LE JOURNAL DE Dakar’Art

ÉDITORIAL
D
a
Alexis Peskine a-t-il lu, enfant, le conte grec «Les cheveux de céleri», pour faire des épingles un bon usage ? Puisque dans l’imaginaire collectif, et les contes en attestent, les épingles ne servent qu’à nuire, à faire du mal. Les enfoncer dans le corps d’une rivale est la meilleure façon de la transformer en oiseau. Voici que l’ar- tiste plasticien et photographe franco- brésilien s’en sert comme pinceaux pour fixer des visages si expressifs qu’on aurait cru sortir d’un peintre. Ses personnages sont des silhouettes dont les traits, muscles et courbes sont sculptés et illuminés par des clous. Il y a du gra- phisme et quelque chose qui relève d’un jeu d’enfant à la frontière du des- ign. Pour le plasticien, «le clou repré- sente la transcendance. Il peut exprimer aussi bien la douleur que la force ou la résistance.»
Il sort du nègre de l’obscurité pour le ramener à la lumière avec des éclats d’or. Ses tableaux sont en trompe l’œil. Baba Diop
Lumière Ocrée
ak‘ rt
Visage ensoleillé
Mercredi 14 mai 2014 - N°6
LE QUOTIDIEN DE LA BIENNALE DES ARTS DE DAKAR
actu
ACTUALITÉ
SERGE OLIVIER FOKOUA
L'emprise pouvoiriste
comme tare
L'artiste camerounais met en scène l’égoïsme de ceux qui contrôlent les pouvoirs.
Pour l'histoire, cette œuvre a été conçue en 2009 à Yaoundé. Le Français Hubert Maheu, alors di- recteur de l'Institut français du Cameroun, demande à Serge Olivier Fokoua de lui faire tenir un projet d'installation. L'artiste, sans se faire prier, enfonce le clou. Il sortit ainsi de son écurie cette ins-
tallation lumineuse qui traduit la force des yeux, la convoitise, mais surtout l'emprise de
tous pouvoirs par ceux qui les tiennent.
Emprise est une critique adressée à tous les dirigeants politiques se laissant entourer de
courtisans qui les encerclent et les éloignent du peuple, en vue de garantir à jamais leurs intérêts égoïstes. C'est assez courant de voir en Afrique des dirigeants qui sont sous le contrôle des collaborateurs qui exercent une influence négative sur le chef. Ces ambitions pouvoiristes les opposent en permanence. Ainsi, le chef, conscient de sa situation d'insécurité, travaille plus pour son maintien que pour la mission qui lui est assignée.
Sur le plan technique, l'artiste a utilisé un ensemble de colonnes en forme de per- sonnes humaines, sans membres, signe de leur coupure systématique avec le peuple. Tous n'ont d'yeux que pour se contrôler mutuellement dans leur quête morbide du pouvoir.
Serge Olivier Fokoua utilise l'art contemporain pour dire la société humaine dans laquelle il vit, et ainsi sensibiliser les tenants du pouvoir ou des pouvoirs sur les égocentrismes qui les entourent. Une œuvre utile, en tout cas, pour éveiller la conscience collective.
Jean-François CHANNON DENWO (Cameroun)
DIANNE REGISFORD
Salut, Mami Wata !
POINT DE VUE
ABDOULAYE KONATE
Recoudre
les déchirures du monde
L’artiste malien, lauréat du Grand Prix Léopold Sédar Senghor en 1996, est pré- sent à la 11e édition de la Biennale avec une expo à la galerie Le Manège.
Connu pour ses fameuses sculptures ocres composées de centaines d’amulettes évo- quant la tenue des Dozo ou des musiciens Sénoufo, Abdoulaye Konaté approfondit, dans cette exposition, cette démarche tout en la renouvelant. On y sent l’épurement des formes et une recherche sur les couleurs. Il assemble des milliers de bandelettes de tissus sur un support et varie les couleurs pour obtenir un effet d’optique. On a des œuvres qui paraissent monochromes comme ses Compositions et ses Bleus qui se déclinent en série, mais qui sont des dégradés avec d’infimes nuances où domine une couleur. Mais l’intrusion d’un rouge ou d’un blanc lui donne un caractère énigmatique.
En plus de ces œuvres-là, l’artiste, fidèle à son engagement social, expose aussi des créations qui sont des appliqués sur tissus qui évoquent les bruits et les fureurs du monde. Des cimeterres, des minarets et des croissants lunaires sont ainsi cousus sur des tissus.
