LE GRAFFITI SÉNÉGALAIS EST TRÈS RESPECTÉ DANS LE MONDE
DOCTA, ARTISTE
Docta, de son vrai nom Amadou Lamine Ngom, est un jeune artiste sénégalais qui a commencé par faire du rap avant d’embrasser une autre branche des arts urbains. Ce qui fait de lui un des pionniers du graffiti au Sénégal, et initiateur des deux seuls festivals de tag du pays : le Festigraff et ''Graff et santé''. Deux rencontres annuelles qui permettent aux jeunes artistes de la bombe aérosol de donner libre cours à leur créativité. Aujourd'hui, Docta est le seul graffeur sénégalais choisi dans le cadre du match retour du ''Tandem Paris-Dakar''. Et c’est dans ce cadre qu’il a séjourné au Palais des arts de Paris, de juillet à septembre. Avec EnQuête, l'artiste revient sur sa participation à cet événement, parle de ces deux festivals et de ses projets.
Vous étiez récemment en tournée en Europe. Dans quel cadre ?
J’étais lauréat du Visa de création de l’Institut français, ce qui m’a per- mis de résider à la cité internationale des arts en France pendant trois mois. Ceci m’a permis d’être en contact permanent avec 310 artistes venant de partout dans le monde. A travers le Visa de création, j’ai eu aussi à participer à ''Paris hip-hop'' qui est un festival international de hip-hop, à Graffitizm de Mantes-la-jolie, à ''Meeting of style'' de Perpignan, à ''Ourq living color'' au 19ème Arrondissement et à la Biennale des arts muraux de Lille.
Mais cela m’a permis aussi de rencontrer et de nouer des partenariats en Allemagne avec une marque de bombe (aérosol) et des promoteurs de festivals. En Suisse, on a travaillé sur une exposition-résidence avec un collectif de graffeurs dénommé ''Taxi Collectif'' qui était déjà à Dakar lors du Festigraff. En Belgique, j’ai participé à un événement dédié à un jeune Sénégalais du nom de Pape Bécaye Ba qui avait été tué. Cet événement était organisé par l’association Sénébel (Sénégal- Belgique). Ensuite, j’ai concrétisé un partenariat avec des graffeurs belges sur un événement qu’on devrait co- organiser à Dakar.
Enfin, je suis revenu en France pour le lancement du ''Tandem Paris-Dakar'' où j’ai participé à l’expo ''Leer Lenou Gueum'' avec Marko 93 et Lazoo de la France, en même temps que deux photo- graphes, dont le Sénégalais Djibril Dramé. Maintenant, je suis revenu au Sénégal pour Graff & Santé avant de retourner en Europe dans d’autres pays tels que l’Angleterre, la Suède et la Hollande. En somme, le voyage c’était d’abord pour rentrer en résidence à travers le Visa de création, ensuite rencontrer des promoteurs et, enfin, trouver des partenaires pour les projets futurs.
Qu'en est-il de votre Festival Graff et Santé ?
La caravane ''Graff et Santé 100% social'' est une caravane de sensibilisation sanitaire à travers le graffiti. Des actions médicales gratuites sont organisées pour les populations les plus vulnérables. L’idée est de ras- sembler les membres de divers corps médicaux dans la rue, sans leurs blouses blanches les caractérisant, pour des soins gratuits, des tests de dépistage de différentes maladies. Mais aussi pour que les médecins qui ont répondu à notre appel donnent des conseils d’hygiène aux populations et leur fassent des dons en médicaments. Différentes maladies comme le paludisme, le diabète, sont traitées lors de nos passages avec des soins et consultations offerts. Il en est de même de l’hygiène bucco-dentaire et des questions de pédiatrie.
Comment est née cette initiative ?
''Graff & Santé'' est né du constat que les populations les plus défavorisées avaient besoin de soins médicaux, de consultations gratuites et de sensibilisation. Il est important pour nous de participer à l’amélioration de leur santé.
Et qu’est-ce que le graffiti, en tant qu’art, peut apporter dans ce sens ?
Il faut savoir que le graffiti en Afrique a une vocation sociale. C’est un art engagé et fait par les fils de la communauté. Cela doit servir donc à toute la population. Ces manifestations nous permettent de toucher du doigt les problèmes des populations et essayer de leur apporter des solutions. Ces rencontres ne concernent pas que le Sénégal. On les organise avec d’autres collègues dans d’autres pays d’Afrique comme le Bénin, le Congo Kinshasa, le Burkina Faso, le Togo, la Guinée Équatoriale, le Gabon, le Cameroun, le Kenya, le Tchad, etc.
