LE LYNCHAGE
MACKY SALL, DE LA DESTITUTION À L’ACCESSION AU POUVOIR (2/3)
Dans le cadre de la célébration de l’anniversaire de l’Alliance pour la République (Apr), le 1er décembre, SenePlus retrace le film des manœuvres et grenouillages qui ont abouti à l’éjection de Macky Sall de son fauteuil du président de l’Assemblée nationale, le 9 novembre 2008, jusqu’à son accession au pouvoir le 25 mars 2012.
L’histoire du Parti démocratique sénégalais (Pds) est faite de combines et d’intrigues. Ces pratiques qui portent l’empreinte d’Abdoulaye Wade, son secrétaire général national, ont fini par l’assimiler au dieu grec Chronos qui mangeait ses fils de peur d’être détrôné par eux. Retour sur la chronique de la mise à mort de celui qui, parmi les différents n°2 du Pds, aura tenu tête le plus longtemps à Abdoulaye Wade.
La fouille au palais, le détonateur
Le premier acte visible de Wade pour éloigner Macky Sall, c’était la fouille humiliante qu’il lui a fait subir au palais lors de la réunion du comité directeur du Pds qui suit la nomination d’Adjibou Soumaré au poste de Premier ministre, après sa démission le 19 juin 2007. Le deuxième acte est le Sénat qui est érigé comme la deuxième institution du pays dans la mesure où son président est consacré, selon l’article 39 de la Constitution, successeur du président de la République en cas de vacance du pouvoir.
Entre-temps des responsables libéraux se sont faits les porte-voix de la Génération du concret pour annoncer l’irréversibilité de la candidature de Karim Wade à la présidentielle de 2012. Ces messages distillés complaisamment dans une certaine presse écrite et à travers des radios et télévisions constituent une sévère mise en garde à l’endroit Macky qui, lui aussi, a fini par croire en ses réelles potentialités présidentielles. Et voilà c’est la guerre des tranchées entre les pro-Karim et les pro-Macky sous l’œil amusé et partial de leur père Abdoulaye Wade.
Pourtant, lors de la cérémonie de 8e jour du décès de la mère du l’alors président de l’Assemblée nationale, Abdoulaye Wade, devant une assistance nombreuse, lui a tressé des lauriers. Il dit : «En vous nommant Premier ministre c’est Dieu qui m’a inspiré et tu m’as toujours donné satisfaction à tous les niveaux…Tout le monde parle mais il n’y a pas de problème entre nous.»
Crime de lèse-majesté
Mais le jour où la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, dirigée par Mamadou Seck, a adressé une missive aux autorités de l’Anoci pour les auditionner sur leur gestion, les fayots de Karim saisissent la balle au bond pour donner le coup de massue à Macky. La broyeuse libérale entre en branle. Pourtant, il est dans l’orthodoxie républicaine qu’on convoque, pour les besoins de la transparence, au sein de l’hémicycle, tout responsable de structure gérant les deniers publics. Mais contre toute attente, c’est un péché de lèse-majesté-Karim.
Le président du groupe libéral Doudou Wade, neveu du président Wade et cousin de Karim, flétrit acerbement cette procédure de l’Assemblée qui ne respecte pas les formes. Certains «Concrétistes» le prennent comme un casus belli contre le leader de la G.C Lequel, pourtant, venait de rencontrer les représentants des bailleurs de l’Anoci pour s’expliquer sur l’utilisation des fonds destinés au sommet islamique.
Pourtant cette convocation n’est ni initiée par Macky ni destinée intuitu personae à Karim Wade. La lettre dit : «Monsieur le Ministre (Ndlr : Bacar Dia, ministre de l’Information, chargé des Relations avec les institutions), la Commission de l’Economie générale, des Finances, du Plan et la Coopération économique souhaite auditionner l’Agence de régulation des Télécommunications et des postes (Artp), l’Agence nationale de l’organisation de la Conférence islamique (Anoci). Je vous saurais gré de bien vouloir demander aux responsables de ces structures de bien vouloir se présenter devant ladite commission, pour une séance d’audition…»
Mais qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. Et le 15 octobre 2007, depuis l’Arabie Saoudite, le ministre Farba Senghor sonne la charge en accusant Macky d’être irresponsable en s’attaquant à sa famille notamment à son fils. Le 21 octobre, le jeune Mouhamed Lamine Massaly, président du conseil d’administration de la Société des infrastructures de réparation navale (Sirn) accuse, au cours d’un point de presse, Macky d’avoir acquis des biens immobiliers aux Etats-Unis dans des conditions nébuleuses et d’avoir irrégulièrement convoqué le président de l’Anoci.
