LE LOURD TRIBUT PAYÉ PAR SÉDHIOU
9 VILLAGES DE LA COMMUNE DE NIAGHA RASÉS PAR LE CONFLIT CASAMANÇAIS
Des maisons en ruine, des routes désertes, des plantations d'anacardes et de manguiers abandonnées. C'est le constat dans 11 villages fantômes, situés à l'Est de la région de Sédhiou. En proie aux mines anti-personnelles, abandonnés par les populations, ces villages sont devenus des repaires de maquisards.
Pour se rendre dans les 11 villages fantômes de la commune de Niagha, pas d'autres moyens que d'embarquer à bord d'une moto Jakarta. En cette matinée du lundi 23 mars, le village de Saré Téning vit au ralenti. Quelques habitants circulent entre les concessions.
D'autres sont assis le long de la route nationale N°6 (RN6). Il est 10 heures passées. Au fil des minutes, la chaleur se fait de plus en plus insupportable, sous l'effet des rayons de soleil, et annonce un voyage pénible vers ces villages abandonnés, squattés désormais par des combattants du MFDC.
Grâce au guide Souleymane, EnQuête a pris langue avec les combattants du maquis qui habitent dans certains villages abandonnés. Permission de se rendre dans la zone. Après Saré Téning donc, cap sur Saré Boubou, première étape du périple. Ce village a été bombardé en 2007 par l'armée sénégalaise car il y avait une base des éléments du MFDC. D'ailleurs, comme si le temps s'était arrêté, depuis ce jour de 2007, le village porte encore les stigmates de ces affrontements.
Des impacts de balles sur les bâtiments, quelques outils de guerre gagnés par la rouille sont visibles partout. Ensuite, cap sur Sinthiang Diassy, Médina Saradou, en passant par Sinthiang Mamadou Lamèle, Sinthiang Woudé, Saré Bory, Sinthiang Kiny (frontalier de la Guinée Bissau), Sinthiang Assé et enfin Sinthiang Bellèle, une autre localité qui partage la frontière avec la Guinée Bissau, etc.
Le constat est amer
D'une localité à une autre, le constat est amer : des maisons complètement en ruine, des routes désertes, des plantations d'anacardes et de manguiers abandonnées. C'est le lourd tribut payé à la crise casamançaise. La traversée des zones de dangers donne un pincement au cœur.
Aujourd'hui, la toute nouvelle commune de Niagha, meurtrie, est devenue pauvre et triste. Et pour cause, toutes ses potentialités économiques et humaines, mais aussi ses ressources naturelles, ont été anéanties par le conflit, depuis plus de 32 ans. La tristesse, l'angoisse et la peur se lisent dans le regard des populations rencontrées.
"Aujourd'hui, nos champs sont minés. Parce qu'à chaque fois qu'il y avait un affrontement entre les éléments du MFDC et l'armée sénégalaise, des mines ont été enterrées", déplore Amadou Baldé, un ex-habitant de Saré Boubou. Il a trouvé la paix à Saré Koudia où il vit désormais avec sa famille. Il ajoute qu'il n'y a plus "de culture dans ces villages.
Les gens ont peur d'y retourner. Par exemple, le village de Saré Boubou a été abandonné vers les années 1993-96. Mais lorsque les populations sont retournées là-bas pour gérer leurs plantations d'anacardes et de manguiers, les rebelles sont revenus brûler le village. C'est comme dans d'autres localités abandonnées.
Sinthiang Bellèle et Saré Bory, lieux de trafic
Ainsi, après en avoir chassé les populations, les rebelles y ont élu domicile. "Dans certains villages abandonnés, les rebelles ont trouvé refuge. Il s'agit des villages de Sinthiang Bellèle et de Saré Bory. Ils cultivent du chanvre indien dans ces villages-là. C'est pourquoi nous ne pouvons pas nous y aventurer pour regarder nos plantations d'anacardes et de manguiers.
L'année dernière, les rebelles ont tiré sur un jeune du village de Saré Lawo. Il était parti ramasser des noix d'acajou, dans leur plantation d'anacardes à Saré Bory. Depuis lors, les propriétaires n'y vont pas. Nous avons perdu courage. Nous ne voulons pas perdre nos vies", se désole Mamadou Baldé, habitant de Saré Téning. Les populations de la commune de Niagha, poursuit-il, ne sentent pas la présence de l'État.
