LE GÉNÉRAL ABDOULAYE FALL FACE AU PELOTON DE L’OPINION PUBLIQUE
ACCUSÉ D'ENRICHISSEMENT ILLICITE PAR SON ANCIEN ADJOINT
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Les langues se délient et il fallait bien s’y attendre. Hier, “Le Quotidien” a ouvert ses colonnes à un ancien sous-officier de gendarmerie, démissionnaire, et qui reprend à son compte les graves accusations contenues dans l’ouvrage “Pour l’Honneur de la Gendarmerie”, portées par son auteur, le colonel Abdoul Aziz Ndaw, à l’encontre du général Abdoulaye Fall, ancien tout puissant patron des pandores sénégalais, sous le régime de Me Wade et quelques mois sous celui de Macky Sall. Il aura duré au poste huit ans. Entre 2005 et 2008, le colonel Ndaw, son ancien ami, devient son second.
Le colonel Ndaw dit avoir été témoin d’actes de prévarication, de détournements de deniers publics, de “services camarades” ; il a surtout été ulcéré par des accusations portées contre sa personne, les lettres restées sans réponse, les micmacs au sein de l’entourage présidentiel, et sa “mise à mort” pour laisser le champ libre au général Fall.
Le malaise -qui vire à l’affaire d’Etat- vient du fait que le gouvernement ne se prononce que sur l’aspect du dossier qui intéresse le moins les Sénégalais : le manquement d’un officier à son devoir de réserve ; la commission de graves fautes disciplinaires et une infraction aux règles de protection du secret.
La culture du secret, arme des puissants à la tête de nos Etats, cause très souvent de gros dommages à l’impératif de transparence dans la conduite des affaires publiques. Le scandale qui secoue la gendarmerie intéresse plus l’opinion publique (chauffée à blanc) par son volet “délinquance financière” et “biens mal acquis”, que ses relations avec l’armée.
Les dernières infos recueillies au cours des dernières heures confirment la volonté des autorités de lancer une procédure disciplinaire contre le colonel Ndaw. Il serait tout aussi heureux que les révélations-accusations contre le Général Fall connaissent une suite. Au fur et à mesure que les demandes de reconnaissance des nouveaux Droits explosent et que le pouvoir citoyen fait chanceler les dernières impunités, la justice pour tous devient inéluctable.
Le Général Abdoulaye Fall, actuel ambassadeur du Sénégal au Portugal doit défendre son honneur. Sous sa conduite, la gendarmerie est restée fidèle à elle-même et a joué sa partition dans la marche du pays, surtout aux heures critiques.
Mais certains faits évoqués dans “Pour l’Honneur de la Gendarmerie” sont, pour la plupart similaires, ou de moindre gravité en termes de charges pénales, aux présomptions qui font croupir actuellement des personnalités de l’ancien régime en prison. La lutte contre la corruption est devenue l’un des baromètres de la bonne gouvernance.
L’ouvrage du colonel Ndaw ne manque pas de saluer la probité de la plupart des collègues de son auteur ; mais quand les mauvaises habitudes perdurent, elles deviennent des institutions.
A l’heure actuelle, le Sénégal est sans doute l’un des pays au monde les mieux outillés pour la lutte contre les différentes formes d’agression du bien public : Inspection générale d’Etat, Cour des comptes, Ofnac, Centif (contre le blanchiment de l’argent sale), sans compter les nombreuses “inspections” et “contrôles de gestion” qui papillonnent dans nos administrations.
Pourquoi donc le festin prend-il de l’ampleur, malgré la clameur et la montée en puissance de la presse qui traque, elle aussi à sa manière, les prévaricateurs. Mais son rôle s’arrête à la diffusion de l’information, à sa mise à jour, et à d’éventuelles prises en charge médiatiques des “dégâts collatéraux” induits par la révélation de faits constants et troublants.
La corruption apparaît chaque fois que la frontière entre la logique administrative d'intérêt général et la logique économique d'intérêt privé s'estompe ; elle est donc favorisée par l'effacement contemporain de la sphère publique, par l'assimilation à peu près exclusive de la réussite et de l'enrichissement. La réussite et l’enrichissement, les deux nouvelles mamelles de la société sénégalaise.
JEAN-HUGUES MATELLY
Le gendarme français qui a été radié par mesure disciplinaire
Le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw ne semble pas être le seul à avoir eu à révéler des secrets qu’il ne fallait peut-être pas. En France, le chef d'escadron Jean-Hugues Matelly a été radié des cadres de la gendarmerie nationale par "mesure disciplinaire", avant de reprendre fonction une année après.
Pour avoir manqué à son obligation de réserve, le gendarme Matelly s'était attiré les foudres de l'administration, en s'exprimant dans les médias, en tant que chercheur du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Jean-Hugues Matelly a été sanctionné pour s'être prononcé publiquement contre le rapprochement police-gendarmerie et le rattachement de son arme au ministère de l'Intérieur. L'officier expliquait s'être exprimé comme chercheur associé au CNRS, ce qu'il est également au sein du Cesdip, un groupe animé par le sociologue Laurent Mucchielli, très hostile à la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy.
Il n'en était pas à son premier fait d'armes: en 2003, ce gendarme brillant, titulaire d'un doctorat de sciences politiques, avait déjà été sanctionné pour un “article” critique sur “l'obligation de résultats”. Qualifié de “franc-tireur” et de “grosse tête” par les plus gradés, il avait également écrit un livre mettant en doute les chiffres de la délinquance, co-signé avec le sociologue Christian Mouhanna.
Radié en mars 2010, le gouvernement français reviendra sur sa décision, lui permettant ainsi de reprendre fonction le 11 janvier 2011.
Né le 10 décembre 1965 à Montpellier, l’officier français Jean-Hugues Matelly s’est d’abord distingué par des réflexions innovantes et critiques, en matière d’usage du jeu de guerre en formation tactique, de réflexions éthiques et juridiques sur la problématique de l’ordre illégal.
Il a également mené de front une carrière militaire dans la gendarmerie nationale et des travaux universitaires dans le champ de la sécurité au sein du Centre d'études et de recherches sur la police (CERP) à l'institut d’études de Toulouse, puis au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).
Sur le plan universitaire, ses travaux portent essentiellement sur la sociologie de la police et des gendarmes dans l’exercice de leurs fonctions de police judiciaire, sur les politiques publiques de sécurité et l’évaluation statistique des phénomènes de délinquance.
“Leader” et membre fondateur du mouvement “Gendarmes et citoyens”, sa liberté de ton et d’analyse l’ont régulièrement conduit à être sanctionné par la hiérarchie militaire sur le fondement avancé du “devoir de réserve”. Il s’exprime d’ailleurs régulièrement en faveur de la libéralisation de l’expression individuelle et collective des militaires français, dont le statut général des militaires limite significativement les libertés publiques.
Dans un contexte bien plus grave, le général Jacques de Bollardière n'avait pas été rayé des cadres, à la suite de ses propos dénonçant la torture en Algérie, qui lui avait pourtant valu deux mois de forteresse. Quant aux officiers de gendarmerie, condamnés au pénal dans l'affaire des paillotes corses, ils n'ont pas fait l'objet de sanctions disciplinaires.