On l’aura compris, l’artiste poursuit, avec ces œuvres, son travail d’artiste engagé dont l’œuvre questionne le monde tant sur le plan politique que spirituel. Ici, la dénonciation de l’islamisme avec Non à la Charia à Tombouctou. Génération biométrique évoque l’immigration choisie, qui est un pillage des cerveaux, tandis que Gris-gris pour Israël et la Palestine, qui juxta- pose le keffieh et l’étoile de David, est un appel à la paix des braves au Moyen-Orient.
Avec cette exposition, Abdoulaye Konaté confirme qu’il est un artiste africain ouvert sur le monde, qui crée une œuvre contemporaine tout en exploitant son fonds culturel.
Aïdou Alcény BARRY
(Burkina Faso)
Les œuvres de Dianne Regisford, présentées au musée Théodore Monod de Dakar, propose un travail sur la question de l’identité diasporique et de la citoyenneté écologique. Ses deux tableaux à huile, accompagnés d’installations audio et de poèmes traitent également du respect des us et coutumes. Dans l’une des pièces, elle rend hommage à Mami Wata, une légende des mères, pour avoir, dit-elle, «protégé ses ancêtres dans leur traversée». Carr Regisford se définit comme une fille de l’esclavage venue de la côte ouest de l’Afrique pour se retrouver aux Antilles. «Et, il y a plusieurs façons de raconter cette histoire. Certains utilisent la musique, la poésie en vue d’analyser leur appartenance», dit-elle.
Chez Dianne Regisford, l’appartenance ouvre ainsi des chemins de mémoire afin d’illuminer et de mimer plusieurs aspects de l’héritage culturel de l’artiste.
Patrick NZAZI (RD-Congo)
2 Dak’art actu N°6 - Mercredi 14 mai 2014
ACTUALITÉ
ECLAIRAGE
Interviews croisées
Dominique Zinkpè et Tchif parlent de l’expo «Koton’oo»
Organisée dans le cadre du Dak’art Off, le vernis- sage de l’exposition collective «Koton’oo» réunissant Dominique Zinkpè et Tchif, deux plasticiens béni- nois, a eu lieu ce lundi 12 mai à la galerie Arte. Dans cette interview croisée, les deux artistes nous parlent de l’expo
Pourquoi «Ko- ton’oo» ?
Zinkpè : «Koton’oo» parce que nous sommes tous deux des artistes vivant à Cotonou. On a souhaité travailler sur les thèmes se rapportant à cette ville, en tenant compte de ses diver- sités.
Pour nous, Cotonou a une âme, une vivacité que nous essayons de traduire à tra- vers nos œuvres. C’est aussi pour dire que les artistes béninois qui émergent en ce moment, comme nous deux, s’inspirent des faits sociaux, des énergies du Bénin.
Pourquoi avoir choisi de travailler ensemble ?
Tchif : Cela fait longtemps que nous travaillons en- semble, Zinkpè et moi. D’ailleurs, ce n’est pas notre première exposition collective. Nous sommes des artistes de la même gé- nération. J’aime bien l’ap- proche artistique de Zinkpè et je me sens en harmonie avec elle.
Zinkpè : C’est une idée de la commissaire de l’exposi- tion, la galeriste Joëlle le Bussy. De plus, Tchif est un plasticien béninois que j’aime beaucoup. Il a ses particularités. Nous sommes proches en affini- tés et dans les pensées. Alors, ce n’est pas étonnant que nous travaillions en- semble et la collaboration s’est bien déroulée.
Présentez-nous une de vos œuvres...
Zinkpè : Voici Atondjito ou Harmonie. J’ai choisi de montrer l’harmonie qui existe entre des jumeaux ou des triplés, ou encore au sein du foyer d’un homme qui a deux épouses. Des choses rares, mais qui exis- tent.
Tchif : Je vous présente L’embûche. A travers cette œuvre, je parle de la vie. Vous remarquerez des pois- sons qui représentent l’eau ou des cercles qui représen- tent une continuité de vie. Vous avez le ciel et la terre, le margouillat qui repré- sente l’homme et enfin la croix qui représente la souf- france. Je veux simplement montrer que la vie est faite de plusieurs choses, de joie et de souffrances.
