"Le secteur agricole pourrait se développer à partir de la maîtrise des eaux souterraines"
El HADJI MALICK SARR, DG ANIDA

« 15% seulement des eaux souterraines sont utilisés au Sénégal pour l’agriculture. L’Agence Nationale pour l’Insertion et le Développement agricole (ANIDA) compte sur cette ressource pour accompagner le monde rural, avec la création de fermes agricoles à travers le territoire national », souligne Elhadj Malick Sarr, le Directeur général de l’ANIDA.
La Gazette : Comment comptez-vous travailler pour améliorer la disponibilité en eau, au moment où le gouvernement fait de l’Agriculture son premier levier de croissance ?
El hadji Malick Sarr : Avec la dénomination actuelle de l’agence, deux objectifs transparaissent : l’insertion et la création d’emplois pour les jeunes dans le secteur de l’agriculture. La stratégie que nous avons formulée pour l’atteinte de ces deux objectifs est fondée sur la valorisation des ressources en eaux souterraines, puisque le Sénégal a un potentiel important non encore suffisamment valorisé. Nous disposons de quatre milliards de mètres cubes d’eaux renouvelables souterraines. Et le niveau de mobilisation réalisé par tous les forages est encore très faible par rapport aux potentialités. C’est dire donc qu’on a une marge de progression importante. L’avantage de cette approche est qu’elle vient compléter l’objectif de développement, par l’irrigation.
Au Sénégal c’est un objectif ancien, mais qui ne reposait que sur la valorisation des ressources de surface, comme les fleuves et les lacs. Le deuxième niveau d’intervention rend éligible la plupart des régions du Sénégal. C’est le cas des régions arides comme Louga, Diourbel, Fatick et Kaffrine. C’est donc en même temps une démarche d’aménagement du territoire, qui vise à fixer les populations dans leurs terroirs d’origine. Ainsi, le Sénégal irait vers un développement harmonieux. En plus de la disponibilité en eau, il y a une disponibilité foncière importante pour la création d’emplois. Nous avons un niveau de dotation foncière quatre fois supérieur à la moyenne mondiale. La position géographique du Sénégal par rapport au reste du monde est aussi un atout. Le secteur agricole au sens large (agriculture, élevage) pourrait se développer à partir de la maîtrise de l’eau. Nous visons la ressource en eaux souterraines.
Quelle stratégie pour y arriver ?
Le développement rural ne peut se faire qu’avec une entrée stratégique : l’eau. Si on maîtrise l’eau, on a la possibilité de faire des productions animales et végétales à travers des fermes agricoles collectives. C’est ce qu’on a appelé jusqu’à présent les fermes villageoises modernes. Mais qui devaient prendre la dénomination des « Pionniers du développement agricole », comme l’a dit le Premier ministre. En même temps cela peut prendre la forme d’exploitations familiales individuelles, que nous sommes en train d’installer. Parce que lorsque vous regardez ce pays, 80 % de la production provient des exploitations familiales. C’est dire donc que c’est un type d’exploitation dont il faut tenir compte et qu’il faut promouvoir.
Ce à quoi nous œuvrons présentement, c’est la maîtrise de l’eau avec une très petite hydraulique. Mais avec une innovation de taille, l’utilisation de l’énergie solaire qui a des atouts de productivité assez intéressants au Sénégal. Et de la sorte, avec une pompe solaire, l’agriculteur peut arroser sur une superficie de plus d’un hectare. Il peut aussi se livrer à des activités diversifiées durant toute l’année, comme le maraîchage, l’aviculture, la pisciculture et l’élevage de bovins. C’est un type d’agriculture intégré qui se base sur les atouts que compte le Sénégal. On compte développer les fermes villageoises au profit des jeunes.
Le Sénégal semble beaucoup compter sur la coopération bilatérale….. ?
(Il coupe) Sur toutes ces fermes réalisées -elles sont au nombre de 23- les 12 ont été construites sur financement de l’Etat du Sénégal. C’est pour moi l’occasion de préciser qu’à part la ferme réalisée sur le modèle brésilien, toutes les autres ont été le fruit d’une conceptualisation par nos équipes à l’interne. La mise en œuvre aussi est faite par nos équipes techniques. Le premier partenaire financier c’est l’Etat. Il l’a confirmé en accroissant les dotations, qui sont passées de 750 millions à deux milliards en 2013. Compte tenu des objectifs de création d’emplois fixés par le président, l’Etat va continuer à accroître les moyens alloués à l’agence pour la réalisation de telles fermes.
