LE PRESIDENT MACKY SALL AURA-T-IL LA MAIN HEUREUSE ?
Epaulé par les deux banquiers de grosse pointure, le président Macky Sall vient à nouveau de mettre un coup de pied dans la fourmilière des banques de la place. Il multiplie les charges contre le système à l’effet de libérer davantage le crédit afin de relancer l’économie et de soutenir les petites et moyennes entreprises (PME). Toutefois, le chef de l’Etat du Sénégal dispose-t-il de toutes les cartes en main pour vaincre la cherté du loyer de l’argent ? Dans cette visée, les seules forces sénégalaises suffisent-elles pour se passer du soutien des autres autorités de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) ? La communauté garde son pesant d’or dans la politique monétaire commune. Son prédécesseur Abdoulaye Wade l’a appris à ses dépens, lui qui réclamait à tout prix la levée des réserves de change de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
« La réalisation des objectifs de croissance durable de l’économie sénégalaise suppose des pré-requis, notamment l’amélioration du financement du secteur privé. Les crédits bancaires représentent moins du tiers du produit intérieur brut de notre pays contre près de 100% dans les pays émergents. Pour corriger cet état de fait, le président de la République a demandé au Premier ministre (Abdoul Mbaye), en relation avec le ministre de l’Economie et des Finances (Amadou Kane), de procéder sans tarder, à la mise à jour du plan d’actions de concertations nationales sur le crédit et d’accélérer la mise en œuvre de l’ensemble des mesures retenues », rapporte le communiqué du Conseil des ministres, jeudi dernier. Ce texte soulignait le sujet de l’optimisation du financement de l’économie nationale. Sur ce point, le Président Sall s’est réjoui avec son gouvernement de la notation améliorée du Sénégal, par Standard and Poor’s, dont la perspective est passée de "Négative" à "Stable". Selon les autorités sénégalaises, cette évolution devrait leur permettre d’accroître le niveau de mobilisation des ressources sur les marchés financiers, malgré la tendance haussière notée sur les taux d’intérêt. Dès lors, des efforts d’ordre domestique sont en vue. Justement, le Sénégal devra plancher sur un devoir à faire à la maison.
Réunis en session ordinaire le 28 juin dernier à Dakar, les ministres des Finances de l’UEMOA ont pris des mesures visant à ancrer les économies sur des trajectoires de croissance forte et durable. « Le Conseil des ministres (de l’Union) a adopté la loi uniforme portant définition et répression de l’usure ainsi que la loi uniforme relative au taux de l’intérêt légal. Il a invité les différents Etats membres à procéder à une insertion diligente desdits textes dans leur ordre juridique interne. Le Conseil a, en outre, pris deux décisions. La première précise les différentes catégories de produits d’épargne réglementés, commercialisés par les établissements de crédit, les systèmes financiers décentralisés, les services financiers de l’Administration ou de l’office des postes ainsi que les caisses nationales d’épargne. La seconde a modifié le taux de l’usure dans l’Union, qui est désormais fixé à 15% pour les banques et à 24% pour les autres agents économiques. Cette décision entre en vigueur le 1er janvier 2014. » Le taux de l’usure vise à protéger les consommateurs désireux d'emprunter de l'argent contre les exagérations de créanciers. Ainsi un taux effectif global (TEG) maximal est-il fixé pour qu’un prêt puisse être accordé sous ce plafond. Au-delà de cette limite, tout prêteur risque des poursuites judiciaires.
Vaincre les taux débiteurs suicidaires
A la faveur de ces directives communautaires, les autorités sénégalaises ont l’occasion de prouver une bonne volonté de faire en diligentant leur transposition dans l’ordre interne. Ce rôle est attendu de leurs pairs du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger et du Togo. Pain bénit pour le Sénégal ? Dakar s’obstine à trouver un remède à la maladie des taux débiteurs suicidaires et à sauver les investisseurs de l’hécatombe. Plus d’un téméraire en affaire y a laisser des plumes. Sur point, l’exercice devrait être moins malaisé pour Macky Sall. A ma connaissance, jamais un président de la République du Sénégal n’a été si bien entouré sur des cas précis d’exercices d’agilité financière. Son Premier ministre est banquier et son ministre des Finances l’est également. Avant la banque commerciale (que chacun d’entre eux a servie dans le privé), le premier a débuté sa carrière professionnelle à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et le second a fait la Banque ouest africaine de développement (BOAD). En principe, le topo sur le crédit bancaire qui obstruait le "chemin du bien-être" se retrouve entre des mains expertes pour tirer l’entreprise sénégalaise de ses sempiternels « soucis d’argent » frais. Il faut le réussir pour s’en convaincre.
