LE PÉNIBLE MAOULOUD DES POLITICIENS ET RELIGIEUX
COUACS POLITIQUES, MENACES, ADMONESTATIONS, RUPTURES DE CONSENSUS
La célébration du Maouloud 2014 a brouillé bien des repères, aussi bien au plan politique que religieux. Alors que la tonalité générale des discours était habituellement consensuelle et rassembleuse, on a eu du droit à des passes d’armes dont certaines auraient pu être vigoureuses, n’eût été le calme de l’un des protagonistes, Abdoulaye Makhtar Diop, de coutume si vif et tonitruant.
Sous la double menace mystique et physique d’une corne de bœuf, son adversaire l’autre Grand Serigne de Dakar Pape Ibrahima Diagne, il a su garder sa sérénité pour ne pas gêner ses hôtes interloqués par une telle absurdité. Brandir à Tivaouane, devant les dignitaires de la Tidiania une corne symbole du paganisme le plus étroit, relève d’une maléfique et inqualifiable insouciance. L’incident est resté au stade d’anecdote, mais le pire a été frôlé. Cet incident n’en demeure pas moins significatif d’une certaine impuissance devant une bataille de positionnement que le porte-parole de Tivaouane avait, il y a quelques semaines, promis de régler. A preuve…
Le porte-parole de la famille Sy, Abdoul Aziz Sy Al Amine, avait certainement d’autres soucis à se faire. Les déclarations de Serigne Moustapha Sy, fils du Khalife Général emmuré dans un mutisme pesant depuis une dizaine d’années, ont jeté de grosses pierres dans son jardin. En effet, le Guide moral du mouvement des Moustarchidines a relayé urbi et orbi, a Tivaouane et au monde, un funeste message de son père : le décollage économique du Sénégal passerait par une catastrophe.
Une sombre prédiction qui ne serait du goût ni d’Al Amine, encore moins du gouvernement de Macky Sall, qui, en ces temps difficiles, préfèrerait entendre un message d’optimisme, plutôt que cette prédiction apocalyptique. Et comme d’habitude, Al Amine en a eu pour son grade, son neveu, en des mots à peine voilés s’étant attaqué à lui de manière peu amène. La contestation de la légitimité du Porte-parole, et l’annonce prochaine de la sortie de son père, laissent présager que le consensus adopté il y a un an après la disparition du vénérable Serigne Mansour Borom Dara Yi, est bien entamé.
Senghor glorifié
Mais, sans aucun doute, c’est la référence, par Moustapha Sy à la sagesse, l’éthique et la retenue de Senghor face aux charmes de la femme, qui laisse tous les observateurs pantois. L’histoire retiendra tout de même que dans les années 60, Cheikh Tidiane Sy, petit fils de El Hadji Malick Sy effectua un séjour carcéral, sous le régime dudit Senghor. L’ancien président résistera à toutes les « fatwas » et sera traité de tous les noms d’oiseaux par ceux-là même, qui sont aujourd’hui ses thuriféraires. Moustapha Sy tressant des lauriers au geôlier de son père et s’en prenant à son oncle, voilà de quoi faire sourire.
Assurément, la cuvée de « boulettes » du Maouloud 2014 n’a pas cessé de révéler ses surprises. Le Président Macky Sall, comme il l’avait fait à Touba s’est rendu à Tivaouane avec une très forte délégation dont le Premier ministre, Mme Aminata Touré. L’ambiance si joviale d’habitude l’était moins pour cette fois, bien moins. Les plus que rumeurs sur les mauvaises relations entre le Président et son Premier ministre ont édulcoré l’enthousiasme dans la délégation, d’où se dégageait une certaine fébrilité. Les sourires restaient très contenus et les accointances manifestes entre les deux cerveaux de l’exécutif sont demeurées au niveau le plus formel.
Cela dit, la déclaration du Porte-parole devant les responsables du PDS, demandant la libération de Karim et Cie, était des plus incongrues. Elle a mis le président de la République dans un état d’esprit inconfortable, l’obligeant, le lendemain, lors de la cérémonie officielle, à rétablir poliment la situation, en confirmant la poursuite de la procédure judiciaire comme dans un Etat de droit normal. Il a certainement oublié qu’il y a quelques jours, Sidy Lamine Niasse, en droite ligne vers la citadelle du silence de Rebeuss, a échappé de justesse à une incarcération après l’intervention des familles religieuses dont la sienne, celle de Médina Niassène.
Justice actionnée
Il y a encore quelques semaines, un jeune marabout originaire de Touba a connu la même libéralité après avoir traité le président de la République de « courtier » du richissime entrepreneur Dangoté. La procédure de sa mise en examen a été stoppée avant qu’il ne soit entendu par le juge. La perception sélective de l’Etat de droit par le Président a certainement dû heurter Al Amine obligé de mettre de l’eau dans son bissap, pour sauver la cérémonie officielle. Il a du reste préféré orienter ses appels vers le secteur de l’éducation en ébullition constante, sans avoir le plus petit espoir d’être entendu. La crise va de plus de belle, crescendo, en dépit des accords signés entre le gouvernement et des groupes d’étudiants non légitimés par les autres factions.
Les autres familles religieuses ne sont pas restées hors de la contestation sur fond de chantages. A Kaolack, la confrérie Niassène a dénoncé avec virulence ce qu’elle appelle un parti-pris évident en faveur des grandes familles de Touba et Tivaouane, sans les nommer. Non seulement, a-t-elle regretté, le gouvernement y annonce de grands travaux d’infrastructures, estimés à des dizaines, voire des centaines de milliards mais, en sus, il y déverse des quantités de victuailles et billets de banques destinés aux dignitaires locaux.