Eustache AGBOTON
(Bénin)
Dak’art actu N°6 -
Mercredi 14 mai 2014 3
Profession : Commissaire
Ce métier est incontournable pour la pro- motion et la conceptualisation d’une œuvre dans le domaine des arts plastiques.
Elise Atangana va probablement se retourner à l’écoute d’un «Bonjour commissaire !». Mais n’allez pas croire que la jeune dame tra- vaille dans un commissariat de Dakar. Elle est commissaire d’exposition plutôt. «Moi, c’est l’art que je menotte», pourrait-elle dire. Et pour cette 11e édition de la Biennale de Dakar (9 mai-8juin), il y a trois commis- saires... sans béret. Mais alors, à quoi se ré- sume leur travail ?
«Il travaille sur un thème, une réflexion et sé- lectionne les artistes qui entrent dans cette vision», soulignait Elise Atangana, lors de la table-ronde sur le commissariat d’exposition. En français facile, le commissaire d’exposition valorise le travail d’un ou de plusieurs artistes sur un espace donné, et donne des clés pour mieux cerner l’œuvre ou les œuvres qui seront exposées au public.
Ainsi, vendredi dernier, les invités de la Biennale ont pu apprécier le travail proposé par près de vingt artistes plasticiens. L’éclairage et la disposition facilitent la lecture des sculptures, des toiles et des installations qu’abrite le musée Théodore Monod. Et pour devenir commissaire alors, nul besoin de passer par une école de police.
«Il faut vivre, faire des études de l’art et aimer les arts», tranche l’Algérien Abdelka- der Damani. Un peu péremptoire, non ? A en croire ce diplômé en architecture, devenir commissaire d’exposition n’est pas si compli- qué. Peut-être bien. Il faudra pourtant faire ses classes à l’Ecole nationale des arts de Dakar, entre autres établissements, pour acquérir des rudiments. Il faudra aussi rouler sa bosse dans le milieu de l’art, faire ses preuves au fil des expositions d’arts plastiques pour en prendre de la graine.
C’est d’ailleurs le cas des trois commissaires quadragénaires de Dak’art 2014. Maintenant, la question est : entre l’artiste et le commissaire, qui oriente le travail de l’autre ? Mirjam Westen, commissaire et critique américaine, martèle qu’elle n’impose rien à l’artiste. Toutefois, elle dit avoir un faible pour les artistes qui soulèvent certaines ques- tions qui doivent l’être.
Autrement dit, au-delà de la technique et de l’esthétique, Mirjam Westen admire le travail des artistes engagés. La conclusion sera simple dans la bouche d’Alioune Badiane, enseignant et critique d’art : «Le commissaire d’exposition nous offre une sélection d’œuvres d’artistes et nous permet de réflé- chir dessus suivant des éléments de références». Voilà qui est dit.
Monique Ngo Mayag (Cameroun)
NEWS & CRITICS
THE NEED TO COMBINE ART AND HERITAGE
Museums as sites of “knowledge production”
By Kyla Herrmannsen
The field of art and the field of heritage are usually sepa- rate from each other, according to Professor Ciraj Ras- sool, a historian based at the University of the Western Cape (UWC) in South Africa where has taught for the past 25 years. Currently, he is UWC’s Director of the African Programme in Museum and Heritage Studies as well as being a trustee of the District Six Museum.
But, he has argued that art and heritage can and should co-exist in the establishment of museums. “I want to place them together...and look at how artists have sought to work with traumatic experiences of real peo- ple,” said Rassool of the need to link art and heritage in the field of memory production and museum culture.
He advocates for a new understanding and labeling of Museums not simply as buildings that house historical artifacts and stories but rather museums as sites and ins- titutes of “knowledge production” making full use of arts installations as a vehicle for this.
The District Six Museum, of which Rassool is a trustee, is an example of a ‘knowledge producing’ museum. It was established to serve as an arts and heritage tool loo- king at the forced removal of coloured people from Dis- trict Six during apartheid under the repressive Group Areas Act that stipulated areas where people of colour were and were not allowed to live in South Africa. “The museum emerged out of generations of activism,” explai- ned Rassool, much of which is now visually depicted through are installations at the Museum.
Rassool said that the works exhibited at this year’s Dakar Biennale by South African artist, Nomusa Makhubu, are a good example of his desire for combining art and heri- tage. “I think it seeks to work with a certain history of race and representation and to work with archives, col- lections, heritage and to think of her own biography in relation to those legacies as she makes herself as a person and as an artist, as a thinker,” said Rassool of Makhubu’s works.