Au Sénégal, parler du crédit à l’économie renvoie au saut d’obstacles des petites et moyennes entreprises (PME) pour accéder aux financements longs et soutenables propres à l’investissement. Paradoxalement, ce segment des entreprises --la colonne vertébrale de l’économie nationale, demeure le parent pauvre du financement bancaire. Les PME représentent 95% du tissu économique du Sénégal, mais seulement 16% du portefeuille des banques, relevait à la mi-février 2013 le Directeur général de la nouvelle Banque nationale de développement économique (BNDE) Seydou Nourou Sy. A son avis, 83% des besoins des PME sénégalaises sont financés avec leurs propres ressources. « Les besoins de financement connus et non satisfaits des PME sont estimés à 500 milliards de francs CFA, toutefois les besoins non connus et non exprimés sont plus importants que cela. »
A l’instar de ses prédécesseurs, le président Macky Sall a recours à des palliatifs en termes d’instruments destinés à favoriser le développement de l'économie à la base, grâce principalement au soutien de la puissance publique en direction des PME sénégalaises. Dans son agenda, le gouvernement espère avoir trouvé la panacée avec la mise en place du Fonds de garantie des investissements prioritaires (FONGIP) et la création du Fonds souverain des investissements stratégiques (FONSIS). La vocation du FONGIP est de garantir les investissements des PME au niveau des banques locales. A ces dispositifs viendront s’ajouter les actions de la Caisse de dépôts et consignations (CDC) ainsi que celles BNDE, dont le patron vient de dire sa foi en la valeur des PME, en soulignant pour le déplorer auprès de ses confrères du système bancaire classique le sous-classement des PME dans l’ordre d’accès au crédit des banques. Un pied de nez à l’épine dorsale de l’économie sénégalaise. Dès l’entame, les concours bancaires dédiés à ces initiatives privées "sans le sou vaillant" souffrent en termes de prise de risques dans l’investissement et la levée fonds de roulement. Les investisseurs publics ou privés continuent d’en pleurer, arrachant quelques fois pitié à la puissance publique.
Pour sa part, le nouveau chef de l’Etat du Sénégal s’est déjà fait le chantre du crédit souple, en dénonçant sans ménagement « l’application usurière de taux d’intérêt prohibitifs sur les crédits agricoles, les crédits à l’habitat social et les crédits pour la lutte contre la pauvreté en faveur des femmes et des jeunes ». « Il y a, là, nécessité de baisser les taux d’intérêt et cela me préoccupe fondamentalement, surtout en faveur des jeunes et des femmes », plaidait Macky Sall auprès du gouverneur Tiémoko Meyliet Koné, en novembre 2012, lors d’un symposium de la BCEAO. M. Koné en dira un mot : « Nous partageons ce constat que les taux d’intérêt sont anormalement élevés en Afrique. » Ce colloque avait suggéré la poursuite de l’objectif d’améliorer l’efficacité des canaux de transmission de la politique monétaire à travers des bureaux d’information sur le crédit et d’arriver à réduire la cherté des prêts. « Les actions qui seront engagées en vue de favoriser la baisse du coût du crédit devraient respecter le principe de la libéralisation des conditions de banque. »
Renchérissement du crédit bancaire
Moins d’un semestre plus tard, les taux directeurs de la BCEAO baissaient de 25 points de base à la faveur de l’"inflation modérée" en janvier (2,2%). Le but de la mesure est d’améliorer les conditions de financement de la croissance dans l’Union. « Le taux d’intérêt minimum de soumission aux opérations d’appels d’offres d’injection de liquidités est ramené de 3% à 2,75%. Le taux d’intérêt du guichet de prêt marginal est fixé à 3,75% contre 4% précédemment. » Dans sa Note de conjoncture au premier trimestre 2013, la Direction de la prévision et des études économiques du Sénégal (DPEE) indique un renchérissement du crédit. « Le taux débiteur moyen appliqué à la clientèle s’est situé à 6,48% au premier trimestre 2013, contre 5,75% au trimestre précédent, soit une hausse de 0,73 point. (…) Suivant la nature du débiteur, les taux moyens appliqués aux entreprises privées du secteur productif, aux entreprises individuelles et aux particuliers ont respectivement crû de 0,59 point, 1,17 point et 0,35 point pour se situer à 5,62%, 11,28% et 9,43%. Concernant les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), le taux débiteur moyen est resté à son niveau de 11% du trimestre précédent. »
En la matière, il n’y a point d’exception sénégalaise dans le temps et l’espace communautaires. Dans le premier numéro de sa Revue économique et monétaire (REM), datant de Juin 2013, la BCEAO analyse l'évolution des taux d'intérêt débiteurs dans les pays de l'Union et montre le renchérissement du coût du financement bancaire sur la période 2005-2012. Toutefois, précise-t-elle, depuis 2009, une baisse des taux débiteurs est constatée à un rythme moyen annuel de 20 points de base.