Alors que pour les autres familles, on invoque la dèche nationale dans laquelle s’est ankylosé notre pays, pour réduire les aides en nature et en espèces. Le chef de la confrérie de Médina Niassène n’a pas trouvé de mots assez durs pour fustiger ce qu’il a qualifié de « légèreté » de la délégation officielle conduite par un ministre natif de la région. Il a aussi décoché des flèches acerbes contre le gouvernement et le président de la République, incapables, selon ses termes, de trouver une solution définitive à la route reliant Kaolack à Fatick, en état de dégradation totale.
Et pourtant, le gouvernement a fait la ferme promesse de réparer ce tronçon, véritable parcours du combattant que seuls les voyageurs les plus téméraires empruntent encore désespérément. A l’occasion, nombre de pèlerins ont préféré passer par Diourbel pour rejoindre Kaolack plutôt que d’aborder cette piste chaotique avec tous les risques que cela comporte pour eux. Même tonalité de mécontentement dans les régions périphériques, notamment à Sédhiou où un dignitaire religieux n’a pas hésité à parler de discrimination entre les grands foyers religieux et les zones éloignées du pouvoir central.
Les gouvernements et préfets qui, habituellement, représentent le chef de l’Etat dans ces cérémonies officielles d’un autre âge, ont du user de toutes les contorsions oratoires et faire preuve de beaucoup de diplomatie pour calmer le courroux des marabouts. Il est vrai que la perspective des élections élève à un autre niveau l’enjeu des célébrations. Le gouvernement est donc obligé d’être attentif aux moindres incartades.
Bethio superstar
Sans doute, c’est la première sortie de Béthio Thioune leader et timonier des Thiantacounes qui aura ravi la vedette dans cette célébration haute en couleurs. Fraîchement rentré de France après un exil forcé pour des raisons de maladie, Serigne Béthio a encore mis les petits plats dans les grands et les bouchées doubles pour réussir son exceptionnelle mobilisation. Comme à l’accoutumée, rien n’a été refusé aux milliers de convives venus de tous les coins de Dakar pour honorer les repas royaux servis à l’occasion. Des bœufs, moutons, poulets et même des chameaux cuisinés à profusion dans une ambiance extraordinairement festive. Une dizaine de mariages célébrée, des maisons et voitures offertes, des liasses de billets dégainés sans ménagement.
Et pourtant, la presse a diffusé des informations relatives au renvoi probable de Cheikh Bethio devant les assises pour des accusations d’assassinats et de dissimulation de corps qui l’avaient maintenu dans les liens de la prévention, avant son exfiltration pour la France. Visiblement, ce nouveau rebondissement n’a en rien perturbé le Guide des Thiantacounes décidé, à travers cette démonstration de force, à prouver qu’il garde intactes sa vitalité et sa capacité de nuisance, en dépit des sérieuses menaces qui pèsent sur lui. Pour certains, cette sortie légitimée par la célébration du Maouloud apparaît comme un baroud d’honneur et qu’en tout état de cause, il n’échapperait à la justice. Mais là aussi question ? Comment le Président pourra-t- il laisser la justice aller jusqu’au alors qu’il a entravé sa procédure pour éviter d’embastiller Sidy Lamine Niasse suite à l’amicale pression des Niassènes ?
Bataille des médias
La confiance qu’affichent les Thiantacounes laissent en tout croire à une possibilité de deal, qui permettrait au Président de sauver la face, tout en épargnant le Cheikh d’un nouveau séjour carcéral qui risque d’être long si la loi est appliquée dans toute sa rigueur pour punir des actes criminels. Il s’agira tout simplement de laisser se poursuivre la procédure de renvoi aux assises, pour condamner le Cheikh à une peine symbolique. Ne demandez pas comment ? Les juges ont cette extraordinaire faculté à trouver les astuces juridiques pour parvenir à leurs fins. Mais évidemment quand la politique entre par grande la porte du Temple de Thémis, le droit en sort, par la petite. Macky Sall prendra-t-il le risque de discréditer encore une fois notre appareil judiciaire ? Seul l’avenir le dira.
La célébration du Maouloud aura également secoué le PDS empêtré dans ses multiples contradictions. La supposée visite nocturne de Serigne Mbacké Ndiaye chez le président de la République et tout le tollé qu’elle a soulevée sur la prétendue libération conditionnelle de Karim et Cie n’ont été en fin de compte qu’une tempête dans un verre d’eau. La direction du PDS a vivement réagi en excluant toute perspective de « deal » avec le pourvoir. Tout comme en s’affichant ostensiblement avec ses « frères » libéraux dans la délégation reçue par Al Amine, l’avocat Me Madické Niang, un des très proches soutiens de Wade, a mis fin aux spéculations sur son éventuel rapprochement avec le pouvoir après la création annoncée de son nouveau mouvement. Une nouvelle tempête dans un verre d’eau.
En revanche, les médias audiovisuels se sont livrés une vraie guerre de positionnement en nous servant des directs illimités dont l’intérêt professionnel serait difficile à trouver dans ces infinies litanies. Le Groupe D Média ne rien s’est épargné pour toucher les centres religieux les plus importants des cercles les plus périphériques, avec une place spéciale réservée aux Thiantacounes. Hasard ou calcul politique ? Fort heureusement, avec moins de moyens, les autres groupes de presse ont eu un souci de diversification, en accordant à la famille omarienne une place de choix dans les directs. Là, ce n’est pas certainement pas du hasard. Signe des temps ou air du temps ?