Le Sénégal en flagrant délit
AMNESTY SUR LA SITUATION DES DROITS HUMAINS, L'IMPUNITE, LA LIBERTÉ DE MANIFESTER...
Amnesty International Sénégal a rendu public hier, jeudi23 mai 2013, son rapport annuel. Dans ce document, l'Ong est revenue sur la situation des droits humains dans bon nombre de pays. Le rapport fait également état d'une poursuite de l'impunité au Sénégal. En guise de recommandations, Amnesty international appelle à une réforme du code de justice militaire.
C’est un document fort de 400 pages, que l’organisation de défense des droits de l’homme et des libertés d’expression a rendu public hier jeudi, à l’occasion d’un face-à -face avec la presse. De l’avis de Seydi Gassama, directeur d’Amnesty International Sénégal, le rapport 2013 (portant sur la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2012), donne «une vision complète et détaillée de la situation des droits humains dans le monde et plus précisément dans 159 pays et territoires». Mieux, M. Gassama précise qu’il «témoigne de l’action menée par Amnesty International pour lutter contre les atteintes portées à ces droits dans le monde entier et détermine les problèmes les plus importants à régler dans ce domaine au cours de l’année à venir».
Les forces de sécurité dans l’impunité totale au Sénégal
Le Sénégal est mis au banc des accusés par le rapport 2013 de Amnesty international. Décès en détention, torture et usage excessif de la force par la police et la gendarmerie sont entre autres, les principaux chefs d’inculpations qui pèsent sur lui. L’injustice est toujours présente et l’arrivée au pouvoir du président de la République Macky Sall n’a rien changé. Les Sénégalais vivent toujours sous le poids d’une justice à deux vitesses. D’un côté les citoyens, sans défense et livrés aussi bien à la merci de la machine judiciaire qu’à la domination des forces de sécurité. Et de l’autre côté les forces de sécurité, armées jusqu’aux dents, et toujours prêtes à mater le premier manifestant, sans que rien n’advienne.
Cette situation, décriée pourtant par la majorité de Sénégalais et qui a valu à l’ancien régime libéral d’Abdoulaye Wade, toutes sortes de critiques, est malheureusement toujours présente dans le pays. Les forces de sécurité sont toujours hors de portée des mailles de dame justice. Pour preuve, le document rendu public hier par Amnesty International révèle que la plupart des crimes commis pendant la période pré-électorale n’ont pas été élucidés, un an après.
Le rapport fait également état du classement sans suite de certaines de ces enquêtes par la justice à l’insu même des avocats des victimes et de leurs familles. Ce qui fait dire à Seydi Gassama que, «la justice enquête et juge très peu de cas de torture, de décès en détention ou du fait d’un usage excessif de la force par la police et la gendarmerie qui ont marqué les 12 ans de règne du président Wade». Sous Wade, elle a été décriée par tous, y compris par ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui.
Mais force est de constater que l’injustice n’est pas l’apanage du régime libéral, le régime de Macky Sall, a lui aussi son lot d’impunités. Le rapport fait état de deux personnes tuées par la gendarmerie : Kékouta Sidibé, le 12 août 2012 dernier et Bambo Danfakha, le 14 mai 2013. Cette situation, d’après le directeur d’Amnesty International Sénégal, constitue un déni de justice susceptible d' accroitre la frustration et de créer un climat propice à d’autres violations graves des droits humains par les forces de sécurité.
Pour permettre aux magistrats instructeurs de poursuivre les commanditaires et les complices de cette impunité, l’Ong invite Macky Sall et son régime à déclassifier toutes les informations relatives à la répression sanglante des manifestants contre une troisième candidature d’Abdoulaye Wade entre janvier et mars 2012.
Liberté de rassemblement et de manifester
Le rapport estime également que Macky Sall n’a pas fait mieux que son prédécesseur en termes de respect des libertés de manifestation. D’après le document, la rupture attendue avec l’ère Abdoulaye Wade n’a pas eu lieu. Pour cause, le rapport indique que «le gouvernement a continué à interdire des rassemblements et des manifestations initiées par des partis politiques, des syndicats et des organisations de la société civile aussi bien à Dakar que dans les régions».
L’Ong s’est aussi insurgée contre l’expulsion du gambien Kukoye Samba Sagna et du bloggeur tchadien Makaïa Nguebla vers la Guinée. Le document indique, que le président Sall, en procédant de la sorte, a sacrifié la réputation sénégalaise.
