LE PROTOCOLE DE BOUSTANE (6 MILLIARDS) RESSUSCITÉ
AFFAIRE DANGOTE / HÉRITIERS DE SERIGNE SALIOU MBACKÉ
Importante audience dominicale hier au palais de la République. De sources sûres, “EnQuête” a appris que le président Macky Sall a reçu en audience Serigne Bass Abdou Khadre Mbacké, le porte-parole du khalife général des mourides. Au menu des discussions, l'affaire qui oppose les héritiers du défunt khalife, Serigne Saliou Mbacké, au magnat nigérian Aliko Dangote à propos de terres à Pout où la cimenterie “Dangote Senegal SA” devrait construire un fleuron industriel. Mais il se trouve que, par un imbroglio foncier né de décisions contradictoires du régime libéral, l'usine empiéterait sur un domaine attribué par voie de bail au cinquième khalife de Serigne Touba.
Le Khalife de Touba, Serigne Sidy Mokhtar Mbacké, a donc demandé à son cousin et porte-parole de venir au palais de la République pour trouver les voies et moyens de mettre un terme à un conflit qui a fini de faire d'innombrables dégâts collatéraux. Le plénipotentiaire de Touba était accompagné par Mame Thierno Mbacké, un proche du khalife ; la rencontre avec le chef de l'Etat a eu lieu entre 12 heures et 15 heures. Précisément, il s'agit pour la famille religieuse de relancer les termes d'un accord qui était sur le point d'être conclu en février 2013 pour un règlement à l'amiable, alors que la Justice a donné fait et cause à l'investisseur. Selon le porte-parole du Khalife, joint au téléphone hier en début de soirée, “le président Macky Sall a montré de bonnes dispositions pour trouver une solution qui satisfera tout le monde”. Mais Serigne Bass Abdoul Khadre Mbacké ne donne aucune précision sur la nature de l'accord, expliquant simplement qu'il faut privilégier l'esprit de consensus et que le Président Sall l'a bien rassuré au cours de cette audience.
“Le protocole de Boustane”
Ce n'est pas la première médiation dans cette affaire. Le 17 février 2013, deux mandataires du milliardaire Aliko Dangote, en l’occurrence Ahmed Shehu Yakasai et Mahmoud Kazaure, se rendent à Boustane chez Serigne Moustapha Saliou pour une visite de courtoisie de 48 heures. Ils étaient accompagnés du sieur Oumar Top, qui conduit les négociations en vue d’un accord entre les deux parties. Après leur séjour, les mandataires rédigent une seconde lettre pour remercier le chef religieux des honneurs et réjouissances qui leur ont été réservés (le fameux berndël des mourides), tout en réitérant les excuses de Dangote et sa disponibilité quant à l’ouverture de négociations.
Dangote Senegal SA, dans le fameux protocole d'accord, renonce au pourvoi en cassation contre l’arrêt n° 276, rendu le 17 juillet 2012 par la Cour d’Appel de Dakar et à toutes les procédures ayant un rapport direct ou indirect avec cette affaire ; les héritiers renoncent entièrement et intégralement à leurs droits sur l’intégralité du périmètre occupé par Dangote et lui transfèrent entièrement ledit périmètre ainsi que les droits qui y sont attachés. Par ailleurs, les héritiers renoncent au bénéfice de la mesure d’expulsion prononcée par l’arrêt n°276 rendu le 17 juillet 2012 par la Cour d’Appel de Dakar.
Les deux parties acceptent que la signature du protocole d’accord constitue un règlement définitif du litige et enfin Dangote s’engage à prendre en charge le préjudice subi par les héritiers de Serigne Saliou Mbacké, fixé d’accord parties à la somme de six milliards six-cent-soixante millions (6 660 000 000) de F Cfa.
