LE "JE" PRESIDENTIEL PRISONNIER DU JEU POLITICIEN DE SES PARTISANS
PLUIE D’ATTAQUES VIRULENTES SUR AMADOU MOKHTAR MBOW ET AUTRES MEMBRES DE LA CNRI
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Depuis qu’Ahmadou Mokhtar Mbow a déposé les travaux de la Commission nationale des réformes institutionnelles (CNRI) le 13 février dernier, il fait incessamment l’objet d’une bordée d’attaques virulentes émanant du camp présidentiel. C’est comme si une schizophrénie s’est emparée des Apéristes au point que, sans aménités, ils se déchainent sur Amadou Mokhtar Mbow et l’aréopage de 23 personnalités (issues de la magistrature, de l’université, des médias, de l’administration publique etc.) qui composent la CNRI.
La lettre de mission du président de la République
Pourtant M. Mbow n’a fait que suivre les instructions clairement définies dans la lettre de mission que lui a confiée le 28 novembre 2012 le président Macky Sall au cours d’une audience. Dans cette lettre, le chef de l’Etat a chargé ce dernier d’«organiser une large concertation nationale sur les réformes à mettre en œuvre à court, moyen et long termes, pour doter le pays d’une armature institutionnelle moderne, à la mesure de son ambition de devenir et de rester une grande nation de démocratie ».
En sus, le président de la République lui a recommandé de tirer parti de l’expérience des «Assises nationales», en particulier, de la Charte de gouvernance démocratique et veiller à ce que « la concertation soit large, participative, inclusive, démocratique et ouverte à tous les segments de notre société et qu’elle « devra aussi s’appuyer sur les principes et orientations du programme « Yoonu Yokkute » ».
Ainsi dès le 16 mars 2013, la Commission a commencé ses travaux par l’adoption d’un code de conduite et l’étude des voies et moyens pouvant lui permettre de mener à bien la mission qui lui était confiée. Le 07 mai 2013, un document de travail élaboré à cet effet fut remis, au cours d’une audience, au Président de la République. Ce document indiquait tout le processus qui devait être suivi jusqu’à la fin des travaux, notamment les principes de base et les stratégies de mise en œuvre des consultations à mener.
Ayant été convaincu de la pertinence de la méthodologie adoptée par celui qui dirigeait avec brio les «Assises nationales», le président Macky Sall a signé le décret n°2013-682 en date du 17 mai 2013 qui nomme M. Amadou Mokhtar Mbow président de la Commission nationale de réforme des institutions suivi de celui qui crée ladite commission. Il s’agit du décret n°2013-730 du 28 mai 2013 qui stipule «toutes propositions visant à améliorer le fonctionnement des institutions, à consolider la démocratie, à approfondir l’Etat de droit et à moderniser le régime politique».
Le déchaînement schizophrénique des Apéristes
Forts de cet engagement, M. Mbow et son équipe ont travaillé d’arrache-pied pendant onze longs mois en incluant toutes les segments de la société (la presse, la société civile, les partis politiques, les chefs religieux, les organisations de jeunes, les mouvements féminins…). Voilà qu’après tant d’efforts de travail, le professeur Ismaïla Madior Fall ministre conseiller auprès du président de la République, chargé des Affaires juridiques, flétrit sans retenue pendant deux jours le document de la CNRI. Pourtant la décence républicaine aurait voulu qu’il réservât la primeur de ses critiques au président de la République qui est son employeur.
Et comme si Madior avait donné le signal, des politiciens qui n’ont même pas adopté une démarche intellectuelle responsable en compulsant minutieusement le document produit afin d’en formuler des critiques objectives, se sont rués dans les brancards pour faire un autodafé du document « hérétique » de la CNRI. Mais tous les politiciens apéristes qui se sont prononcés sur le document de la CNRI et souvent en des termes railleurs qui frisent l’insolence et l’irrévérence (c’est le cas de Thérèse Faye) ne prennent en compte que le seul article 63, alinéa 2, qui dit : «Durant l’exercice de ses fonctions, le Président de la République ne peut exercer aucune fonction dirigeante dans un parti politique ni appartenir à toute autre association». Et l’explication avancée, c’est le fait que l’Alliance pour la République (APR) est un jeune parti et qu’il a besoin de son chef pour se massifier, se fortifier et se structurer.