Le 24 octobre Khoureychi Thiam, député à l’Assemblée nationale, exige, au cours d’une conférence de presse, la destitution de Macky de son poste de n°2 du parti et de celui du président de l’Assemblée nationale. Et le 28 octobre, le député Abdou Fall vice-président à l’Assemblée nationale, sur les ondes de Sud Fm, enfonce le clou en demandant à Macky d’aller discuter avec son patron ou rendre le tablier.
Pôle de résistance pro-Macky et «obstacle» juridique
Cette posture ne manque pas d’étonner des proches de Macky Sall comme l’ex-Secrétaire général de la présidence Me Alioune Badara Cissé qui voit en cette sortie un primum movens pour liquider Macky. Mais ce qui aggrave la situation, c’est lorsque le chef de l’Etat se heurte au refus du président de l’Assemblée qu’il enjoigne de démissionner. Et pour réduire la marge de manœuvre du maire de Fatick, les Libéraux, réunis le 15 novembre 2007 en Comité directeur, suppriment le poste de n°2 du parti qui, selon eux, constitue la source de tous les problèmes de dualité avec le n°1 du Pds.
Indépendamment du déluge d’attaques vitriolées contre le président de l’Assemblée, une pétition qui demande le départ de Macky de la tête de l’institution parlementaire est initiée par Doudou Wade, président du groupe parlementaire libéral et démocratique (avec la bénédiction de son oncle Abdoulaye). Mais c’est un pétard mouillé puisque la pétition s’avère inopérante avec 68 voix pour, sur 150. En sus, une telle procédure est inopérante parce que politique, mais non juridique.
Un front de résistance est animé par le coriace député Moustapha Cissé Lô qui dit défendre la séparation des pouvoirs. C’est ainsi qu’il décide de mettre un groupe parlementaire libéral parallèle si ces manœuvres liquidatrices qui discréditent l’institution ne s’estompent pas. Le conseiller en communication de Macky en l’occurrence Abou Abel Thiam fait une sortie remarquable au niveau des médias où il dit que «sur les 150 députés du Pds, s’il n’en reste qu’un, le chef de l’Institution parlementaire ne démissionnerait pas».
Par la même occurrence, les députés libéraux ont décidé d’initier une révision constitutionnelle en votant une proposition de loi visant la réduction du mandat du président de l’Assemblée de cinq à un an renouvelable. Là aussi, peine perdue puisqu’ils se heurtent à un corset juridique. La loi ne peut rétroagir à cet effet. Les dispositions de l’article 8 du règlement intérieur de l’Assemblée sont formelles : «le président est élu pour la durée de la législature».
Un écueil juridique complété par l’article 62 de la Constitution qui stipule que «le règlement intérieur de l’Assemblée nationale détermine la composition, les règles de fonctionnement du bureau ainsi que les pouvoirs et prérogatives de son président qui est élu pour la durée de la législature». De ce fait, la seule voie qui s’offre aux contempteurs de Macky reste la dissolution de l’Assemblée comme le stipule l’article 87 de la Constitution qui «ne peut intervenir durant les deux premières années de législature».
Après toutes ces tentatives et manoeuvres liquidatrices qui ont échoué dans un premier temps, les contempteurs du maire de Fatick se tournent vers le déballage de ses biens financiers et immobiliers. Mais les initiateurs de cette démarche se ravisent vite en abandonnant cette voie sinueuse dangereuse qui risque de faire un effet boomerang.
Vaines démarches réconciliatrices
Des patrons de presse, des membres de la société civile et des chefs religieux ont entamé des démarches réconciliatrices entre Wade et Macky mais en vain puisque le président de la République est resté inflexible. Même lors des funérailles de Serigne Saliou Mbacké, khalife général des mourides, le 30 décembre 2007, les dissensions entre Wade et Macky sont perceptibles entre les différentes délégations du gouvernement et de l’Assemblée qui se sont rendues à Touba pour présenter leurs condoléances.
Me Alioune Badara Cissé, à cette occasion, dans une voix pleine d’émotion, a prié pour que la disparition de cet homme de paix soit l’occasion opportune de la réconciliation entre le président de la République et le président de l’Assemblée. Une semaine après, son successeur au khalifat de Serigne Touba, en l’occurrence Serigne Bara, intercède auprès du chef de l’Etat afin de mettre un terme à cette guerre qui l’oppose avec le président de l’Assemblée nationale.
Abdoulaye Wade, en bon talibé, répond favorablement à l’appel de l’autorité suprême des mourides. C’est ainsi que le 4 janvier 2008, lors d’une réunion du groupe parlementaire du Pds, Macky fait part de sa réconciliation de Wade grâce à l’intercession de Serigne Bara. D’ailleurs le ministre Madické Niang, sous les feux des caméras de la Rts, avec en arrière-plan le repentant président de l’Assemblée nationale, informe l’opinion de l’absolution de Wade à l’endroit du président de l’Assemblée. (A suivre)