Makhubu’s exhibition, ‘Self-Portrait’, consists of five photographs in which she has super-imposed herself into colonial-type photographs in an attempt to depict South Africa’s colonial history through both her own body and the black subjects from the past. Because of this mode of engagement, Rassool concluded, “I think in her work you have a successful or a potential engagement between art and heritage.”
SOLY CISSE
Moving the Beasts
moved from Canvas to Metals
It was an emotional request. It was a nonetheless, a request that she couldn’t decline. When Soly Cisse approached Salimata Diop to curate his latest work that had remained a top secret for the last 6-years, Salimata was overwhelmed by emotions.
That she has previously interacted and loved his work, was never in doubt but she had never in her young curatorial career imagined that she would be asked to perform such a task. It was like a surreal dream but one that she was looking forward to seeing it come true and living because she hono- rably accepted Soly’s request.
“Will I really pull it off or will I make a real mess of myself and hence dent my curatorial pursuits?” Salimata kept on asking herself after she accepted to cu- rate Soly show. Any young and ambi- tious curator would experience this because Soly Cisse is a legend.
Born in 1969 in Dakar, Cisse has show- cased and received accolades from around the world as a painter, draughts- man and sculptor. He has cut an envia- ble place in the Senegalese and African art-scene and has dedicated himself to the “adventure of a new generation of artists who represent Africa.”
The stature and perhaps that the sculp- tures that Salimata was being asked to curate had been a closely guarded top secret and even some of Soly’s closest friends didn’t know about, added to the anxiety. She was being invited to be part
of a secret and asked to be conduit to take it to the rest of the world.
“I felt small when he asked me but when I walked into the studio where he had been working and saw all these huge sculptures all staring at me, I felt even smaller,” Salimata said during an interview when the show dubbed Uni- verse opened.
She added: “We have known Soly as a painter and when I walked into the stu- dio, there was every mark of him. You could the paintings but the difference was that the monsters in his paintings were now standing in front of me. They had stepped from his canvas in real huge sculptures.”
It was a first attempt and Salimata feels that Soly did quite well with himself. She notes: “It was a risky decision but he has managed to do well. One get the feeling that it is not him but is still him and that just illustrates that one cannot keep him from growing.”
And that is perhaps what really defines Soly when he says that he sees himself as artist “dedicated to the adventure of a new generation of artists who represent Africa.” Artists who are not afraid to take risks and dream.
“My take is that walls cannot contain him,” Salimata said as we all marveled at the giant metal sculptures exhibited at Hotel Villa de Dakar’s parking area. “Soly doesn’t create with a worry on who will buy or where the money will come. He dreams and works to realize these dreams.”
Kimani wa Wanjiru
4 Dak’art actu N°6 - Mercredi 14 mai 2014
NEWS & HOMMAGE
La Galerie nationale présente la création singulière du sculp- teur au talent re- connu à travers le monde, le Sénégalais Moustapha Dimé, dé- cédé en 1998. C’est dans le cadre de l’hommage que lui rend la Biennale Dak’art pour mar- quer le retour de ses œuvres.
Le travail présenté dévoile un sculpteur avec une dé- marche artistique surpre- nante, ancrée dans la tradition africaine. Celui que le critique d’art ivoi- rien Yacouba Konaté qua- lifie de «révolutionnaire de la sculpture» a su se départir de l’académisme occidental, pour se rap- procher de la sculpture traditionnelle africaine.
Dimé, décédé le 30 juin 1998 à l’âge de 46 ans, «a su réinventer la sculpture à un niveau frais. Il avait un engagement et aussi une écriture très poé- tique» dans la conception de ses pièces. Ce renou- vellement est visible tant dans la construction ou l’assemblage que dans le choix des objets utilisés : bois d’ébène, brûlé, métal, toile de jute,
cordes et fil de fer. Car Dimé – qui disait qu’il est façonneur d’objets, et non un créateur, selon son frère aîné Amadou Dimé - sculpte de ma- nière minutieuse ses ob- jets. Ses personnages sans tête, ni bras, sont suspen- dus à un clou ou certains, des squelettes, sont bour- rés de fil de fer et de tis- sus.
