Le lionceau à 20.000 dollars qui vivait sur un toit de Kaboul
KABOUL, (AFP) - A Kaboul, l'élite enrichie sur les cendres de la guerre affiche volontiers ses palais de marbre, ses 4X4 aux vitres teintées et ses gardes surarmés. Pas suffisant pour un homme d'affaire local, qui s'est acheté... un lionceau et l'a installé sur sa terrasse au milieu de la ville.
Mohammad Shafiq, un entrepreneur de 42 ans qui a fait fortune dans la construction ces dernières années, est très fier de son félin de six mois.
En cette chaude après-midi de printemps, le jeune lion profite du soleil, paisiblement allongé sur ce toit d'immeuble d'un quartier résidentiel de la capitale afghane. Mohammad ne s'en lasse pas. "J'adore le regarder", dit-il.
"Un ami m'a dit qu'il avait un lion à Kandahar (dans le sud afghan, ndlr) et qu'il voulait me le vendre. Il savait que j'aimais les chiens et les oiseaux, mais ça, ça dépassait toutes mes attentes!", raconte-t-il.
"J'avais déjà vu des lions à la télévision et au zoo, mais jamais de si près. Alors, sans hésiter une seconde, j'ai dit que j'étais prêt à l'acheter.
Pour moi, les lions sont courageux, je les respecte. Et c'était fantastique de savoir que je pouvais en acheter un", raconte-t-il.
La chute des talibans en 2001 a provoqué l'afflux de dizaines de milliards de dollars en Afghanistan. Certains Afghans en ont profité et mènent aujourd'hui grand train aux yeux de tous, dans un pays toujours en guerre et qui compte parmi les plus pauvres de la planète.
Le lionceau, qui a aujourd'hui six mois, n'en avait que quatre lors de l'achat, croit savoir Mohammad, qui a ces dernières années remporté de juteux contrat auprès de généreux donateurs, dont l'ambassade américaine.
"Au total, ça m'a coûté 20.000 dollars, en incluant le transport par route entre Kandahar et Kaboul", dit-il, sans préciser dans quelles conditions le petit lion a pu être transporté sur cette axe de 480 km réputé pour ses embuscades d'insurgés.
"Cruel" de le maintenir en captivité
Sur son toit de Kaboul, le joli félin à la robe brune n'a ni chaîne ni collier, et passe l'essentiel de son temps étendu dans un coin. Face à une équipe de l'AFP venue le voir, il est apparu nerveux, grognant contre quiconque tentait de l'approcher.
Entre l'achat de la viande, le salaire d'un gardien et les visites du vétérinaire, Mohammad Shafiq dépense plus de 1.000 dollars par mois pour le bien-être du lionceau, qui fait encore figure de jolie peluche.
Mais l'animal va grandir et risque fort, comme ses congénères, de se transformer en redoutable prédateur. Claire McMaster, une responsable de la Société mondiale de protection des animaux (WSPA), crie à l'inconscience.
"Les animaux sauvages ne devraient pas être gardés comme des animaux de compagnie et il est cruel de les maintenir en captivité, confinés, loin de leur habitat naturel, en particulier lorsque les propriétaires sont probablement incapables de répondre à leurs besoins complexes", lâche-t-elle.
"L'autre problème, pointe-t-elle, c'est que contrairement aux animaux domestiques, la taille et le caractère imprévisible d'un animal sauvage exposent son propriétaire à des blessures qui peuvent être mortelles".
Le lionceau sur le toit n'est pas le seul représentant de son espèce à Kaboul: le zoo municipal possède une lionne, donnée par la Chine et qui a succédé à Marjan, célèbre lion qui avait perdu la vue en 1993, victime d'un jet de grenade.
Marjan est mort en 2002 mais sa statue, symbole de survie pour les Kaboulis, trône à l'entrée du zoo. Le directeur de l'établissement, Aziz Gul Saqeb, se dit lui aussi "choqué" à l'idée qu'un lion puisse vivre à Kaboul comme animal domestique. "C'est un animal sauvage", souligne-t-il.
Mais peut-être finira-t-il par s'en occuper un jour. Car si Mohammad Shafiq se dit toujours très heureux avec son lionceau de compagnie qu'il envisage de mettre dans un enclos plus grand dans une autre de ses propriétés kaboulies, il sait qu'à terme, il ne sera peut-être pas en mesure de le conserver.
Et les solutions ne seront pas légion à Kaboul: "Je vais voir", confie Mohammad, "je le donnerai peut-être au zoo un jour".