LE PÊCHEUR DEVENU PRÊCHEUR
SEYDINA LIMAMOU, LE FONDATEUR DE LA CONFRERIE LAYENE
De son vrai nom Limamou Thiaw, Seydina Limamou Laye est le fils de Alassane Thiaw et de Coumba Ndoye. Il naquit à Yoff en l'an 1261 de l'hégire (1843). Son enfance se déroula sans incident majeur, cependant il ne manqua guère d'attirer l'attention de son entourage par son comportement sociable, sa promptitude à rendre service, ses qualités morales, sa piété, son amour de la propreté, son sens de l'hospitalité.
AUX ORIGINES DE SON NOM.
Le nom prédestiné que son père lui donna (Limamou = AI imam = le guide) vint du marabout Toucouleur Mouhamadou Bâ dit Limamou d'Ouro-Mahdi (village du Fouta, région Nord du Sénégal).
Il s'appelait plus précisément Ahmadou Hamet Bâ et est le père de Ahmadou Cheikhou, héros de la guerre sainte, qui mourut au cours de la bataille de Samba Sadio, le 11 Février 1875.
Selon certains témoignages, des Lébou de la presqu'île du Cap-Vert s'étaient rendus à Ouro-Mahdi, auprès de l'éminent saint. Celui-ci aurait dit à ces visiteurs parmi lesquels se trouvait le père de Limamou : « le Mahdi attendu descendra parmi vous, son nom est Limamou, donnez ce nom aux garçons qui naîtront dans vos foyers... ».
Finalement, sur quatorze garçons qui portèrent ce nom, seul Limamou Thiaw vécut jusqu'à l'âge adulte.
LA PECHE COMME DOMAINE DE PREDILECTION.
Dés qu'il fut en âge de gagner sa vie, Limamou orienta ses activités vers la pêche et l'agriculture comme tous les adolescents de son milieu.
La saison des pluies les fixait au village, dans les travaux champêtres, tandis qu'en saison sèche, il leur arrivait souvent d'aller vers d'autres rivages où le poisson mordait mieux à Saint Louis, à Banjul... Il ne fréquenta aucune école et demeura illettré.
Rien de visible ne permettait, en dehors des qualités morales susmentionnées, de prévoir l'événement qui mûrissait en lui et qui allait éclater à Yoff comme un tonnerre dans un ciel serein.
40 ANS OU L’AGE DE LA REVELATION.
Lorsque Limamou le pêcheur perdait sa mère, il avait quarante ans. Cette dernière était une éminente servante de Dieu, dont la générosité et la piété étaient bien connues.
Ce deuil subreptice qui l’amena à observer trois jours de mutisme et d'isolement. Ses proches attribuèrent son comportement étrange au bouleversement qu'il venait de subir. Mais au terme de ces trois jours coïncidant au dimanche matin 1er Châbân 1301 (24 Mai 1883), Limamou sortit, superbement drapé de trois pagnes blancs : l'un autour de la taille, l'autre sur les épaules, le troisième lui servant de turban.
Il venait de tenir ce discours à la sœur de son père, Adama Thiaw : "ô ma tante, recouvre-moi, de deux couvertures blanches et sache que Dieu t'a donné un fils qu'il n'a jamais donné à personne au monde ".
A ses deux épouses, il avait tenu un langage similaire, en ces termes : " ô toi chaste Fatima, et toi la vertueuse Farma, soyez patientes. Dieu vous a donné un mari qu'il n'a jamais donné aux autres femmes. Je vous fais savoir que votre ancien compagnon Limamou est différent de celui-ci, car Dieu a fait ce qu'il a voulu. Par sa volonté, Il m'a placé au-dessus des créatures. Il m'a chargé d'appeler (les hommes et les djinns) pour les guider vers Lui. Enveloppé dans ses pagnes, il déambula sur les collines, dans les ruelles et places publiques, tel un pèlerin arpentant la distance de La Mecque à Arafat, appelant à haute voix ses concitoyens, en une langue Wolof teinté d'un accent lébou : « Répondez à l'appel de Dieu, venez à moi, je suis le messager de Dieu, je suis le Mahdi qu'on attendait ! ».
