LE MAROC ÉTEND SES TENTACULES
EXPANSION DANS LE CONTINENT AFRICAIN
Les ambitions du Maroc dépassent largement le Sénégal et ses 13 millions d'habitants. Ce qui intéresse le Royaume chérifien, ce sont les 300 millions de consommateurs ouest-africains. Pour y arriver le roi Mohamed VI multiplie les voyages dans les pays de la sous-région. Les hommes d'affaires du Royaume aussi se lancent en permanence dans la prospection.
Le Maroc est bien présent au Sénégal et entend l'être davantage. Cependant, les ambitions du Maroc dépassent largement les 194 712 km2 du Sénégal et ses 13 millions d'habitants.
Ce qui l'intéresse, ce ne sont même pas les 80 millions d'âmes de l'UEMOA, mais plutôt les 300 millions de consommateurs ouest-africains. Le Sénégal n'est donc que le point d'appui à partir duquel le pays compte étendre ses tentacules. Le marché européen est saturé et l'Afrique du Nord l'est presque, l'avenir est donc en Afrique subsaharienne.
Ce n'est pas pour rien qu'en implantant l'unité pharmaceutique à Dakar, qu'une des responsables Mme Tazi, ait déclaré : "Avec cette usine, nous espérons donner aux patients sénégalais un produit de qualité avec des prix accessibles et on espère aussi exporter ces produits dans la sous-région."
Les échanges entre le Maroc et l'Afrique subsaharienne sont encore timides. "À peine 5% des importations du royaume", selon des chiffres officiels repris par Jeune Afrique. Deuxième pays africain à investir sur le continent, le Maroc a vu le volume de ses échanges avec ses voisins au sud du Sahara être multiplié par six en l'espace de 10 ans. De 588 millions de dollars (503,6 millions d'euros) en 1998, ils sont arrivés à 3 milliards d'Euros en 2008.
La chasse aux opportunités ne fait que commencer. En 2013, le groupe Wafa assurance a fait son entrée sur le marché ivoirien des assurances. Le groupe Saham y était déjà. Les Marocains ont noué un partenariat avec une société d'assurance de taille modeste, Solidarité africaine d'assurance (Safa). Elle représente environ 2% du marché.
Mais cela n'inquiète guère les "sujets" du roi Mohammed VI. Dans un entretien publié sur le site de jeuneafricom.com du 1er mars 2013, l'ex-patron de Wafa Assurance Ramsès Arroub tempère : "C'est effectivement une compagnie de taille modeste : sa part de marché est d'environ 2 %. Mais ce qui nous intéresse, c'était de disposer d'une porte d'entrée dans le marché ivoirien, le principal de la Cima. L'assurance est un métier de marathonien. Quand on s'implante dans un pays, c'est dans un objectif de long terme. Il faut du temps pour installer les meilleures pratiques".
Cette patience déjà prévue n'est pas gratuite. Le marché des assurances est presque vierge en Afrique. Le volume est pour le moment de 1,3 milliard d'euros. Contrairement aux pays maghrébins et occidentaux. En guise de comparaison, le marché des assurances marocain a produit 1568 Milliards de F FCA en 2013, selon l'hebdomadaire.
D'ailleurs, la différence des stratégies de Wafa assurance dans les deux régions le fait nettement ressortir. En Tunisie et Algérie, le groupe cherche à apporter de la valeur ajoutée, car le secteur est déjà bien occupé. En Afrique subsaharienne par contre, il va ratisser large.
"Dans cette région, nous comptons être le plus universel possible, en offrant tous les produits d'assurance", confie M. Arroub. Dans un premier temps, le groupe compte se focaliser sur les quatre gros morceaux de la CIMA, à savoir le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Cameroun et le Gabon. Ces pays représentent 75% de l'assurance dans la région.
Cette offensive économique est soutenue par des visites officielles et des signatures de partenariats. Lorsque la centaine de chefs d'entreprises marocains a visité le Sénégal, elle ne s'y était pas arrêtée. C'était plutôt une tournée économique. Les hommes d'affaires ont d'abord été en Côte d'Ivoire et au Bénin avant d'arriver au Sénégal. Mais les déplacements les plus significatifs restent ceux du souverain, présenté comme le premier agent commercial de son empire.
5000 conventions et accords bilatéraux
Le roi Mohammed VI s'est rendu au mois de mars 2013, tour à tour au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Gabon. Il multiplie les voyages dans les pays de la sousrégion. Ses hommes d'affaires aussi se lancent en permanence dans la prospection. "En dix ans, une quarantaine de commissions mixtes ont été créées, près de 5000 conventions et accords bilatéraux ont été signés et sont entrés en vigueur", relève Jeune Afrique. Le résultat est facilement visible. Le Maroc est devenu le premier investisseur en Afrique subsaharien et le deuxième dans le continent derrière l'Afrique du Sud, selon le journal.
Aujourd'hui, les grandes institutions bancaires, Attijariwafa Bank et BMCE notamment sont dans 19 pays africains. En guise d'indication, Le Groupe Attijariwafa Bank détient 81% du capital du Crédit du Congo, 51% de la Société ivoirienne de banque, 65% de la Société camerounaise de banque, 59% de l'Union gabonaise de banques.
