"LE MAGAL EST UNE RÉALITÉ OBJECTIVE QUI S’IMPOSE D’ELLE-MÊME"
CHEIKH ABDOUL AHAD MBACKÉ, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION COMMUNICATION ET CULTURE DU COMITÉ D’ORGANISATION DU MAGAL
La communauté mouride célèbre ce jeudi la 120ème édition du magal de Touba. A 24 heures de l’évènement, le président de la Commission communication et culture du Comité d’organisation du grand magal, Cheikh Abdoul Ahad Mbacké fait le point. Le fils de Serigne Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma est revenu sur les innovations prévues durant cette édition. Dans cet entretien, le marabout a dévoilé les différentes mesures prises pour la couverture sanitaire de l’évènement qui va se dérouler dans un contexte particulier avec l’épidémie à virus Ébola qui sévit dans certains pays frontaliers. Il évoque aussi les relations Touba-Etat et l’effectivité du démarrage des travaux de l’autoroute Thiès-Touba.
Le magal de Touba, c’est également des nouveautés d’année en année. Pouvez-vous revenir sur les innovations prévues cette année ?
Depuis quelques années, chaque édition du magal est marquée par une série d’innovations qui ont fini de donner à l’évènement une dimension planétaire. Cela entre en droite ligne des instructions que le khalife général a données à Cheikh Bassirou Abdou Ahad, président du Comité d’organisation du grand magal. L’objectif est de mieux vulgariser l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba partout à travers le monde. Cette année encore, le comité est revenu avec l’organisation du Colloque international sur le soufisme dont le thème portait sur le rôle du soufisme dans la Umma islamique. Quatorze pays venus des cinq continents y ont participé avec d’éminents spécialistes qui ont planché sur la question pendant quatre jours à Touba. Durant cette période, la ville était ainsi devenue la capitale du monde islamique ; ce qui constitue un motif de fierté et de satisfaction pour tout le Sénégal.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant les cinq jours de cette rencontre ?
Le point culminant de cette rencontre a été la journée durant laquelle un exemplaire du Coran a été écrit de mémoire par deux cent disciples, âgés de douze à quinze ans, issus des daaras de Touba. En notre connaissance, seul Serigne Touba avait obtenu cela à Diourbel ; c’est dire la valeur de l’exploit de ces jeunes garçons qui ont fait pleurer plusieurs hôtes étrangers.
Quelles sont les conclusions auxquelles vos travaux de ce 2e Colloque international sur le soufisme ont abouti ?
Les chercheurs ont diagnostiqué et déploré la situation de crise généralisée qui prévaut dans le monde islamique après tant de siècles de splendeur. Ils lancent par conséquent un appel pour un sursaut de la Umma pour retrouver ce lustre d’antan. Le soufisme qui occupe une place centrale dans la Umma et charrie toutes les valeurs positives de l’islam doit être la locomotive pour réussir ce pari. Pour cela, les leaders soufis doivent jouer pleinement leur rôle d’impulser, de vulgariser, d’éduquer. Les érudits et les hommes de science doivent également s’y mettre à travers les recherches et publications. Nos conclusions mettent aussi l’accent sur l’unité et la coordination des efforts pour mieux atteindre les objectifs. Dans cet ordre d’idées, le travail de rapprochement du khalife général des mourides a été fortement apprécié et encouragé. Vous avez là les fortes recommandations que nous allons essayer de mettre en œuvre avant la tenue du prochain colloque dans trois ans incha allah.
Cette année, le magal va se dérouler dans un contexte particulier avec l’épidémie à virus Ébola qui sévit dans certains pays frontaliers. Quelles sont les mesures prises pour la couverture sanitaire de cet évènement ?
C’est une question dont la prise en charge préoccupe au plus haut point les organisateurs. C’est une question de responsabilité. C’est pour cela que de concert avec les autorités sanitaires, un travail de sensibilisation intense est effectué avec la participation des autorités religieuses. Le comité d’organisation du grand magal a confectionné des tee-shirts avec des slogans forts et distribué quinze mille litres d’eau de javel et des dizaines de milliers de gels anti microbiens. Un site d’isolement a été aménagé pour d’éventuels cas. Aucun aspect n’est laissé au hasard. Permettez-moi de féliciter le personnel de la santé pour son dévouement et son professionnalise ainsi que l’Université de Bambey qui nous accompagne avec une centaine d’étudiants pour la sensibilisation.