Dans un documentaire
captant son travail, l’ar- tiste n’a pas eu tort de dire à la cinéaste Laurence Attali que «les trois-quarts de son travail ont pour thème la femme». Même si, fait-il savoir, que les choses viennent sans ar- rière-pensée lors de la conception. Les pièces Femme nue ou Femme ou encore Les amou- reux... taillent la femme dans ses rôles premiers de fécondité et d’être nourri- cier. Et le corps de l’œu- vre intitulée Femme nue montre deux calebasses traditionnelles position- nées pour les seins et une troisième représentant le vendre.
Et que dire de la figure L’âme du peuple où des pilons reliés par des cordes convergent vers un mortier renversé... La croyance ancestrale com- munie avec les religions révélées dont la sculpture La Croix fait partie. Ses personnages faisant réfé- rence à diverses ethnies africaines sont enrichis au gré de ses multiples voyages en Afrique. Moustapha Dimé, sou- tient Yacouba Konaté, est un «enjeu pour l’art contemporain en Afrique».
Fatou Kiné SENE (Sénégal)
EXPO-HOMMAGE
A MOUSTAPHA DIME A LA GALERIE NATIONALE
RETOUR AU PAYS DU «RÉVOLUTIONNAIRE DE LA SCULPTURE»
Mbaye Diop, l’indispensable devoir de mémoire !
Décédé en 2013, Mbaye Diop a indéniablement marqué la scène artistique. Le Dak’Art 2014 se souvient de lui, à tra- vers une Exposition Hommage à la Place du Souvenir. Scénographiée avec brio par Mame Bintou D. Diédhou, l’expo montre une palette d’œuvres traduisant la diversité des créations de Mbaye Diop. D’ailleurs, de son vivant l’ar- tiste singularisait par son éclec- tisme. L’homme était un vrai touche-à-tout, qui refusait le conformisme pour explorer
d’autres formes d’expression picturale, en plus de la peinture classique. Mbaye Diop était peintre, mais pratiquait le col- lage et la sculpture. L’expo- hommage dévoile une facette moins connue du public. Elle explore le jardin de secret de l’artiste, avec une sculpture iné- dite qui résume, par sa virtuo- sité, sa force créatrice. L’exposition présente beaucoup de tableaux « Sans titre ». Mbaye Diop titrait rarement ses œuvres.. L’important chez lui, c’était ce qu’expriment ses
travaux. Dans ses toiles, on re- trouve un peu de tout : des fu- sions des confusions, ses coups de cœur, ses coups de gueule ! Sur quelques tableaux, Mbaye Diop livre de curieux enseigne- ments. « La vie a de longues jambes », peut-on lire sur l’un d’eux. « Il aimait parler par pa- rabole, et adorait les proverbes», explique Mame Bintou D. Dié- dhou, également commissaire de l’expo.
Entre les tableaux, recueillis pour la plupart chez des collec- tionneurs privés, trône l’emblé-
matique mobylette de Mbaye Diop, qui est, elle-même, un objet d’art. On regrettera, tou- tefois, l’absence de son œuvre monumentale : « Les 7 génies ». Sept tableaux géants (3,20 m sur 1,50 m) le révélèrent sur la scène internationale à l’exposi- tion «Arts sénégalais d’au- jourd’hui », en 1974 à, Paris. Yacouba Sangaré (Côte d’Ivoire)
EXPOSITION HOMMAGE À LA PLACE DU SOUVENIR
Dak’art actu N°6 - Mercredi 14 mai 2014 5
REFLEXION
Oeil Du CRITIQUE
CES ARTISTES QUI ONT TOURNÉ LE DOS AU MARCHÉ DE L’ART POUR PENSER L’AFRIQUE
L’Afrique ne parle plus, elle fait. Aujourd’hui, tout se passe comme
si le contenu de l’œuvre était moins important que le sens. L’ar- tiste ne demande plus à son
œuvre d’être belle pour bien la vendre, mais de signifier.
Un simple aperçu des œuvres proposées à l’oc- casion de ce 11e Dak’art, révèle l’étonnante diversité des préoccupations liées à la réalité la plus tangible, qu’elle soit sociale, politique, re- ligieuse ou idéologique. Oui ! Ils ont compris que l’art actuel n’est plus assujetti, à l’évidence, au régime du beau platonicien, ni à celui des beaux-arts. Qu’il soit en mesure d’irriter, de surprendre, de provoquer, de choquer, d’en- nuyer où même de ne coûter absolument rien, prouve bien qu’il relève toujours du régime de l’esthétique.