Ceci est d'autant plus dommageable que Moctar Boiro, habitant de Saré Niakho, souligne qu'ils ont une terre fertile, de bons hivernages et une forêt touffue. Le paradoxe est qu'ils ont des problèmes pour accéder à la terre. "Nous sommes des cultivateurs, des bergers. Nous avons besoin de cultiver ces terres et assurer notre sécurité alimentaire.
Mais comment faire devant les rebelles qui occupent nos champs et nos plantations", explique-t-il. Dans la même veine, Harouna Seydi ajoute : "Nous sommes toujours traumatisés par ce conflit. Parce qu'il y a des gens qui ont été battus devant leurs familles. Des personnes ont sauté sur des mines et sont devenus handicapés à vie."
Le coup de gueule du maire de Niagha
Le pessimisme ambiant a également gagné le maire de la localité qui constate, impuissant, que sa commune fait peur aux bailleurs. "Que ce soit un bailleur ou une personne de bonne volonté, personne ne va s'aventurer pour investir ses biens ou son capital dans une zone d'insécurité. Parce qu'ils cherchent tous des bénéfices. Nous avons tous les problèmes pour amener des bailleurs dans notre commune", confie Idrissa Baldé.
Mais, loin de s'avouer vaincu, l'édile et son équipe travaillent d'arrachepied pour changer la donne. Ce qu'il explique : "On est en train de mener une politique pour encourager les bailleurs à venir investir chez nous. Nous sommes en train de multiplier des contacts avec certaines Organisations non gouvernementales pour sortir notre commune de sa somnolence économique". Le maire nourrit un sentiment d'exclusion.
"Ce qui nous fait mal, c'est que toute la politique de reconstruction de la Casamance est réservée à Ziguinchor, à 90%. Je ne suis pas un régionaliste, mais c'est la triste vérité. La région de Sédhiou ne bénéficie pas des retombées de la reconstruction de la Casamance. Alors qu'elle est appauvrie par la crise casamançaise. Niagha n'a pas bénéficié de la politique de reconstruction de la Casamance. Cette politique a été politisée".
L'État invité à déminer les villages abandonnés
Aujourd'hui, pour sortir la commune de la précarité et permettre aux populations des villages abandonnés de retrouver leurs plantations et champs, une seule solution s'impose : déminer les lieux. Selon le maire Idrissa Baldé, la commune de Niagha n'a pas bénéficié de l'opération de déminage. "Les premiers démineurs dans notre commune, ce sont nos bêtes qui sautent sur des mines.
Le nombre de bétail tués par des mines est incalculable. Jusqu'à présent, nous n'avons pas vu d'équipes de démineurs dans la zone. Nous demandons à l'État d'en envoyer une, pour déterrer les mines qui ont été posées lors des affrontements entre le MFDC et l'armée sénégalaise. Ceci va pousser les populations à retrouver leurs plantations et leurs champs. Car, la zone est assise sur de l'or, grâce à ses potentialités économiques".
L'État n'a pas soutenu les déplacés et les victimes de mines
L'édile regrette aussi le manque de soutien à l'endroit des personnes déplacées ou victimes des mines. "Des centaines de victimes des mines et de déplacés ont été identifiés, mais jusqu'à présent, ces gens-là n'ont pas été soutenus par l'État du Sénégal", constate Idrissa Baldé. "Et pourtant, poursuit-il, à Dakar, les victimes des inondations et les victimes du bateau le "Joola" ont été dédommagés et relogés.
Pour qu'il y ait une paix durable, il faut éviter les frustrations et le manque de considération. Je ne peux pas comprendre que les victimes de ma commune soient laissées en rade, au moment où les autres ont bénéficié de l'aide de l'État. Nous demandons au président de la République Macky Sall de penser à nos victimes, car le Sénégal est un et indivisible".
Depuis plus de 32 ans, la commune de Niagha, meurtrie par la crise casamançaise, lutte contre l'oubli. Malgré l'accalmie, le vol de bétail et les braquages restent d'actualité, installant ainsi un vent de peur bleue qui continue de souffler dans les 09 villages minés.