LE DROIT DE VOLER L’ARGENT PUBLIC
BIENS MAL ACQUIS
La succession de feuilletons judiciaires de plus en plus spectaculaires a fait gagner à chaque sénégalais le droit de s’enrichir en se rapprochant du pouvoir central. Il risque au plus un enrichissement licite ou illicite selon le clan qui gouverne et le devoir pour un fonctionnaire consciencieux de restituer une partie du butin. Loin de nous la déviance de promouvoir la médiocrité ou d’empoisonner les mœurs, au moment où il s’agit de les assainir mais la normalisation de la bêtise qui façonne nos sociétés crève les yeux.
La ritournelle de la traque des biens dits mal acquis agaçait déjà mais au fil des rebondissements, le citoyen finit par envier le justiciable : Devenir milliardaire en un rien de temps démagogique et s’abriter sous l’étoffe politique. L’affaire Tahibou Ndiaye est le dernier épisode de la série. La justice demandait à l’ancien directeur du cadastre de justifier une fortune estimée à presque 8 milliards de Francs CFA. Mais au final, après un accord avec le prévenu, la justice a saisi l’équivalent de 4,6 milliards de Francs CFA en biens immobiliers auprès de l’ancien fonctionnaire. En se débarrassant de quelques biens immobiliers comme le boulanger qui donne quelques baguettes de pain pour acheter sa liberté, il échappe au pire au nom d’une atrocité qui a pour nom la médiation pénale.
La confusion
L’avènement d’un nouveau gouvernement n’était pas un contre feu suffisant pour comprendre en quoi le voleur de poulet qui reconnaît son forfait et restitue un gigot est désormais disculpé quand de simples suspects croupissent derrière les barreaux. Me Ousmane Séye, avocat non moins politique, souleva bien tôt la cacophonie. Aux termes de l’article 140 du code de procédure pénale, la médiation pénale n’est pas envisageable en cas de détournements de fonds publics. Elle dispense certes le prévenu des poursuites à l’issue d’un compromis entre parties mais il s’agit notamment de délits relativement moins graves comme les détournements de fonds privés, l’abus de confiance ou l’escroquerie. Par contre, les personnes poursuivies pour détournement de fonds publics peuvent bénéficier de la transaction pénale mais le remboursement des sommes dues ne les épargne pas de poursuites ou en tout cas, elles ne peuvent obtenir leur liberté sur le coup d’un quelconque arrangement politique.
Comme on peut le voir dans l’un ou l’autre cas, il n’y a pas d’alchimie possible qui disculpe les bandits à col blanc. Mais, les politiques ont trouvé une pirouette dont ils abusent si bien qu’elle s’apparente à un appel officiel au détournement de fonds publics à condition de ne menacer aucune ambition politique. Les spécialistes de la langue de bois parlent d’une proposition intelligente parce que dit-on le recouvrement judiciaire prendrait plusieurs années. D’autres simulent l’indépendance illusoire de la justice. Ibrahima Fall, candidat à la présidentielle visiblement resté indépendant contrairement à d’autres compétiteurs de 2012 voit dans cette démarche, une forme de "marchandage… cela n’est pas de la justice mais une forme de compromission.
Pourtant, ils auraient pu convaincre le professeur Fall car tout est possible si la qualification pénale relève de l’enrichissement illicite.
La pirouette
La loi de 1981 créant le rouleau compresseur d’Alioune Ndao est muette sur la question mais le procureur spécial ayant les mêmes prérogatives que celui de la République sous réserve de ses pouvoirs spéciaux peut concéder une médiation à la lumière des dispositions de l’article 31 du code de procédure pénale. C’était le premier argument de l’ex-ministre de la justice, étendu d’ailleurs à l’interdiction de sortie du territoire. Des questions qui ont fait d’elle à tort ou à raison la vedette d’un gouvernement peu aperisé, avant de contribuer à la propulser, avec son parti politique, à la primature. Toute la précision réside dans l’exigence faite au justiciable de restituer l’intégralité des fonds. Ibrahima Fall est suivi par le collectif des imams de Guediawaye, le Mouvement du 23 juin et Y’en a marre visiblement plus en phase avec le code de procédure pénale et qui exigent une procédure transparente jusqu’au bout.
D’après le porte-parole du gouvernement Abdou Latif Coulibaly, le procureur n’a fait qu’appliquer la loi de 1981 sur l’enrichissement illicite qui donne à tout prévenu selon le ministre, le droit de se dénoncer et de restituer ses biens. Si tant est que Tahibou Ndiaye a procédé par médiation pénale, comment donc aurait-il recouvré la liberté sans restituer l’intégralité ? Que sont devenus les chèques brandis à la télévision il y’a quelques mois comme le butin de la lutte contre l’enrichissement illicite ? Ainsi donc, il est possible de suivre les pas des patrons de Suneor du cadastre et bien d’autres prévaricateurs dont les arrangements avec le régime de Macky Sall restent secrets.
Toutes ces questions sans réponse laissent planer de lourds soupçons de prestidigitation tant il est grave d’omettre le principe de publicité pour certains justiciables et tympaniser l’opinion avec des montants astronomiques pour d’autres. N’en déplaise aux clauses de confidentialité que le demandeur de la transaction aurait fait valoir. L’indéfendable Karim Wade est exclu de ce fourre-tout politique qui fait convoiter les raccourcis du pouvoir plutôt que de se retrousser les manches. Il est donc clair qu’à ce rythme, la commission nationale de recouvrement annoncée mourra des maladies du système avant de voir le jour faute de morale publique.
Soupçonné de corruption dans les contrats en Iran, le groupe pétrolier français Total a transigé d’un montant de près de 400 millions de dollars aux Etats-Unis, mais la procédure était sans secret et il est resté menacé d’un procès en France. Macky Sall ne sera pas le premier à jouer à ce jeu de conspiration politique sur le dos du contribuable mais l’histoire est pauvre en success stories de sa méthode. Des pays comme le Gabon l’ont initiée sans succès. Au Cameroun, la création d’un tribunal criminel spécial a institutionnalisé le remboursement des fonds contre l’abandon des poursuites mais le pouvoir en place tient toujours le couteau par le manche car, la loi dispose que le corps du délit est restitué totalement et le procureur n’arrête les poursuites que sur autorisation écrite du ministre de la justice.
Une méthode qui coûte en plus à la démocratie cette interférence impardonnable de l’exécutif dans le judiciaire. Rupture et vertu n’étaient-elles donc que légitimation de la gabégie ? Rousseau dut poser à ce sujet toute la question de notre profonde introspection humaine s’il en existe encore chez les politiques sénégalais : "Ne savez-vous pas que la vertu est un état de guerre, et que, pour y vivre, on a toujours quelque combat à rendre contre soi ?"