Ce qui compte, en définitive, c’est moins le prix (contenu) que le sens. C’est la significa- tion de l’œuvre contemporaine qui compte. Les faits sont là et on n’a pas besoin d’une loupe pour s’en convaincre. L’artiste camerou- naise Justine Gaga nous propose une installa- tion : Indignation. A travers son œuvre, elle pointe du doigt ce monde raciste, violent,
sexiste... qui est sur le point d’exploser. Elle personnifie les problèmes du monde en géné- ral et de l’Afrique en particulier par des bon- bonnes de gaz anthropomorphes, tend à démontrer la responsabilité de chacun, puisqu’on a «les dirigeants que l’on mérite». Sur ces bonbonnes qui se superposent, sont inscrits ces détestables mots qui chantent plus qu’ils ne parlent pour parler comme Paul Va- léry, à savoir : élection, libéralisme, démocra- tie, marche...
Serge Olivier Fokoua propose une installation. Son œuvre, Emprise, interroge les motivations des représentants de la démocratie. «Com- ment faire confiance à ceux qui ne réfléchis- sent plus que par leur ventre ?». Un tour dans cette installation permet de voir des casseroles supportées par des supports enveloppés avec des sacs de riz vides. Sur chacune des casse- roles, est installée une lampe allumée.
Dans la même veine, l’artiste Béninois Daniel Bamigbade, lors du symposium organisé par la Biennale de Dakar sur la sculpture afri- caine, nous propose une œuvre taillée de l’acier en sculpture ronde bosse. Ce jeune ar- tiste que le masque a choisi titre son œuvre : Le grand masque (sagesse africaine). Celle-ci
symbolise l’unité, mais aussi le métissage que ce mélange hétérogène de matériau qui la compose ne laisse aucun doute. Chacune des pièces de cette sculpture est un symbole, pour ne pas dire un message. Par exemple, la clé que l’on aperçoit dans la bouche du masque renvoie à une parole thérapeutique, une pa- role qui solutionne. Le cadenas portant une clé et placé sur le front du masque, montre selon l’artiste, que l’homme est le même dans toutes les sociétés, nous venons au monde avec les mêmes prédispositions. Autrement dit, tous les peuples ont eu le même point de départ et à partir de ce moment, chaque peu- ple sera ce qu’il a choisi d’être.
L’Afrique a eu un passé très difficile certes, mais il estime que le plus important, ce n’est pas ce qu’on a fait de l’Afrique, mais ce qu’elle fera de ce qu’on a fait d’elle, à l’image de toutes ces pièces laissées à l’abandon qu’il a récupérées pour en faire une œuvre qui a sé- duit plus d’un.
La liste de ces artistes qui ont choisi le sens à la place des sous pour sauver l’Afrique est loin d’être exhaustive.
Souleymane SARR
Critique d’art (AICA-Sénégal)
Les décompositions de Nidhal Chamekh.
Déstructurer le regard. C’est ainsi que l’on peut envisager l’œuvre de Ni- dhal Chamekh. Sa recherche plas-
tique se déploie autour des formes fragmentées inspirées de la réalité.
La série De quoi rêvent les martyrs ? (2011- 2013) sélectionnée pour cette biennale place clairement l’élément figuratif au centre du processus de création. Débutée avant la révo- lution tunisienne, celle-ci marque un vérita- ble tournant dans le parcours créatif de l’artiste. En effet, la tendance à faire des révo- lutions arabes un marqueur important de l’implication citoyenne des artistes de ce pays plus encore dans l’approche esthétique sem- ble entièrement assumée par l’artiste. Nidhal reconnaît que ses dessins sont une critique contre l’Ordre établi. Pour cette série, il a uti- lisé différentes techniques tel que le crayon ou le transfert d’images.
Croquis technique d’une arme de guerre,
étude anatomique avec parfois la présence d’êtres zooanthropiques, incrustations de portraits photos sont autant d’informations disparates que l’œil du spectateur se doit de reconstruire. En définitive, la pratique de Ni- dhal Chamekh n’est pas si éloignée des ar- tistes cubistes ou surréalistes qui ont fait les beaux jours de l’art moderne au début du XXe siècle. Tout comme les artistes de cette période préféraient laisser croire au seul ha- sard d'un rassemblement des formes, ce plas- ticien organise ces trames avec le plus grand soin, créant un monde fantastique où s’unis- sent des lignes géométriques, des éléments réalistes et des images oniriques.
