Le Renseignement, ventre mou de la sécurité nationale
Quand les « grandes oreilles » du régime sont bouchées
En d’autres temps, on aurait dit de l’escapade mauritanienne d’Oumar Sarr, le coordinateur provisoire du Parti démocratique sénégalais (PDS), que c’est de l’enfantillage, une preuve supplémentaire de l’immaturité et de l’irresponsabilité de l’homme — ainsi que le caricaturent en tout cas ses adversaires. A tout le moins, on aurait dit que c’est de la bravade et de la gesticulation sans frais. Il se trouve — hélas pour les tenants du pouvoir !— qu’il a touché du doigt un point particulièrement sensible de tout Etat et de la vie de tout pays. Ce point, c’est celui relatif à la sécurité, celle-là même qui conditionne la quiétude des citoyens, pour ne pas dire l’existence même des pays.
En réussissant lui, l’interdit de sortie du territoire national, à fausser compagnie à ses anges gardiens, à traverser le fleuve Sénégal, qui marque la frontière naturelle entre notre pays et la Mauritanie, puis à se rendre dans ce dernier pays où il a passé la nuit avant de prendre un vol régulier — de « Sénégal Airilines » ! — pour débarquer tranquillement sur le tarmac de l’aéroport Dakar-Yoff où il a été chaleureusement accueilli par ses militants, l’ancien ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat du régime libéral a réussi un coup de maître.
En effet, cet homme que l’on disait terne, sans éclat ni envergure, a réussi le tour de force de ridiculiser le régime du président Macky Sall en montrant que ses forces de sécurité sont foncièrement incompétentes. Pis, de par leur incompétence, elles représentent un danger pour les Sénégalais dans la mesure où, à l’heure où les djihadistes sont présents partout dans la sous-région — et notamment au Mali et en Mauritanie voisines — qu’un homme faisant l’objet d’une interdiction de sortie du territoire, et en principe surveillé 24/24 heures, réussisse à franchir les frontières nationales avant de revenir faire un pied de nez à nos forces de sécurité, cela est particulièrement inquiétant pour les citoyens de ce pays que nous sommes. Nous pensions être bien protégés, efficacement défendus, que nos forces de défense et de sécurité veillaient sur nous nuit et jour et l’on découvre que n’importe quel individu peut pénétrer dans notre pays sans attirer l’attention de ces forces. Autrement dit, si des djihadistes voulaient venir commettre des attentats chez nous, rien ne pourrait les en empêcher. En tout pas nos services de renseignements !
Ces services, tout le monde sait que ça fait des lustres qu’ils ne sont plus efficaces, démunis qu’ils sont en hommes et en moyens. Pas plus tard qu’il y a quelques mois, au lendemain de la « blitzkrieg » des talibés de Cheikh Béthio Thioune au centre-ville de Dakar, nous nous en émouvions. En effet, ces disciples avaient réussi à se donner rendez-vous dans le plus grand secret au Plateau avant de commettre les casses que l’on sait. Nos braves policiers les attendaient tranquillement aux abords de la prison centrale de Rebeuss où les « thiantacounes » s’étaient donné publiquement rendez-vous. En réalité, c’était un piège et nos braves forces de l’ordre y avaient foncé tête baissée tandis que les disciples du Guide mouride se trouvaient à l’autre bout de la ville, en train de casser toutes les belles voitures qu’ils trouvaient.
A l’époque, une haute autorité gouvernementale nous expliquait, après avoir lu notre papier sur la défaillance des services de renseignement, qu’en réalité ces derniers avaient bien fonctionné mais que le problème c’est que les unités chargées d’aller réprimer les manifestants… s’étaient trouvées coincées dans des embouteillages ! On ne sait s’il faut en rire ou en pleurer… C’est en tout cas ce qui explique que les autorités avaient limogé à l’époque, en plus du ministre de l’Intérieur, M. Mbaye Ndiaye, le directeur de la Sécurité publique.
De même, lors des fameux événements dits des « Moustarchidines » qui, en 1994, s’étaient soldées par le lynchage effroyable de huit policiers, le ministre de l’Intérieur de l’époque, un certain Djibo Leïty Kâ, n’avait rien vu venir. En tout cas, il n’avait pas su prendre les dispositions idoines pour s’opposer à cette insurrection des talibés de Serigne Moustapha Sy. Et ce bien que la BNSE (Brigade nationale de sûreté de l’Etat), dirigée à l’époque par le commissaire Massamba Ndiaye, avait fait un « BR » (bulletin de renseignement) pour annoncer la marche.
