LE ROYAUME DES ARNAQUEURS
MARCHÉ NOIR À PATTE D’OIE
Appelé “market” par les jeunes “nandités”, le marché noir à la Patte d’Oie est un vrai havre de paix pour les malfaiteurs. Toutes les stratégies sont bonnes pour arnaquer ou dérober les biens des acheteurs ou autres visiteurs. La nuit, une ambiance chaude règne dans cet espace.
“Tu es un truand. Le portable que tu m’as vendu n’est pas du tout bon. Il a un problème d’écoute et de batterie”, crie un jeune homme sur le businessman. Ce fut automatiquement des échanges de coups de poing dans le désordre.
On les sépare après une rude bataille. Après moult négociations, menées par les témoins des faits, les deux adversaires se séparent. Cette scène est habituelle à la Patte D’oie. Surtout la nuit. Le market (point de vente d’objet divers) qui s’y trouve offre une ambiance festive et désordonnée.
Vendeurs de portables, d’habits, de sacs, de chaussures et tant d’autres articles et leurs différents clients s’y retrouvent dans un concert de Klaxons des voitures venant de différentes directions. Bienvenue à la Patte d’Oie ! Une zone pleine de couleurs. La nuit est déjà avancée, mais c’est comme le jour. On y vend toutes sortes d’articles. La vie est dense et très animée.
L’on discute sur les prix des vêtements proposés par les jeunes “nandités” (branchés). L’on se dispute aussi sur les prix des portables. L’on se bat parfois. L’on s’interroge sur le prix d’une valise vendue pour une somme de 3000 F. La friperie mise en tas est cédée à des prix moins coûteux que dans les autres marchés. Ce qui n’empêche pas que l’on se pose des questions sur la qualité des articles.
Produits de mauvaise qualité
Dans ce marché, tous ces nombreux produits sont presque de mauvaise qualité. C’est du moins ce qu’en pensent bon nombre d’habitants du milieu. C’est d’ailleurs ce qui est à l’origine de plusieurs disputes entre acheteurs et vendeurs. Les derniers sont souvent traités d’escrocs. “Oui, ils le sont !” s’exclame un passant.
“Tous ces vendeurs de portables sont des bandits. Ils volent des portables pour venir les revendre à bas prix”, signale-t-il. Discutant sur le prix d’un portable de marque NOKIA 2700 CLASSIC, Modou Dia regarde tous les détails du cellulaire.
“Il faut être très vigilant en achetant ces portables ici dans ce market. Ces gens vendent le plus souvent des portables à des prix vils, mais le plus souvent les portables ont des problèmes. Parfois vous vous en rendez-compte quand vous rentrez chez vous. C’est pourquoi, il faut bien le tester avant de l’acheter”, recommande-t-il, en proposant 7500 F au vendeur qui lui demande 10000 F.
Cette marque de portable, toute neuve, coûte 45 000 F, explique-t-il. Notre interlocuteur reconnaît tout de même que parfois, il arrive que les marketmen vendent de bons cellulaires. “Quand tu as de la chance et que tu es un habitué du marché, tu auras des portables de qualité”, explique-t-il.
Quelques mètres plus loin, une dame, la trentaine, vêtue d’un pagne et d’un boubou, deux portables entre les deux mains, cherche un client pour liquider sa marchandise. “Dans ce market, vous trouvez parfois des filles qui viennent vendre des portables comme les hommes. C’est surprenant mais c’est la triste réalité. Le problème, ce sont des délinquantes qui connaissent bien ce business”, renseigne Mouctarou Ndiaye.
Il est 00 h. La nuit avance, le market bat son rythme, les négociations se multiplient. Fréquenter les lieux devient de plus en plus dangereux selon les dires de certains. “Ici aux heures de crime, ces gens peuvent te vendre un portable et après t’intercepter pour t’agresser et reprendre le cellulaire, alors qu’ils te l’ont déjà vendu”, regrette Demba Diallo. Qui renchérit : “J’en ai vu plusieurs cas.”
Vendre et disparaître
“Que voulez-vous, un portable ?”, demande un jeune venu de Guédiawaye. Sceptique face à nos questions, il disparaît entre le groupe de vendeurs. “Ces gens n’aiment pas qu’on leur pose des questions. Car ils ont peur de la police. Ils savent qu’ils sont dans des affaires nébuleuses. Et puis beaucoup d’entre eux n’habitent pas la Patte d’Oie, ils viennent ici pour faire leur sale boulot”, accuse Moussa Diop.
Le jeune homme indique qu’ils escroquent le plus souvent des gens n’habitant pas Dakar qu’ils nomment “Wathie bou bess” (nouveau venu). Quelques pas plus loin, une fille, anxieuse, accompagnée de sa sœur, cherche le vendeur qui lui a cédé une valise.
“Où est le vendeur qui était à cet endroit ? Il m’a vendu une valise qui est trop grande pour mes bagages. Je n’ai pas vérifié en quittant alors que la valise est déchirée à l’intérieur dans l’une de ses poches. Je veux juste la changer, mais je ne le trouve pas. Pourtant j’ai quitté ici il y a à peine 30 minutes”, dit-elle, désemparée.
Les autres compères du businessman déclarent ne pas le connaître. “Ils se protègent mutuellement. Ils sont de connivence dans tous leurs deals”, dévoile un bonhomme, assistant à la scène.
Et la police dans tout cela !
Tout d’un coup, de l’autre côté, près de l’intersection qui mène vers l’autoroute, un échange houleux entre un autre “dealer de call” (ils ont l’habitude de parler ainsi) et un “boy town” qui accuse le premier de voleur. “Tu n’es pas plus rusé que moi, je suis bien d’ici comme toi. Tu me rends mon argent ou je t’emmène à la police”, menace le jeune. Dans cet endroit, la police n’est pas fréquente. Elle s’y rend rarement, souffle-t-on.