Du croquis d'ensemble aux études de détails, ces esquisses jouent avec les convenances et l’utopie, l’humour et la créativité, osant la déri- sion dans le but de dédramatiser.
Yves CHATAP
6 Dak’art actu N°6 - Mercredi 14 mai 2014
OFF
EXPO YARTECRE FASO
Le Burkina est au Dak’art
L’association Yartécré Faso, avec l’appui de Wallonie- Bruxelles International, a ex-
posé huit artistes sous la houlette du sculpteur Ky Siriki, à la galerie Gemaps. Des peintures, des sculp- tures et des photographies qui, bai- gnant dans une scénographie épurée, ont montré le génie des ar- tistes plasticiens du «Pays des hommes intègres».
La Galerie Gemaps est logée dans un hôtel. Un petit hôtel à deux ni- veaux. Un petit escalier étroit et vi- cieux relie les différents étages. On monte comme on gravit un che- min de montagne. On aurait pu penser ce lieu inapproprié pour une expo. Erreur ! Grâce à une scé- nographie minimaliste de Ky Si- riki, qui épouse la topographie réduite des lieux, cet hôtel s’est mué en un écrin pour les œuvres. Du rez-de-chaussée aux couloirs et au deuxième étage, les œuvres trô- nent sur des socles ou sont accro- chées aux murs avec une scénographie réduite à l’essentiel. Un éclairage intimiste, presque na- turel, baigne ces œuvres et leur donne un doux éclat.
Dans ce cadre réduit, le visiteur est proche des œuvres. Ici, c’est la Bi-
bliothèque du peintre Sambo Boly qui vous attire. C’est un grand ta- bleau fait de collages de tissus dont la forme rectangulaire fait penser à des dos de livres serrés sur un rayon. Des sortes de hiéroglyphes et quelques noms d’auteurs figu- rent au dos des livres. Cette œuvre dit la nécessité de préserver les bi- bliothèques pour la transmission de l’histoire et des sciences. Au vu du pillage des manuscrits de Tom- bouctou, cette œuvre prend tout son sens.
On peut aussi étancher sa soif de savoir, d’amour ou simplement de beauté devant l’œuvre du même titre de Christophe Sawadogo. Le visiteur tombera certainement sous le charme de La convoitée d’Abra- ham Abga, belle demoiselle au cou gracile d’antilope dont les yeux aux cils soyeux vous couvent de son re- gard énamouré... Il lui dira le vers de Baudelaire : «Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.»
Il y a aussi les petites sculptures de Ki Siriki, les tableaux naïfs de Seg- son et toutes les œuvres qui ont montré que le Burkina Faso n’a pas à rougir de ses artistes.
Saidou Alceny BARRY
et Bationo WILLIAM (Burkina Faso)
SHU YANG, Directeur du XIAN MUSUEUM
«NOUS VOULONS METTRE ENSEMBLE L’ART AFRICAIN ET L’ART ASIATIQUE»
Deux artistes chinois sont présents au musée Théo- dore Monod de Dakar, dans le cadre de l’exposition «Diversité culturelle». Et c’est Shu Yang, le direc- teur du Xian Museum de Beijing, qui conduit la dé- légation chinoise à Dak’Art 2014.
Qu’est qui explique cette toute première à la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar ?
Nous sommes, en effet, venus à Dak’art pour la première fois. Nous savons que la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar est un grand évènement, le plus important, en tout cas, pour ce qui est de l’art contempo- rain africain. C’est pour nous une occasion assez unique pour venir communiquer avec les artistes africains contemporains et établir des liens avec eux. Voilà pour- quoi nous sommes là.
Avant de venir à Dakar, j’avais une petite idée de l’art africain en général. Il faut savoir que l’Afrique et l’Asie ont très peu de relations dans le domaine de l’art. Il fal- lait donc être là pour développer les échanges dans ce do- maine. Notre but est de mettre ensemble les deux cultures, celle d’Afrique et celle d’Asie.
Qu’est-ce qui caractérise les deux artistes chinois qui ex- posent actuellement à Dak’art 2014 ?
Les deux artistes travaillent sur le thème de La route des Indes. Il s’agit d’un thème que l’on trouve aussi chez les artistes africains. Il s’agit d’un duo d’enseignants en art plastique qui travaillent sur divers thèmes artistiques. Ce qui est important est de savoir que leur présence à Dak’art obéit à un souci de découverte, en vue d’établir des contacts et de pouvoir travailler ensemble. Nous vou- lons ainsi transformer notre art traditionnel en art contemporain. Notre objectif est de faire une fusion. Il faut savoir que c’est l’art moderne qui nous influence. L’art contemporain doit maintenant exister en dehors des influences d’autres cultures.
