LE KOUMPO, UN MASQUE FÉDÉRATEUR
Culture Bainounk
C’est à Niomone, près de Tobor, dans le Calounay, qu’en 1930, le Koumpo a été diffusé pour la première fois à Balingor, terroir Baïnounk plus ou moins occupé par les Joola. C’est de là-bas que le masque Koumpo a commencé son expansion culturelle. Aujourd’hui, le mythe a cédé la place au folklore.
Il faut comprendre le masque Koumpo, pour en apprécier le sens culturel. Dans ses explications des sens et significations des éléments constitutifs du Koumpo, le professeur Amadou Fall fait noter que « ce masque reste le symbole de l’identité Baïnounk. Quand il est en mouvement, c’est toute la communauté qui bouge, festoie et se manifeste. La multiplicité de ses feuilles signifie que chacun des membres de la communauté doit être dynamique.
PROTECTION DE LA NATURE
En ce qui concerne sa masse touffue, elle symbolise la communauté et la case qui englobe tout le personnel de la famille. Le bâton qu’il porte sur la tête lui permet, lorsqu’il danse, de tournoyer sur lui-même et se symboliser la stabilité », explique M. Fall. Le Koumpo est aussi détenteur d’un bâton « qui lui permet de punir les fauteurs de trouble en les frappant avec dextérité ».
Le masque traduit à souhait le caractère pacifiste des Baïnounks. « Il ne fait pas peur et n’est pas agressif, » poursuit le professeur Fall avant d’ajouter que le Koumpo joue, comme le Kankouran, « le rôle de justicier dans la communauté ».
Malgré son caractère sympathique, il est réputé très mystique. Car lorsqu’il danse, il lui arrive, de manière mystérieuse, de faire sortir jusqu’à cinq petits Koumpo de son corps et les faire disparaître sans que l’on puisse y comprendre quelque chose.
Généralement, ce masque était montré à des occasions particulières, les cérémonies familiales comme les mariages, les fêtes populaires, etc. Hormis ses sorties, le Koumpo est matérialisé par une place qui lui est réservée, appelée Baraca, expression créole qui signifie « la baraque », ou « la maison ».
Selon certains témoignages, ce masque aurait été importé de la Guinée Bissau. Il sortait le mardi gras à la veille du Carême et le jour de Pâques. Le professeur Fall explique que le Baraca du Koumpo est un espace sacré où il est indécent de jeter des choses mal propres. Il souligne son caractère protecteur de l’environnement car la multiplicité des autels conduit à la défense de la nature. Autant il y a d’autels, donc d’espaces sacrés, autant ils ont protégés des dégradations de l’environnement immédiat.
C’est pourquoi en pays baïnounk, joola, ou balante, il y a une éducation spirituelle et cultuelle qui favorise la protection de la nature. Il y a des interdits de profanation que l’on n’ose pas transgresser aux abords des espaces sacrés grâce à des lois sanctifiées par la coutume et acceptées par la population.
ET LA TEMPÊTE EMPORTA LE BARACA DE SANTHIABA
Le Baraca du Koumpo est un bois sacré, ce que beaucoup de gens ignorent, parce que les croyances populaires veulent que lorsqu’une femme n’arrive pas à avoir d’enfant, elle peut aller demander au baraca du Koumpo la bénédiction avec en échange, lorsque son vœu est exhaussé, de revenir rendre un hommage au fétiche du Koumpo. A l’époque, les femmes, les enfants et non circoncis n’osaient pas passer par le baraca du Koumpo.
Pourtant, la dernière Baraca du Koumpo au quartier Santhiaba qui restait à Ziguinchor ville a perdu son emblème. On nous apprend que lors de la tempête du 14 août dernier, le dernier fromager qui faisait office de Baraca du Koumpo est tombé. « C’était un choc et tout le monde s’était passé le mot dans le quartier », regrette le Docteur Eugène Tavarès, chef du l’Ufr Lettres, Arts et Sciences Humaines à l’université de Ziguinchor.
« C’est une grande perte », s’est-il exclamé avant de faire noter que « ce fromager était extraordinaire. Alors que l’on pensait qu’il allait s’assécher parce qu’il ne lui restait plus de branches, il s’est mis à régénérer subitement, poussant les gens à tirer des conclusions mystiques de toutes sortes. Il n’a, malheureusement, pas résisté à la dernière tempête. »
Beaucoup de gens craignent, aujourd’hui, qu’avec la disparition de ce fromager, le Baraca du Koumpo disparaisse avec ce symbole. « Ce serait une catastrophe pour toute la culture à Ziguinchor», avertit le Docteur Tavares. Il rappelle qu’il y avait, à l’époque, trois Koumpo, celui de Kandé, celui de Tilène et celui de Santhiaba. Aujourd’hui, les deux premiers ont disparu alors que le Koumpo de Santhiaba résistait encore au temps. « Il est important que, dans nos terroirs, on puisse maintenir ces éléments culturels qui sont des fédérateurs des différentes populations », conseille ce passionné.
Que le Baraca disparaisse ne l’inquiète pas en soi, mais il faut, à son avis, dans la politique culturelle de Ziguinchor et même de toutes les villes du pays, que les éléments qui ont constitué le ciment de la société soient préservés. « Parce que nous devons avoir une politique d’identification de tout ce qui a constitué le substrat de notre culture et c’est important. Le baraca a disparu, c’est un fait, la ville se développe, c’est irréversible, mais il va falloir, à un moment donné, que dans la politique culturelle du Sénégal, on arrive à identifier le Dialambantan, le Baraca du Koumpo et des choses qui ont marqué la population tout au long de son histoire », espère le Docteur Tavares.