"LE JOUR WADE MENACE, LA NUIT IL SUPPLIE"
AMINATA TOURÉ, PREMIER MINISTRE
C'est une sortie au vitriol que le Premier ministre Aminata Touré a faite, hier, contre Me Abdoulaye Wade et l'ancien Premier ministre Idrissa Seck qui ne cessent de s'attaquer au régime en place. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, le chef du gouvernement vilipende le «pape du sopi» : «Il tonne et menace le jour, mais la nuit, il supplie». Non sans faire la leçon au président de «Rewmi» à qui il conseille de ne plus parler des «Chantiers de Thiès».
Que vous inspire Mme le Premier ministre la dernière sortie de l'ancien Président, Me Abdoulaye Wade, dans les colonnes de «Jeune Afrique», notamment quand il déclare pouvoir renverser Macky Sall à tout moment ?
Je ne sais pas s'il faut en rire ou en pleurer. Réellement. Est-ce qu'il faut en rire ou en pleurer ? C'est le même peuple qui est sorti le 23 juin et qui était à la Place de l'Obélisque. Tout ça n'est que fanfaronnade. Et en réalité, laissez-moi vous dire, Me Wade menace le jour et supplie la
nuit.
Ah bon ?
Mais, bien sûr. Mais, bon, vous savez … (elle ne termine pas la phrase). Tout ça, c'est une technique, un appel : «Retenez moi ou je fais un malheur. Appelez-moi à la discussion ou je fais un malheur». Mais, ça, le président de la République, Macky Sall, l'a tranché. C'est du domaine de la justice. Tout cela, nous qui avons connu Me Wade depuis 1988, on connaît les méthodes. Mais, elles ne marchent plus, malheureusement. Certainement que Me Wade a du mal à s'adapter au développement politique de ce pays.
Donc, toute compromission est exclue dans l'affaire de la traque des biens mal acquis ?
Le président de la République a été clair. Vous savez, Me Wade n'est là que pour son fils. Ça, c'est clair et net dans la tête de tout le monde. Il tonne et menace le jour, mais la nuit, il supplie. Mais, tout ça n'a pas de chance de succès. On lui conseille de choisir de bons avocats pour son fils. Encore une fois, le Sénégal est un pays, dont les institutions sont on ne peut plus solides, et les Sénégalais vaquent à leurs occupations. Nous avons des magistrats respectables qui connaissent leur travail. Les droits de la défense, encore une fois, seront respectés, comme dans n'importe quel système judiciaire normal.
Et les propos de l'ancien chef d'Etat selon lesquels un président de la République n'est pas un roi ?
Vous savez, le président de la République ne s'intéresse pas à ces questions-là. Nous avons une République qui fonctionne. Nous avons une démocratie qui est respectée de par le monde. Nous avons des progrès importants dans différents indicateurs. Et voilà, nous allons continuer notre trajectoire. Me Wade est d'un autre temps. Il faut qu'il le comprenne. Il est d'un autre temps. Il a du mal à comprendre les dynamiques modernes. Nous avons un nouveau type de citoyen. Des citoyens jeunes qui sont allés à l'école, qui ont du discernement. Nous n’en sommes pas en 1974 sous Léopold Sédar Senghor ou en 2000 sous Abdou Diouf.
Quel commentaire faites-vous des dernières attaques de l'ancien Premier ministre Idrissa Seck contre le président de la République, Macky Sall ?
Déjà, je regrette le ton. Monsieur Seck est un ancien Premier ministre. Et je crois que son rang lui impose une certaine courtoise et manière de parler. Mais, sur le fond, je voudrais renvoyer Monsieur Seck au Programme Sénégal émergent (Pse), en espérant qu'il l'ait lu en détail. Pse qui a été élaboré par de hauts cadres de l'administration, en association avec un cabinet international de renommée mondiale, présentée devant la communauté des partenaires économiques qui l'ont validé et qui l'ont financé au-delà du montant escompté. Je crois que c'est la meilleure des réponses. Parlant des «Chantiers de Thiès», je pense que Monsieur Seck devrait éviter d'en faire référence. Parce que je crois que tout ça s'est terminé à Rebeuss. Il devrait soigneusement éviter d'en parler. Je l'invite à discuter des stratégies. La stratégie de développement de l'agriculture, qu'en pense-t-il ? A-t-il une politique de développement de l'agriculture opposée à celle que nous proposons ? En matière de développement du secteur industriel, a-t-il des propositions alternatives ? Voilà le débat qui intéresse les Sénégalais, pour l'essentiel. Parce que, quand même, dans ce pays, il y a une catégorie de politiciens qui ne se rendent pas compte de l'évolution des citoyens. Fondamentalement, je pense que c'est ça le fond du problème. Les Sénégalais l'ont montré le 23 juin. Ils ont énormément gagné en maturité citoyenne. Et attendent de leurs leaders un comportement différent. Et ça, il faut le comprendre. En tout cas le président de la République et le gouvernement comptent marquer cette rupture que leur exigent les Sénégalais. S'intéresser justement au développement économique, social et culturel de notre pays. Et le débat doit se faire sur ce plan-là, si débat il doit y avoir. Maintenant, s'il s'agit de s'adonner à l'invective, à l'irrespect, on le laissera à d'autres. Mais, je pense que, quand on a occupé certaines fonctions, on doit tenir son rang en toute circonstance. J'y invite l'ancien Premier ministre Idrissa Seck.