Jean François CHANNON DENWO
(Cameroun
Dak’art actu N°6 - Mercredi 14 mai 2014 7
INFOS PRATIQUES
AGENDA DES VERNISSAGES Dak'art 2014 (OFF DU 15 MAI)
N 'oubliez pas de consulter votre guide et programme IN et OFF
Contact
Biennale de l’art africain contemporain Email : info@biennaledakar.org Site web : www.biennaledakar.org Tél : +221 33 823 09 18
Fax : +221 33 821 16 32 Secrétariat Général de la Biennale des Arts de Dakar
19, Avenue Hassan II
BP 3865 Dakar RP
Dakar - Sénégal
Site internet
www.biennaledakar.org www.biennaledakar.com www.biennale-dakar.org www.biennale-dakar.com
17 h 00
Hôpital Principal Atelier Art Thé-
rapie ‘10 ans déjà’
17 h 00
Sicap Direction Générale- Jet d’eau
Cheikh Diop (www.fondatio- nolivier.com) 17 h 00
Centre Socio-cul- turel PointE
Six artistes, 1 ci- néaste et 1 ko- riste
17 h 00
Agence Orange Almadies
Artistes invités par Mamadou Wade & Omar Diack
17 h30
Terrou-bi Soumbé Art
17 h 30
Maison de la Presse Corniche Ouest
Serigne Tacko Diogue
18 h 00
Centre Culturel Blaise Senghor Expo internatio-
nale Paca
Expo Dakar-Go- terborg Cultures Ur- baines au Séné- gal Photos de Siaka Soppo Traoré
18 h 00
Ecole de Forma- tion Hôtelière, Avenue Albert Sarrault
‘Du Benn’ Col- lectif d’artistes 18 h 00 Loman Art Cité Cse, Sud Foire Villa n° 109 ‘Nouveau Che-
min’, Loman Pawlitschek & Khadidiatou Sow
18 h 00
Académie de Sherbrooke
Mapathé Wi- lane Seck & Serigne Ibra- hima Dièye 18 h 00
Les Petites Pierres Ouakam Cité Comico, 118
Aere View, un voyage dans le travail de 8 pho- tographes
par Adji Dièye
18 h 00
Clos Normand- Avenue Cheikh Anta Diop x Canal 4
Artistes invités par Jeab Claude Peyre 18 h 00
GA2D, Bureau d’Architecture Madior Dieng ; Ngoor
18 h 00
Clos Normand- Avenue Cheikh Anta Diop x Canal 4
Artistes invités par Jeab Claude Peyr
Hors de Dakar
12h30
Ngaparou
Villa Gottifried Dakar-Pékin, Organisé par Man- sour Kanakassy Cissé
Diourbel
Maison communau- taire de Keur Samba Kane
Mady Sina amène l’art en zone rurale
Saint-Louis
Le Fleuve en cou- leurs (www.lefleuveen- couleurs.com)
Dak‘ art
Directeur de la publication :
Babacar Mbaye DIOP
Coordonnateur :
Aliou NDIAYE
Rédacteur en Chef :
Baba DIOP
Chargés d’édition :
Abdou Rahmane MBENGUE; Aboubacar Demba CISSOKHO
Rédaction :
Elhadji Massiga FAYE; Alassane CISSE ; Fatou Kiné SENE; Assane DIA; Baba DIOP ; Mbagnick NGOM; Diouma Sow THIAM; Alioune DIOP; Patrik NZAZI KIAMA (RD Congo); Kimani wa WANJ- JIRU (Kenya) ; Kyla HERMANSSEN (Afrique du Sud); Siham WEIGANT (Maroc); Yacouba SANGARE (Côte d’Ivoire); Jean-François CHANNON (Ca- meroun)
Obidiké OKAFOR; Eustache AGBOTON; Gaston COLY
Crédits Photos :
Biennale des Arts de Dakar ; Pap BA;
Pape SEYDI
Maquette :
Papa Diabel THIAM; Lamine COLY
Chargé de la Production :
Papa Diabel THIAM
Contact : dakartnews@gmail.com
8 Dak’art actu N°6 - Mercredi 14 mai 2014
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