Sur le plan des infrastructures, Macky Sall a annoncé de nouveau l’effectivité du démarrage des travaux de l’autoroute Thiès-Touba. Qu’est-ce que vous en pensez ?
C’est une bonne chose parce que cela va permettre de réduire les embouteillages et de rallier Touba plus facilement. C’est un ouvrage structurant qui va créer des emplois, faciliter les échanges, rapprocher les distances pour ne pas dire les espaces et ouvrir l’intérieur du pays. Avec l’autoroute Thiès-Touba, on pourra rallier Matam en cinq heures de temps.
D’aucuns disent que ce n’est pas une priorité et que l’on pouvait se contenter d’agrandir la route en 2 fois 2 voies...
C’est un point de vue tout à fait respectable que je comprends, mais c’est une question de choix et d’ambitions. Et je crois qu’il faut oser pour aller vite afin de pouvoir rattraper notre retard à travers de grands projets structurants tout en veillant bien sûr à une bonne maîtrise des coûts et à l’implication du privé national. Et cette autoroute peut en faire partie.
Certains pensent que le magal de Touba fait un chiffre d’affaires estimé à plusieurs milliards. Des études avancent même la somme de 200 milliards de francs Cfa, ce qui représente 30 milliards de Tva pour l’Etat du Sénégal. Cette estimation a-t-elle évolué ?
Ces chiffres datent de 2010 et sont issus des études d’impact religieux, social et économique que le comité d’organisation du grand magal avait commandité. Ces chiffres ont dû évoluer, mais depuis lors nous n’avons pas organisé d’études pour avancer des montants précis. Nous voulons attendre cinq ans pour faire de nouvelles évaluations. Ce sera l’année prochaine incha allah.
La mise au point du khalife général des mourides au sujet des relations entre Touba et le chef de l’Etat Macky Sall a fait le tour du monde. Est-ce à dire que les relations Touba-Etat sont au beau fixe ?
Ce sont des relations apaisées. Je l’avais dit lors du Leylatoul khadar au mois du ramadan passé. Il n’y a rien qui justifie qu’il y ait des relations conflictuelles au niveau institutionnel. Il doit toujours y avoir une passerelle entre nos autorités temporelles et spirituelles pour l’entente et l’harmonie au profit des populations et du développement de notre pays. Mais il faut admettre qu’à un niveau individuel, chacun est libre d’exercer sa citoyenneté à travers un engagement et une orientation qui lui semblent les meilleurs dans le respect des institutions de la République.
Touba est considérée comme la capitale des hommes politiques le temps du magal. Nous avons même noté ces derniers temps une sorte de chassé-croisé avec les visites successives du chef de l’Etat Macky Sall et de l’ancien Président Me Abdoulaye Wade. Qu’est-ce que vous en pensez ?
C’est tout à fait en l’honneur de nos hommes politiques parce que cela montre leur ancrage par rapport à notre société puisque le magal est une réalité objective qui s’impose d’elle-même. Lui donner l’importance qu’il mérite n’est que justice et témoigne de l’intérêt que l’on porte à tout ce qui touche aux Sénégalais. Touba est de son côté à la hauteur par le type de relations sincères, cordiales, franches, respectueuses qu’elle entretient avec nos politiques en dehors de toutes considérations politiciennes. Et il faut surtout éviter de tomber dans le piège de la pensée unique politique préjudiciable à notre pays. Tuer toutes formes d’alternatives crédibles me semble être la meilleure voie pour ouvrir la porte à des aventuriers aux destins sombres pour notre Peuple. Il faudrait s’entendre sur l’essentiel, mais dans le respect des différences enrichissantes des uns et des autres.
Quel est l’appel que vous lancez aux fidèles musulmans qui vont rallier Touba ?
Nous souhaitons un excellent magal à tout le Peuple sénégalais parce que c’est un jour de grâce, de ferveur religieuse, de gloire, de piété, de courage, de droiture, de justice. C’est aussi un jour de victoire éclatante d’un fils de l’Afrique qui a écrit, il y a plus d’un siècle : "Que la couleur noire de ma peau ne t’empêche pas de profiter de ma science, car la couleur de la peau ne saurait être preuve d’idiotie." Il disait cela dans un contexte particulier d’oppression et de discrimination de l’homme noir qu’il a ainsi contribué à décomplexer et à libérer. C’est un patrimoine commun dont toute l’Afrique est fière et que la Umma s’apprête à rendre un vibrant hommage ce 11 décembre 2014.