Mais le 4 mars 2013, coup de tonnerre ! Serigne Moustapha Saliou Mbacké, considérant qu'il y a des “tergiversations” de l'autre partie, menace de rompre le contrat à l'amiable et de reprendre la bataille judiciaire. Trois jours plus tard, ses avocats adressent à leur tour une correspondance à la SCP Geni & Kébé, les conseils de Dangote Senegal Sa, pour préciser qu'un paiement en espèces est exigé. Mais la SCP Geni & Kébé voit d'un mauvais œil le procédé, surtout le versement en espèces d'une telle somme. Elle propose en retour que l'argent soit versé dans un compte ouvert au nom de Serigne Moustapha Saliou ; ou que la somme soit déposée sur le compte Carpa des avocats.
Le 11 mars, nouvelle missive de Serigne Moustapha Saliou qui s’impatiente. Il réécrit à Oumar Top pour lui signaler que ses “mandataires ne manifestent pas une volonté claire de souscrire à leurs engagements, en particulier au retrait du pourvoi en cassation dirigé contre l’arrêt du 17 juillet 2012” avant de lui demander “de faire venir M. Aliko Dangote en personne pour la finalisation et la concrétisation du règlement à l’amiable”.
Visiblement remonté contre ses interlocuteurs, Serigne Moustapha Saliou ouvre un compte bancaire dans les livres de la SGBS à Touba, mais demande à son gestionnaire de s’opposer à tout virement sans son accord préalable. Le 15 mars 2013, nouveau rebondissement qui sent le crissement des billets de Cfa. Dangote Senegal SA décide de virer 6,6 milliards F Cfa, mais précise à la SGBS Roume (agence centrale) des conditions. Ce montant ne sera versé qu’à la double condition ci-après : la signature du protocole d’accord par les deux parties ; la transmission d’une lettre par les deux parties confirmant que le protocole a été signé. Les avocats demandent par ailleurs à la banque “d’émettre un avis de crédit confirmant le virement et qu’il sera remis à qui de droit si les conditions sont remplies”.
Questions de préséance
Le 27 mars, la SGBS atteste avoir crédité le compte Carpa de la SCP Geni & Kébé de la somme de 6 669 696 392 F Cfa, moins les commissions d’un montant de 13 349 923 F Cfa. Le même jour, Serigne Moustapha Saliou demande à l’agence SGBS de Touba de lever l’opposition sur les virements au crédit de son compte.
Cependant, les 6,6 milliards F Cfa ne sont pas arrivés sur le compte de Serigne Moustapha Saliou et pour plusieurs raisons qui ont finalement conduit les négociations dans l’impasse. Pourquoi ?
D'abord, l'entreprise a cherché à s'entourer de garanties avant de décaisser, mais cette lenteur dans les procédures énerve l'autre partie. Dangote Senegal SA voulait faire valider le protocole d’accord par ses conseils, avant de procéder à sa signature avec l’autre partie.
Ensuite, la somme envoyée par Dangote était de 6 669 696 392 milliards F Cfa moins les frais bancaires s’élevant à 13 349 923 F Cfa, soit un reliquat de 6 656 346 469 F Cfa. Les mandataires de Dangote Senegal SA promettent de rembourser la différence (3 653 531 F Cfa) en espèces lors de la signature du protocole, mais les héritiers n’ont pas accepté cette proposition. Et le pire arrive quand Dangote Senegal SA demande à Serigne Moustapha Saliou de présenter une procuration attestant qu’il est le représentant des héritiers de Serigne Saliou. Ce qu'il a refusé...
Il ne restait alors plus qu'à attendre la délibération de la Cour suprême. Mais l'Etat ne pouvait rester les bras croisés, sans toutefois interférer dans l'action de la Justice. C'est tout le sens de l'audience d'hier. Au demeurant, ce litige est révélateur de la pagaille administrative qui règne dans le foncier au Sénégal. Les terres attribuées à Dangote et feu Serigne Saliou ne sont pas les mêmes. Aucune des deux parties ne dispose de titre de propriété, de bail, etc. Elles brandissent des décrets qui, au regard du droit foncier, n’ont aucune valeur et ne constituent en rien des titres de propriété.
Mais avec les nouvelles négociations engagées, cette affaire pourrait être rangée dans les tiroirs, dans les semaines à venir...