Est-ce à dire Mme le Premier ministre que le premier magistrat de la ville de Thiès est mal placé pour formuler certaines critiques sur la gestion du pays ?
Mais, évidemment. D'abord, dans la forme et dans le fond. La forme ne sied pas aux responsabilités qu'il a occupées dans ce pays. Dans le fond, je n'ai, d'ailleurs, pas entendu de critiques. Parce que, parlant de peinture, je ne pense pas que la peinture soit une discipline reconnue de l'économie ou du développement. Vous savez, on parle d'émergence, on parle de sortir nos concitoyens de situations difficiles, de réaliser des droits fondamentaux. Parce que les Sénégalais ont les mêmes aspirations que tous les peuples. C'est des questions extrêmement importantes. On ne peut pas les sacrifier à l'aune d'ambitions démesurées, puisqu'il y a 24 mois, les Sénégalais ont choisi. Et Monsieur Seck sait ce que les Sénégalais pensent de lui. Parce qu'il a eu que 7%. Cette période est passée. Evidemment, il est dans l'opposition, il a le droit de critique. Mais la critique pourrait être une critique substantielle. Et pas une critique de borne fontaine. C'est dommage qu'on veuille faire retomber le débat politique à ce niveau. On l'invite à l'élever.
Que lui répondez-vous quand il dit que Macky Sall s'est allié à la famille de Senghor pour déchiqueter la famille libérale ?
Vous croyez que ce débat intéresse les Sénégalais fondamentalement ? Combien de Sénégalais qui, aujourd'hui, ont 18 à 45 ans, ont connu Senghor ? Ou même combien de Sénégalais s'intéressent au libéralisme ? Vous savez ce qui les intéresse, c'est quelles sont les politiques que le gouvernement compte mettre en place pour améliorer l'éducation, pour donner de l'emploi aux jeunes, pour qu'on ait de meilleures infrastructures. C'est ça le fond du débat. Tout le reste n'est qu’animation de la galerie. Et c'est dommage. On est à un moment important de la vie de nos peuples. D'ailleurs, les citoyens ne s'y trompent pas. Ils ont d'autres exigences. Et je fais référence, encore une fois, au 23 juin. Ils savent exactement ce qu'ils attendent de leurs dirigeants.
Abordons maintenant la question des élections locales du 29 juin prochain. Le Secrétariat exécutif national de votre parti, l'Apr, a même eu à déplorer la floraison des listes parallèles. Vous en dites quoi ?
Une fois qu'on a regretté, on se retrousse les manches et on va à la bataille. Je pense que le régime au sein duquel notre parti est dominant n'a pas, quand même, à avoir de honte de tout ce qui a été fait en 25 mois. Le régime, sous la direction du président de la République, Macky Sall, a eu un bilan positif à bien des égards. Je vous rappelle que, pour la première fois dans l'histoire politique du Sénégal, les semences ont été mises à la disposition des paysans en fin avril. Ca ne s'était jamais fait. Alors, ça, c'est à souligner. Et il y a beaucoup d'avancées dans beaucoup de domaines. Et c'est là où on va concentrer notre énergie. Les élections, c'est un temps. Ensuite, on retournera au travail, au développement.
D'aucuns ont vite fait d'enterrer la Coalition «Benno bokk yakaar», au vu des fortes divergences dans ses rangs...
Non. Je ne le pense pas. La Coalition «Benno bokk yakaar» est là pour qu'on chemine ensemble. Le président de la République a toujours affirmé son engagement dans cette gouvernance partagée. Et il va continuer à le faire. Maintenant, les élections, c'est un temps dans la vie politique. La (vie normale) reprendra son cours. Et nos alliés seront avec nous pour que, justement, tous les plans importants que le président de la République, Macky Sall, veut mettre en place, à travers le Sénégal émergent. Nous travaillerons ensemble.
Et à Grand-Yoff, le moral est bon ?
Oui. Plus que jamais. Je suis confiante