le juge alors que c’est cette saisine qui permettra à l’administration de respecter ultérieurement la règle de droit et qui permettra un développement du droit administratif.
Concernant les manifestations du samedi 31 janvier 2015, l’Etat pouvait pour éviter des heurts, autoriser la marche, mais on a noté quelque part une attitude non républicaine de l’opposition, qui a déclaré qu’elle allait marcher avec ou sans autorisation.
Dans cette affaire, le préfet a estimé que certaines conditions n’étaient pas réunies et qu’il y avait des vices de forme dans la demande. Je précise ici que l’administration est neutre et que contrairement à ce que pensent certains analystes, elle n’a pas à rectifier une demande. Elle l’accepte ou la rejette.
Le Pds pouvait donc reformuler sa demande, ne serait-ce que pour vérifier la bonne foi du préfet et déposer une autre demande conformément à ses exigences. Ce dernier allait l’autoriser parce que les seules allégations évoquées par le préfet reposent sur des vices de forme.
L’on ne peut pas à mon avis, dans un Etat de droit, aller à l’encontre de la règle de droit sans sanction.
Il est donc regrettable que malgré l’interdiction de marcher, l’opposition se soit obstinée tout en sachant que l’Etat qui a le monopole de la violence légitime, ferait face.
En définitive si l’on veut sauver la république, on doit inviter l’Etat à autoriser les marches si toutes les conditions requises par la loi sont réunies. Il s’agit là d’une liberté garantie par la Constitution. Mais l’on ne doit pas également abuser d’une liberté au point d’entraver la marche de l’Etat et la quiétude des citoyens.
Il ne faudrait surtout pas que l’on fragilise l’Etat en violant la loi, surtout si cela émane de personnalités qui ont eu à gérer ce pays. Si l’on permet à des individus de marcher sans autorisation et si l’Etat laisse faire, sa crédibilité va en pâtir. L’on ne sera plus en face d’un Etat, mais en pleine anarchie. Que Dieu nous en préserve !
Face à la violation de la loi et des principes républicains, l’Etat doit rester fort et vigilant.
En conclusion, il serait souhaitable pour les deux parties : Etat comme opposition, de faire du droit un instrument privilégié de régulation de l’organisation politique et sociale pour que vive la République.