« Même si certaines grandes entreprises à surface financières élevée obtiennent des crédits à des taux faibles (inférieurs à 5%), le niveau des taux débiteurs des banques reste relativement élevé en moyenne pour la majorité des clients des banques de l'Union. » Abordant la transmission des évolutions des taux directeurs et interbancaires aux taux débiteurs des banques commerciales de l'UEMOA sur la période allant de janvier 2005 à avril 2011, l’étude constate « une hétérogénéité des réponses des différentes places bancaires aux chocs sur les taux directeurs et une faible sensibilité des taux débiteurs et de la marge d’intermédiation aux conditions de refinancement de la BCEAO ». Ainsi ses auteurs, espèrent-ils que « ces résultats donnent lieu à des recommandations de politique économique ».
Le banquier central est invité à se montrer à la fois économe et mécène, par le jeu de la prudence et de l’audace sur la politique de crédit. Pour se tirer de cet inconfort, il doit mettre les bouchées doubles dans le but de garder sa maîtrise sur les variations périodiques des prix intérieurs, en raison de la lutte contre l’inflation. Aussi doit-il préserver la vitalité de l’économie par un financement des activités de création de richesses et d’emplois, en influençant les taux d’intérêt des banques de détail. Ces diligences étant variées, chaque banque centrale en choisit sa priorité et oriente la politique monétaire dans ce se sens, suivant la capacité des agents économiques locaux à rebondir aux chocs auxquels ils sont exposés. Opérant pour le compte d’Etats aux économies nationales fébriles et sujettes à divers aléas internes et à d’intempestifs chocs exogènes, la BCEAO tient à la maîtrise de l’inflation qu’elle surveille comme du lait sur le feu.
Mission-commando pour la BCEAO
Par analogie au football, le banquier central dans l’UEMOA est un peu comme dans la position du libéro-capitaine. Mené au score, il lui est demandé de remonter le ballon dans le camp adverse, à ses risques et périls, mais aussi et surtout avec l’obligation d’égaliser aux buts, afin de relancer la confiance de ses co-équipiers et de satisfaire les exigences des actionnaires et des fans du club. A l’image de ce chef d’équipe, le gouverneur de la BCEAO et les membres de la Commission bancaire de l’Union sont assignés à cette mission-commando, d’après les "termes de référence" du nouveau président de la République du Sénégal. Dans sa ligne de mire, il a le coût exorbitant du loyer de l’argent et ses effets pervers sur le financement de l’économie. Outre les instructions au chef du gouvernement portant application de mesures ressorties des concertations nationales sur le crédit, le président Macky Sall dispose de certaines cartes à jouer : la transposition rapide de directives communautaires et le plaidoyer auprès de ses pairs parmi les plus avis de l’Union. Une autre paire manche qui n’a rien à voir avec la fameuse "frilosité des banquiers", ni avec l’attitude fort prudentielle de la Banque centrale.
Maintenue dans un corset, l’institution monétaire ne peut guère faire mieux, en l’état actuel de la règlementation bancaire de l’UEMOA. Ce baobab ne lâche pas ses fruits au premier coup de vent. A l’instar de Macky Sall, les décideurs politiques de la région --demandeurs de crédit souple pour l’économie, détiennent les clés de la solution. A eux seuls le pouvoir d’assouplir les règles (trop) prudentielles de la politique monétaire afin d’accroître la capacité d’intervention de la BCEAO et d’entraîner des effets induits sur le taux interbancaire et sur le taux de base bancaire. Les clients ne s’en porteraient que mieux. Le président sénégalais peut jouer cette carte auprès de ses pairs, parmi lesquels les ex-banquiers centraux Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) et Boni Yayi (Bénin). Certainement, ce serait avec la bienveillance du garant français de la monnaie de la Zone francs et, peut-être, espérant le regard attendri du Fonds monétaire international (FMI). Autrement, son adresse aux banquiers locaux restera bloquée au guichet des effets d’annonce de baisse des taux d’intérêt qui interviendrait à la suite de celle des taux centraux de la BCEAO.