LE MIEUX EST À VENIR
La guerre des télés est ouverte. Il est impérieux de prendre en considération le marché ouest-africain, africain ou mondial pour espérer élargir l’horizon des téléspectateurs
Il y a, à l’évidence, une forte connotation affectivo-subjective dans la guéguerre entre les deux Groupes D media et GFM. Mais l’animosité peut aussi démontrer la vitalité de la production de programme dans le secteur audiovisuel. Ce regain de dynamisme tranche nettement d’avec la pauvreté créatrice, de l’indigence des moyens financiers et techniques en prévalence dans l’univers soporifique de notre paysage audiovisuel.
Des séries à l’eau de rose, véritables soap opera, des scénarios peu inspirés, des acteurs aussi insipides que leurs jeux de rôle, leurs castings. Des décors d’une déconcertante banalité et les ingrédients de la production d’une désopilante impécuniosité. Et pourtant, tous les mardis, la RTS attirait de nombreux téléspectateurs qui buvaient à chaudes gorgées, cette floraison de navets. Histoire de meubler les tristes soirées et alimenter les divers cercles de discussions des femmes, émigrés en mal du pays, et autres jeunes paumés. Et d’enrichir les vendeurs de supports piratés.
Fort heureusement, des têtes de gondoles, de différentes générations émergeaient de cette marée noire. Ces monuments ont noms : Makhoureidia Guèye, Baye Peulh, Serigne Ndiaye Gonzalès, Dié Astou, Marie Madeleine, Golbert Diagne, Babou Faye, Souleymane Ndiaye, Abou Camara, Tapha Diop, Lamine Ndiaye, entre autres. Leur talent d’acteur avait fini par transcender toutes les faiblesses structurelles de ces productions télévisées. L’infinie richesse de leur répertoire aura permis de masquer l’amateurisme des réalisateurs et autres metteurs en scène d’alors.
On était entre le milieu des années 70 et la fin des années 80. En réalité le passage, des tréteaux, au théâtre populaire et à l’adaptation télévisuelle étant mal assumé et mal maîtrisé, le résultat était forcément désastreux pour les fins connaisseurs. Mais, il était à la hauteur d’un public peu exigeant, qui se contentait de ce minimum syndical, pour égayer son quotidien. Face à une industrie cinématographique en déliquescence, les séries télévisées assuraient bon an mal an le service de divertissement.
La disparition progressive et la retraite de la scène de la plupart de ces mastodontes, ont révélé l’envers du décor. Un désert de création, dans un désert financier et technique. Une misère existentielle des artistes, qui avaient déserté le plancher des théâtres, pour descendre dans les quartiers et plus tard truster le petit écran. Sans pour autant réussir à vivre de leur art. Ce que les Douta Seck, Dioum, Omar Seck, Samba Ane, Moustapha Yade, Idrissa Sané n’ont pu tirer de leur talent, d’autres de la nouvelle génération l’ont récolté.
Aujourd’hui on assiste à un total changement de paradigme. La progressive occupation de l’espace social par la télévision, la multiplicité de l’offre télévisuelle et le flux irrésistible des productions étrangères, mexicaines, égyptiennes, indiennes, brésiliennes, sud-africaines, nigérianes, burkinanabé, ivoiriennes, poussent les opérateurs audiovisuels à se lancer dans leurs propres réalisations. Le sous-titrage où même l’adaptation linguistique ne suffisait plus à rendre les sensations plus réelles, encore moins permettre de restituer le réel et le vécu de ces acteurs d’une autre culture et d’un environnement sociologique forcément différent du nôtre.
La production locale n’avait plus le choix que d’être valorisé, dans la logique de la demande et non plus de l’offre. Seulement voilà, les temps ont changé. La production audiovisuelle est devenue plus exigeante en termes de technicité et de maîtrise. La miniaturisation des appareils de filmage, de montage, d’éclairage et de post-production et leur affinement ont considérément fait baisser les coûts de production. Mais les prestations des acteurs ont atteint, pour certains du moins, des niveaux astronomiques. La starisation des vedettes de la musique, des comédiens est passée par là.
La concurrence entre les networks n’a fait que tirer vers le haut les cachets et les salaires ensuite. Le nombre de producteurs a été démultiplié sans que la qualité des produits n’ait été même sensiblement améliorée. Les annonceurs publicitaires, locaux, comme extra locaux ont aussi augmenté et les recettes consacrées à la promotion commerciale, ont suivi la courbe de la variété de l’offre. Il est heureux qu’en face de la RTS, qui fait de son mieux pour développer une production conséquente, les télés privées entrent dans la danse. Certainement avec plus de moyens humains, techniques et financiers. Il l’est encore beaucoup quand des acteurs du milieu de la communication comme El Hadji Ndiaye et plus récemment encore Yérim Seck ne s’en laissent pas conter.
Le financement est certainement le nœud gordien du développement de la production locale. Le retour sur investissement, compte tenu de la masse de recettes publicitaires que ces productions attirent, est quasiment garanti. À condition que le montage financier soit bien maîtrisé.
Les audiences populaires suivent également les exigences de la programmation. Sans doute faudrait-il encore davantage de moyens financiers, de créativité et de qualité de prestation pour maintenir ce tempo. La guerre des télés est ouverte. Mais il ne faut pas que les networks s’essoufflent vite à force d’avoir placé très haut les enchères. Notre espace social est trop restreint pour ingurgiter toutes ces productions et permettre aux producteurs, acteurs et aux diffuseurs de s’en sortir. C’est la raison pour laquelle, il est impérieux de prendre en considération le marché ouest-africain, africain ou mondial pour espérer élargir l’horizon des téléspectateurs. Il faut que la production de dramatiques et de sitcom, téléfilm ou autres téléréalités subisse le même sort que celui du mbalax. Cette musique bien sénégalaise, qui fait trémousser des générations, sans sortir du Sénégal et du voisinage immédiat.
Le danger de la provincialisation est prégnant. Il faudra l’éviter vaille que vaille. C’est pourquoi la rivalité entre les chaînes de télévisions peut paraître anecdotique face aux défis à venir. La télévision numérique pointe à l’horizon, élargissant l’offre en écrans. Si la qualité, la technicité, les moyens financiers, l’évènementialisation ne suivent pas, il y a fort à parier que les désillusions seront immenses.