Un autre événement survenu au début du premier mandat du président Abdoulaye Wade avait déjà montré le manque de vigilance de nos services de renseignements. Il s’agit de l’affaire dite des « mannequins sénégalaises pour la Libye », c’est-à-dire ces nymphes qui étaient recrutées pour aller faire — officiellement du moins — des défilés pour le régime du colonel Kadhafi, et plus si affinités. Malgré la réputation subversive de Tripoli, des jeunes filles quittaient notre pays et s’y rendaient à l’insu des services de sécurité. Jusqu’à ce qu’un ressortissant occidental, qui s’était amouraché de l’une de ces lianes et ne voulait pour rien au monde la voir aller se faire tripoter par les dignitaires de la Jamahiriya, vende la mèche aux gendarmes. Et ce alors que le contingent de jeunes filles était sur le point d’embarquer dans un avion en partance pour la Libye ! N’eut été cela, les autorités n’auraient été au courant de rien.
On pourrait ajouter à ce chapitre du manque de vigilance de nos forces de défense et de sécurité, ce qui s’est passé la fameuse nuit de septembre 2002 où le « Joola » a coulé au large des côtes gambiennes. Ce soir-là, à la permanence de la Marine nationale chargée de recevoir les appels de détresse, il n’y avait tout simplement personne ! Et jusqu’au lendemain dans la matinée, pour un drame qui s’est produit à nos frontières et dans lequel quelque 2000 Sénégalais ont péri, l’état-major général de l’Armée nationale n’était tout simplement pas au courant de ce qui s’était passé. Et même lorsqu’il a été informé du naufrage, le chef d’état-major général de l’époque, avait préféré tranquillement prendre son avion pour aller installer un commandant de zone quelque part dans le pays…
Dans ces conditions, bien sûr, les Sénégalais peuvent être rassurés : ils sont bien protégés ! A preuve par le numéro du député Oumar Sarr… Lequel, encore une fois, et sans avoir l’air d’y toucher, a réussi à tourner en bourrique le régime du président Macky Sall. Et à provoquer un chamboulement en cascade de la haute hiérarchie policière ou au moins deux têtes sont tombées suite à la tornade provoquée par l’innocente balade du maire de Dagana chez les beydanes, de l’autre côté du fleuve. Ah, c’est du joli ! Et quand on vous disait que c’est l’amateurisme qui gouverne ce pays…
Car, encore une fois, le talon d’Achille du Sénégal, ce sont ses services de renseignements. Des services dont les effectifs ont fondu comme beurre au soleil — à titre d’exemple, la BNSE, le service de renseignements de la police qui couvre toute la région de Dakar — comptait quelque 125 agents jusqu’au milieu des années 90. Eh bien, il n’en a plus que 25 à l’heure actuelle ! Des agents démotivés, lessivés et dépourvus de moyens. De même, dans une ville comme Thiès qui est la troisième du Sénégal en termes de démographie, et où plusieurs mouvements fondamentalistes avaient été repérés dans la même période — comme les « Ahl El Beït » —, la BMS, le service de renseignements régional, avait à sa tête un officier de police, et pas même un commissaire comme au bon vieux temps.
Pis, la crème de ces Renseignements généraux de la Police est partie dans les missions des Nations unies tandis que, ô paradoxe, les autres bons éléments sont affectés à la Sécurité publique, c’est à dire la police en tenue. Sans compter que ces braves commissaires ou agents ne disposent guère de budgets pour acheter des renseignements. Quant à la logistique, n’en parlons pas. Souvent, c’est avec un seul véhicule — et sans dotation de carburant suffisante ! — plus quelques motos que les BMS sont tenues de couvrir des régions très vastes géographiquement. Conséquence : bon nombre d’agents vivent sur la bête et passent leur temps à racketter les chefs de services régionaux ou les responsables politiques du coin… Lesquels, parce qu’ils ont sans doute bien des choses à se reprocher — ou parce qu’ils ont des ambitions dévorantes — ont, selon les cas, une peur bleue des « BR » ou une folle envie de ces derniers.
Il existe bien d’autres services de renseignements comme la DDSE (Armée) ou le COS, sans compter le BSPR ou Rondon, mais c’est à peine s’ils sont mieux outillés que la DSE (Direction de la Sécurité d’Etat) qui chapeaute les BMS et la BNSE.
Autant de choses qui font que, dans un contexte de montée des périls comme celui où évolue actuellement notre pays, on aura beau changer de directeur général de la Police nationale, ce sera comme un coup d’épée dans l’eau tant que le Renseignement ne sera pas réhabilité, restructuré et renforcé en moyens aussi bien humains, logistiques que financiers !