Ces pays ont calqué le modèle sénégalais pour montrer à la face du monde les bienfaits du graffiti qui peut se présenter comme un interface entre les populations et les institutions. On fait passer des messages dans nos dessins, et ce sont souvent les récriminations des populations de base. Mais aussi des messages de civisme que les institutions aime- raient bien que l’on relaie. Vous pouvez lire : ''On ne traverse pas l’auto- route, passez par les ponts'', par exemple. Vous verrez sur les murs également qu’on fait la promotion de grandes figures africaines comme Cheikh Anta Diop, Nkrumah ou encore Thomas Sankara. On met des citations significatives de ces gens-là pour rappeler aux jeunes africains certaines valeurs qu’avaient ces gens et que l’on doit bien s’approprier.
Quels sont les objectifs de festival ?
C’est de pouvoir consulter 1000 personnes de tous les âges dans chaque quartier ciblé. Donner accès à des soins de qualité aux populations défavorisées. Mais aussi de créer un cadre d’échange et de confiance entre les populations et les corps médicaux à travers le graffiti. Nous voulons également faire du graffiti un vecteur de sensibilisation et de communication incontournable dans la lutte contre certaines maladies.
Quelle différence entre ''Graff Santé'' et ''Festigraff'' ?
La caravane graff et santé et une activité 100% sociale. Les corps médicaux et les graffeurs s’investissent socialement et financièrement pour le bien-être des populations les plus démunies. Alors que Festigraff est le premier festival international de graffiti en Afrique. C’est un festival d’expérimentation, d’échanges, de formation et un tremplin de visibilité pour les artistes graffeurs nationaux et internationaux. Festigraff est une source d’inspiration et en même temps co-organisateur de 9 à 10 autres festivals de graffiti en Afrique.
Que répondez-vous à ceux qui taxent Festigraff d'événement ''nul'' ?
Il faut savoir que Festigraff existe depuis 4 ans et fonce vers sa 5ème édition. On voit des graffeurs de renommée se bousculer à la porte de Festigraff ; des légendes du graffiti mondial comme Mode 2, Da Cruz, Marko 93, Dalata, Lazoo, Refa one, Toons one, et j’en passe, participent chaque année au festival et recommandent à des marques de spray (bombes de peinture) de nous sponsoriser. Des médias internationaux comme RFI, Canal +, BBC, ARTBF, Globo TV, CN TV réalisent chaque année des documentaires sur Festigraff. Lesquels font le tour du monde. Toute cette notoriété a été acquise grâce à une équipe dynamique réunie autour de Doxandem Squad (le label de Docta, NDLR). Des artistes hors-pairs performent chaque année et travaillent à mettre le niveau de plus en plus haut.
Quels sont vos projets en vue ?
Déjà, il y a la galerie internationale de l’art urbain que nous sommes en train d’élaborer puisque c’est un pro- jet ambitieux qui se veut une plate- forme de rencontres, de résidence et de formation pour tous les artistes. Ensuite, il y a le projet African Graffiti Mag qui vient d’être lancé à Dakar et à Kinshasa puisqu’on élargit en même temps l’équipe de Doxandem Squad dans la sous-région. Et enfin, il y a le réseau des festivals de graffiti en Afrique qu’on est en train de monter un peu partout dans le continent, d’autant plus que l’expertise de Festigraff et la réussite de Graff & Santé font que l’équipe est de plus en plus sollicitée.
Comment voyez-vous l'avenir du graffiti au Sénégal ?
Il faut tout d’abord comprendre que le graffiti sénégalais est très respecté dans le monde. Il y a une parfaite cohésion entre ancienne et nouvelle génération sur les différents projets et festivals de graffiti au Sénégal. Ce qui permet à des artistes comme moi- même de voyager avec les jeunes à chaque fois que je suis sollicité personnellement. Cet état d’esprit per- mettra à la jeune génération de tisser des liens avec les autres du monde mais aussi d’élargir leurs expériences et leurs réseaux. Par ailleurs, c’est suivant cette dynamique que je développe un partenariat fructueux avec les partenaires qui ont eu confiance au graffiti et je crois que demain ce sera au tour de cette génération de préserver ce partenariat et d’en bénéficier.