La réussite de Maroc Télécom en fournit une preuve fort édifiante de la place du Maroc. Cette société de téléphonie a des filiales au Burkina Faso (Onatel), en Mauritanie (Mauritel), au Mali (Sotelma) et au Gabon avec Gabon Télécom. Une bonne partie de son chiffre d'affaires est réalisée en Afrique de l'ouest grâce à ses filières dans la zone. Au vu de la vision du roi Mohammed VI et des potentialités dans le continent, l'aventure ne fait que commencer.
Maroc : Emergence, mode d'emploi
C'est l'une des trois monarchies en Afrique avec le Lesotho et le Swaziland. Mais la comparaison s'arrête là, car le royaume chérifien est bien installé sur la voie de l'émergence. Il est l'une des puissances économiques du continent. Un progrès qui s'est construit réellement à la faveur de la mainmise de la dynastie alaouite sur le pays, encadrant avec rigueur les libertés civiles et politiques, en contrepartie d'une liberté d'entreprendre et un arrimage aux modèles de développement libéraux. Peu de "démocratie" et beaucoup d'investissements durables : ce sont les deux termes du miracle marocain qu'entretient son monarque, Mohammed VI, depuis son sacre en 1999.
Miracle parce que c'est le seul pays nord-africain à avoir traversé sans encombres "le printemps arabe" ; miracle parce que rien ne le prédisposait à devenir une puissance économique. Au cours de ses trente-six ans de règne, le roi Hassan II a serré les vis, et instauré une dictature moderne, tout en menant une efficace modernisation de l'économie copiée sur le modèle des pays à économie de marché. Le Maroc est le troisième producteur et premier exportateur mondial de phosphates, rentrée importante en devises pour le pays. Il en détient, et de loin, les premières réserves mondiales avec 50 000 milliards de tonnes. Idem pour le tourisme qui n'a pas souffert du contexte géopolitique, même si les attentats de Casablanca en 2003 et ceux de Marrakech, en 2009, ont relevé le niveau de sécurité.
Les Marocains n'ont pas volé leur prospérité, même si une majorité de la population flirte avec le seuil de pauvreté, surtout en campagne et dans les cités-ghettos de leurs grandes villes. Malgré ses bonnes performances et l'amélioration de la situation économique dans son ensemble, le Maroc n'a pas pu répondre au défi posé par le chômage des jeunes (15 -24 ans), qui s'est élevé à 19.1 % en 2013. En 2014, le Maroc a continué à mettre en œuvre son programme de réformes (subventions, fiscalité, retraite, protection sociale et système budgétaire), avec un double objectif : améliorer l'efficience des finances publiques et soutenir le développement d'un modèle de croissance inclusif porté par le secteur privé, qui soit créateur d'emplois pour les jeunes.
En position économique d'émergence, le Maroc a les moyens de défendre ses intérêts sur la scène internationale, et se montrer constant dans sa "politique africaine". Lors de l'épisode Ébola, la compagnie aérienne Ram a continué à desservir les pays touchés, pour marquer la solidarité du royaume et surtout, pour se singulariser, alors même qu'il ne fait pas partie de l'Union africaine depuis que l'Oua a accepté l'intégration du Polisario (qui lutte pour l'indépendance des provinces du sud, l'ancien Rio de Orio espagnol) au sein de l'organisation panafricaine. En conflit latent avec son voisin algérien depuis qu'Alger a décidé de soutenir le Front Polisario, le royaume chérifien n'en reste pas moins très influent au sud du Sahara, et cela depuis les 38 ans de règne de Hassan II.
L'exception chérifienne fait donc clignoter au vert le Maroc, alors que le monde arabe traverse une période d'instabilité rarement vécue dans l'histoire contemporaine, même au plus fort des guerres contre Israël ou du choc pétrolier de 1973.
Avec une économie qui stabilise son taux de croissance à près de 04,5% par an, il bénéficie des retombées d'une politique d'industrialisation volontariste et d'une exploitation judicieuse des ressources naturelles. Le secteur des services y est en plein boom, ce qui explique sa nouvelle diplomatie économique et sa présence de plus en plus marquée dans les pays au sud du Sahara.
Le Maroc a enfin un avantage historique qu'il est considéré comme le "représentant" du roi d'Arabie Saoudite en Afrique subsaharienne. Ce qui en fait un interlocuteur incontournable pour tout pays désirant avoir des relations apaisées avec Ryad.
C'est dire qu'il faudra compter avec ce pays. La question est donc davantage de savoir si nous sommes capables de ne pas nous laisser dicter les règles du jeu. Il faudra bien que le roi et ses sujets acceptent que le monde a beaucoup changé et que le style dirigiste a ses limites. Notre pays doit savoir où se situent ses intérêts en refusant "diplomatiquement" de lâcher prise, lorsque les intérêts de ses entreprises sont menacées. On ne doit pas (on ne peut pas non plus) reprocher au Maroc d'être fort, mais on pourra bien se reprocher en tant que pays, de n'avoir pas su défendre avec détermination notre "espace vital".