Pourtant dans les dispositions transitoires, il est clairement indiqué à l’article 153, alinéa 1 que «le président de la République en fonction termine son mandat au cinquième anniversaire de la date de son élection. Seules ne lui sont pas applicables au cours du présent mandat, les dispositions prévues à l’article 63 alinéa 2». Ce qui veut donc dire que l’actuel président n’est point visé par une telle disposition.
«La patrie est morte, vive le parti»
En outre, certains députés de la majorité se sont subjectivement insurgés contre le scrutin uninominal qui permet à tout candidat de passer directement par la sanction populaire à la place des listes nationales ou proportionnelles du président du parti. Ces réactions spontanées et irréfléchies montrent que le slogan «la patrie avant le parti» valable pour tous les politiques n’est qu’une imposture dont se servent le président et ses militants pour mieux procéder à des manœuvres et manipulations attentatoires à la stabilité institutionnelle.
Des responsables politiques, appartenant à la mouvance présidentielle à l’instar d’Ibrahima Sène du Pit et d’Aïssata Tall, ont élevé la voix contre ces responsables apéristes qui ont intenté un procès en sorcellerie contre Amadou Mokhtar Mbow et ses collègues. Pourtant cela ne les a pas empêchés de formuler des critiques et des réserves fondées sur quelques articles de leur document. Mais la critique a priori que l’on attendait le moins est celle du chef de l’Etat qui avait demandé à M. Mbow de faire ce travail visant à formuler des propositions sur les réformes institutionnelles dont le Sénégal a besoin.
En voyage en Chine, le président Sall, dans un ton répugnant voire comminatoire, a déclaré qu’il n’est assujetti ni à une contrainte ni à un délai pour lire et avaliser le document de la CNRI. Par conséquent, il prendra ce qu’il juge himself bon de ce document. En sus, il a martelé que « les institutions du Sénégal sont solides au point qu’il ne les marchanderait pas ». Dès lors pourquoi mobiliser autant d’intellectuels et de ressources financières (700 millions) pour entamer des réformes institutionnelles ?
S’exprimer égoïstement de la sorte et à des milliers de kilomètres du Sénégal sur un sujet sénégalo-sénégalais, c’est d’abord s’emmêler les pinceaux et ensuite c’est manquer de respect à tout ce gratin intellectuel qui n’a ménagé aucun effort pour accomplir efficacement la mission qui leur était confiée. L’Empire du Milieu n’était pas le lieu indiqué pour le président Macky Sall de se prononcer avec hargne sur une question qui soulève des discussions et des échanges intra-muros. Il lui incombe après lecture profonde du document de prolonger la démarche inclusive et participative adoptée par la CNRI afin de tirer profit de la quintessence du document. Et cela dans les délais que lui impartissent les citoyens.
A l’arrogance du camp présidentiel, il convient d'ajouter l’hypocrisie du Parti démocratique sénégalais (Pds) qui dénonce sa mise l’écart lors des concertations alors qu’il était invité aux mêmes titres que 199 autres formations politiques et le mutisme bavard des leaders de Bennoo Bokk Yaakaar notamment Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse les deux principaux promoteurs des « Assises nationales ». Se taire en pareille occurrence, c’est renier de fait tout le travail des « Assises » qui a abouti à la Charte de gouvernance démocratique et qui épouse, pour une large part, les mêmes contours politiques et philosophiques du document de la CNRI.
Le «je» présidentiel ne doit être prisonnier du jeu politicien de ses militants, lesquels sont dans une logique de faire triompher le parti avant la patrie. Ils doivent comprendre que ce projet de réformes des institutions est un socle de valeurs, de lois et règles établies qui transcendent les partis et les ego et que son objectif est de reconstituer le système politique de notre République complètement déstructurée par le régime libéral sortant. Le Sénégal a besoin d’institutions fortes pour accompagner son projet de Sénégal émergent. Mais aujourd’hui la primauté des intérêts partisans pousse certains apparatchiks apéristes à vouloir perpétuer les vieilles pratiques wadiennes et ce, en se mettant dans la perspective d’offrir un enterrement de première classe à ce travail de géant abattu par la CNRI en onze mois. Malheureusement au grand dam du grand parti qu’est le SENEGAL.