Et depuis ce jour, il ne cessa plus de glorifier nuit et jour, publiquement et en privé, le Créateur Suprême prononçant constamment Ses noms et attributs.
UN ILLUMINE MECONNU DE SES CONTEMPORAINS.
Ce changement subit de comportement, d'aspect et de langage, de cet homme, qui auparavant jouissait de l'estime de tous était bien de nature à bouleverser les esprits. Ce fut un spectacle insolite, suivi par un attroupement de curieux, qui grossissait à mesure que la nouvelle se répandait dans le village et à travers le pays. On l'écoutait, on le dévisageait, partagé entre le rire et la pitié.
C'est sûrement un possédé, un malade sous l'emprise d'une sanction punitive infligée par les Rab, disaient les uns, tandis que d'autres penchaient plutôt vers l'approbation de ses paroles qui, bien que, amères et critiques à l'égard de certaines mœurs, n'en étaient pas moins sensées.
Lui, sérieux et imperturbable, continuait sa prestation, passant du discours à la démonstration pratique : « Regardez, disait-il, comment on prie, et le voilà qui mimait avec précisions les gestes rituels de la prière islamique ».
LES PREMIERS TALIBES.
Limamou continua donc de prêcher. Une première satisfaction baigna son cœur meurtri par la vague de contestation : des membres de sa famille adhérèrent à sa doctrine. De même, d'autres savants de grande réputation s'étaient soumis à l'homme illettré.
Parmi eux, il y’avait Tafsir Ndialanda Gueye, imam de Rufisque, Tafsir Abdou Gaye, éminent grammairien et exégète du Coran, qui deviendra le secrétaire de Limamou et Cheikh Matar Lô, auteur d'un ouvrage rédigé en arabe sur la vie et l'œuvre de Seydina Limamou.
Ce succès grandissant de Limamou ne pouvait laisser indifférents les maîtres et maîtresses du culte des Rab. Non seulement il condamnait les pratiques de ce culte, mais encore, des malades qu'ils ne parvenaient pas à soigner avec succès, guérissaient lorsque Limamou leur imposait ses saintes mains.
En peu de temps, Yoff connut une grande affluence d'hommes, de femmes, d'enfants, attirés, les uns par la curiosité, les autres par la piété. Chacun voulait voir, entendre approcher le Saint Maître.
Peu nombreux sont ceux parmi eux qui rentraient chez eux, les autres décidaient de rester auprès de lui. Sa maison devint étroite pour contenir ces hommes et femmes épris de Dieu.
LE MIRACLE DE LA MER.
L'étroitesse des lieux se fit sentir avec acuité, lorsqu'une nuit les vagues furieuses de la mer, propulsées par une marée haute pénétrèrent brusquement dans les chambres, inondant toute la maison. Les plaintes de ses hôtes furent entendues, puisque le lendemain Limamou, accompagné de plusieurs adeptes, se rendit au bord de la mer.
Il traça une ligne sur la plage y fit planter des bouts de branches d'arbres, puis s'adressant à la mer, il lui intima l'ordre de ne plus franchir cette barrière. A ses adeptes émerveillés, il dit: « La mer ne me désobéira pas, car elle me connaît, elle connaît mon grade auprès de Dieu; d'ailleurs elle n'était entrée dans la maison que pour en nettoyer les souillures ».
Occasion ne fut pas plus belle pour les contestataires, de trouver dans ce dialogue avec l'océan, une preuve supplémentaire de la folie de Limamou. Par contre, pour ses adeptes qui venaient de gagner sur la nier, un nouvel espace habitable, ce fut plutôt un regain de confiance et de foi.
DES SERMONS COMME HERITAGE.
Avant sa disparition en 1909 à l’âge de 66 ans, Seydina Limamou Laye laissa un livre, divisé en six parties et connu sous le nom de "Sermon", qu'il demanda à ses serviteurs de transmettre.
Illettré comme le prophète Mahomet (PSL), il ne l'avait pas écrit lui-même mais dicté en wolof à ses disciples, notamment Matar Lo, qui se sont chargé de le traduire et de l'écrire en arabe.
Après sa disparition, son fils Seydina Issa Rohulaye qui avait 33 ans lui succéda et continua ce que son père avait commencé.