LE PSE VA AU-DELA D’UNE SIMPLE ATTEINTE D’UNE CROISSANCE À DEUX CHIFFRES
EXCLUSIF SENEPLUS : ALIOUNE BADARA SY (SPÉCIALISTE DES PME/PMI EN AFRIQUE)
Délégué thématique au prestigieux think tank «Club de l’Economie numérique» de Toulouse, Alioune Badara Sy est Ingénieur expert en économie industrielle et spécialiste des Pme/Pmi en Afrique. Il a notamment participé au projet de la Banque mondiale «Promouvoir des pôles de compétitivité en Afrique». A l’heure où le Projet Sénégal Emergent marque l’actualité, il explique pour SenePlus la notion d’«Émergence», à la mode dans le jargon économique.
SenePlus : Aujourd’hui on parle beaucoup d’«Émergence». Quels sont les critères qui peuvent déterminer l’émergence économique d’un pays ?
Alioune Badara Sy : Il faut noter que le premier à utiliser le terme «émergent» est Antoine Van Agtmael, économiste néerlandais, en 1981, pour parler de pays en développement offrant des opportunités pour les investisseurs. Depuis, la diversité des études sur les pays émergents révèle combien le contenu de ce concept a fondamentalement évolué, excluant rigoureusement tout consensus. Cependant, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales, faisant la synthèse des travaux récents sur le sujet a défini le concept de pays émergent à partir des trois critères suivants : un niveau de richesse (revenu moyen par tête égal à 60% du niveau moyen des pays de l’OCDE) dont je rappelle que le revenu moyen disponible ajusté net des ménages est de 23 047$ ; une participation croissante aux échanges internationaux de produits manufacturés (croissance des exportations de produits manufacturés supérieure de 2% par an à la croissance des échanges mondiaux) et une attraction exercée sur les flux internationaux de capitaux (donc être une place financière de premier plan).
À partir de cette définition, peut-on dire que le Sénégal est sur la voie de l’émergence ?
À l’aune de cette définition, nous pouvons dire que la voie vers l’émergence est une trajectoire sur le moyen et long terme qui nécessite une vision articulée autour des éléments suivants : une croissance forte et soutenue à deux chiffres sur au moins une décade ; une transformation structurelle de l'économie, notamment à travers le développement des industries et des services et une transition d'un contexte dans lequel l'Etat est le principal acteur, à un autre qui voit apparaître de nouveaux acteurs de poids tels que les collectivités territoriales et le secteur privé. Pour parler de notre pays : faire du Sénégal une nation émergente implique dès lors que le pays gravisse les quatre paliers de l’émergence à savoir être exportateur de matières premières, contribuer aux échanges internationaux de produits manufacturés à valeur ajoutée ; être exportateur de capitaux et enfin être exportateur de savoir-faire ou de connaissances.
Quel est le rapport entre émergence et croissance économique ?
L’émergence d’un pays renvoie à une vision fortement systémique qui prend en compte des critères économiques, politiques et stratégiques, s’inscrivant dans une dynamique nationale et internationale. L’émergence vise, par ailleurs, l’objectif de puissance économique dans un environnement mondial turbulent et fortement concurrentiel. Et la redéfinition du rôle de l’État dans cette dynamique de transformation économique constitue une réhabilitation de l’interventionnisme de la puissance publique en tant qu’actrice stratégique capable de booster la dynamique du développement. Ce qui nous éloigne de l’économisme qui consiste à réduire l’émergence à la croissance économique. Comme l’indique bien le Prix Nobel d’économie suédois Gunnar Myrdal (1978), la croissance économique ne tient pas compte de la répartition du revenu et de l’interrelation entre production et répartition qui est susceptible de générer le développement, donc l’émergence d’un pays.
Le Projet Sénégal Émergent, basé essentiellement sur l’atteinte d’une croissance à deux chiffres et simultanément assujetti à un délai moyen-termiste, est-il réaliste ?
Le PSE définit une nouvelle stratégie économique qui va au-delà d’une simple atteinte d’une croissance à deux chiffres, même si cet objectif est la condition de sa réussite. Il se présente plutôt comme un choc de réforme décliné autour de puissants moteurs de croissance d’une part transversaux, bonne gouvernance, éducation, santé et environnement, et verticaux d’autre part, agriculture, technologies de l’information et de la communication, énergie, infrastructures, mines, industrie, tourisme et secteur financier. Et enfin, surtout, il opérationnalise les grands axes de l’action gouvernementale tant au plan national qu’international pour atteindre une croissance soutenue de 7% à terme, et productrice d’emplois. Peu importe la durée (qui reste un objectif). L’essentiel, c’est d’armer le Sénégal, lui redonner une perspective, pas simplement pour les trois prochaines années, mais pour les quinze prochaines années, je crois que telle est l'ambition que porte le Plan Sénégal Émergent.