Traque des biens mal acquis et Casamance
Amnesty International Sénégal affiche aussi son soutien aux autorités sénégalaises dans la traque des biens mal acquis. Toutefois, l’Ong demande que tout se fasse dans le strict respect des droits humains. A ce titre, le document invite le gouvernement à se plier à la décision de la Cour de justice de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui demande la levée de l’interdiction de sortie du territoire national des personnes inculpées. Amnesty international exige la libération de tous les otages détenus depuis le 3 mai dernier par le groupe combattant du Mouvement des forces démocratiques de Casamance, relevant du chef de guerre César Atout Badiate.
L’ong met le chef rebelle devant ses responsabilités. «Nous rappelons à Cesar Atoute Badiate que prendre en otage des civils qui ne participent pas aux combats, des travailleurs humanitaires de surcroit, est un crime au vu du droit sénégalais et du droit international», a indiqué le rapport.
Recommandations
Amnesty International Sénégal ne s’est pas seulement limité à faire l’état des lieux des droits humains dans ce document, l’Ong a également formulé quelques recommandations. On note la réforme du code de justice militaire, pour dit-on, mettre fin à l’impunité des forces de sécurité.
L’Ong dit approuver le travail engagé par le professeur Amadou Mactar Mbow, chargé de la réforme des institutions. Amnesty international invite également le gouvernement à faire bouger les choses pour l’adoption définitive du code de la presse. Elle invite aussi l’Etat à abroger l’arrêté pris par l’ancien ministre de l’Intérieur, Ousmane Ngom, interdisant toute manifestation en centre-ville. L’Ong demande également la suppression du ministère des Sénégalais de l’Extérieur et de verser son budget aux consulats pour mieux renforcer leur capacité à venir en aide aux expatriés.
Des faits saillants dans les autres pays
En Afrique, en Europe, en Amérique comme en Asie, le document révèle de graves crises des droits humains qui se poursuivent. De l’avis de Seydi Gassama, la persistance de ces crises constatées un peu partout à travers le monde est une illustration parfaite de l’échec du conseil de sécurité des Nations unies, garant de la paix et de la sécurité internationale.
Sur le continent africain, Amnesty International souligne que les conflits, la pauvreté omniprésente et les exactions des forces de sécurité et des groupes armés pésent lourdement sur le quotidien des populations et empêchent les citoyens de jouir pleinement de leurs droits. Cette situation met " en évidence les lacunes intrinsèques des mécanismes régionaux et internationaux de protection des droits humains, de la paix et de la sécurité».
L’ong a également accordé une attention particulière à la situation des droits humains dans certains pays africains, comme l’Afrique du Sud, la Gambie, la République Démocratique du Congo et le Mali; pour ne citer que ceux-là. Dans le pays de Nelson Mandela, de l’avis d’Amnesty International, «la violence policière a atteint un niveau qui rappelle les moments sombres du régime de l’apartheid. Le massacre de 34 mineurs grévistes de la mine de platine Lonmin Marikana dans la province du nord-ouest, le 16 Août 2012 dernier, en est une parfaite illustration.
Le rapport a également signalé la répression des défenseurs des droits humains, des journalistes et opposants dans des pays comme l'Éthiopie ou la Gambie. D’après ce document, certains des leaders de ces pays ont été condamnés à de longues peines d’emprisonnement et d’autres ont été arrêtés de manière arbitraire, harcelés ou encore menacés de mort.Face à cette situation, l’Ong appelle les autorités sénégalaises à exiger de Yaya Jammeh la restitution des corps de leurs ressortissants exécutés afin qu’un enterrement digne leur soit offert par leur famille.
Gambie : Amnesty demande la restitution des corps des Sénégalais exécutés
L’Ong exige également le retour du troisième sénégalais condamné à mort par le régime de Jammeh : Saliou Niang qui attend toujours son exécution. D’après Seydi Gassama, ce dernier serait malade et son état de santé nécessiterait des soins médicaux spécialisés.
Amnesty International a également regretté dans ce rapport le nombre élevé de peines capitales prononcées dans plusieurs pays. Les Etats-Unis occupent la première place dans ce domaine. Dans le pays d’Obama, le rapport souligne une accentuation de cette pratique dans plus de la moitié des Etats constituant ce pays. Le rapport relève aussi des homicides illégaux et une violation flagrante du droit international par la première puissance mondiale avec l’utilisation des drones au Pakistan et en Afghanistan dans sa guerre contre le terrorisme.