Avez-vous les moyens de vos ambitions ?
Nos ambitions sont celles que nous confère l’Etat. Le chef de l’Etat a annoncé un objectif de création de milliers d’emplois, pour son premier mandat. Il a aussi précisé que le secteur agricole devait être un levier de cette politique de création d’emplois. Par conséquent, les moyens mis à la disposition de l’Agence vont être plus accrus. Jusqu’à présent, on n’a pas encore mis en place les directions régionales, alors que nous avons 23 fermes sur l’ensemble du territoire. A partir de 2013, on réalisera des fermes pour les six régions qui n’en disposent pas encore. On va donc avoir une présence dans toutes les régions. Par conséquent, cela va nécessiter beaucoup plus de moyens. Le Premier ministre qui a visité notre Louma (marché hebdomadaire) le week-end dernier, a réaffirmé la volonté de l’Etat d’accélérer l’installation de fermes et d’exploitations familiales modernes.
Justement, quel bilan faites-vous des Loumas agricoles qui en sont à leur septième édition ?
Déjà, la septième édition est une confirmation de la justesse de cette approche, qui vise à rapprocher les producteurs des consommateurs en réduisant quelque peu les intermédiaires, que nous ne cherchons pas à éliminer. Cette édition a été marquée par la diversité de la production et la grande qualité de produits exposés. Nous sommes satisfaits du taux de fréquentation. Le chiffre d’affaires tourne autour de 40 millions pour un week-end. Ainsi, nous pensons également à l’organisation de Loumas simultanés au niveau des communes d’arrondissement. Le ministre de l’Agriculture, nous a aussi instruits d’aller vers les grandes agglomérations, comme Thiès, Dakar et Kaolack.
Les Loumas préfigurent de ce que devrait être l’accompagnement pour la mise sur le marché des produits agricoles. Le Premier ministre a émis l’idée d’installer des halls au niveau des grands centres urbains, pour les grossistes. Le développement ne se fera pas sans l’agriculture. Nous avons des atouts. Or, l’agriculture est un excellent moyen pour générer des revenus. 70 % des Sénégalais tirent des revenus dans l’agriculture. C’est pourquoi ma conviction est que l’agriculture sera le fer de lance du développement économique et social du Sénégal. Même notre industrialisation sera d’abord agroalimentaire ou ne sera pas. Tant qu’on reste sur des productions brutes, on enregistre des pertes dans la commercialisation.
Pacte national pour l’émergence économique et sociale L’agrobusiness divise le gouvernement et les ruraux …
C’est une question difficile. Parce que caractérisée par une approche très émotive. Le Sénégalais a un rapport particulier avec la terre. Cet attachement mène à des jugements subjectifs. Au point que certains parlent d’ouvriers agricoles. A mon sens, le débat n’est pas serein. La vérité c’est qu’au Sénégal la terre n’est pas bien valorisée. La solution c’est de la valoriser au profit de la population. La réussite viendra sans doute de la création de domaines agricoles. Ce qui nous permettra d’éviter les débats inutiles. Il faut des cahiers de charge à mettre à la disposition des investisseurs. Pour le financement, il faut mettre en place un dispositif d’assurance pour couvrir le risque agricole. Si l’on procède de cette manière, on aura un cadre plus juste.
Qu’est-ce qui est prévu pour les émigrés ?
L’Agence a déjà travaillé avec eux. L’accès au foncier est réglé pour eux. Il restait le financement. Et le Ministère des Sénégalais de l’Extérieur a remis quelques financements. Mais, ce qu’il faudrait c’est l’implication des banques commerciales.
Que pensez-vous du Pacte national d’émergence ?
L’idée d’un Pacte national d’émergence économique et sociale est une bonne chose. Il est bon de s’arrêter un moment et de discuter avec ceux qui sont concernés par le développement, pour une démarche partagée. Cela me semble être une option pertinente. Je suis convaincu que c’est l’option africaine du développement. En plus de la base démocratique de notre système de gouvernance, il nous faut, en termes de stratégie, la concertation et la vision partagée. Maintenant, si on est d’accord sur ce principe fondateur, c’est ensuite l’acceptation de toutes les légitimités. C’est comme cela que ce pacte sera solide. C’est une vision novatrice. Il faut donc se donner le temps. Si cela réussit, ce sera un grand bénéfice pour le Sénégal. Note pays a toujours été un havre de dialogue.