LE SENEGAL SOUS ABDOULAYE WADE
LE SOPI A L'EPREUVE DU POUVOIR
Placé sous la direction de Momar Coumba Diop, "Le Sénégal sous Abdoulaye Wade. Le Sopi à l'épreuve du pouvoir", est un ouvrage collectif qui scrute à travers plusieurs contributions, les deux mandats de l'ancien président Abdoulaye Wade (Mars 2000-Mars 2012). Il interroge les espoirs suscitées par la première alternance politique démocratique du Sénégal survenue en mars 2000, quarante ans après son accession à la souveraineté nationale et internationale.
Espoirs d'autant plus grands qu'ils ont été portés par le charisme d'un opposant choisi par Senghor et qui s'est émancipé sous Diouf. En même temps qu'il mettait fin au règne alors ininterrompu du régime socialiste, Abdoulaye Wade, fort de son parcours riche et contrasté, ouvrait une ère d' espérance tenace bordée d'une foultitude de rêves. Aussi, relève Momar-Coumba Diop, "l'une des questions primordiales soulevée dans ce contexte a été de savoir comment mettre en œuvre le post-ajustement et le post-senghorisme tout en améliorant les conditions de vie des populations".
Un défi d'autant plus important que le règne d' Abdoulaye Wade était abordé comme celui qui "ferme, à son corps défendant , un cycle générationnel et une séquence politique inaugurée après la Deuxième Guerre mondiale".
Sa victoire en mars 2000 est ainsi perçu comme celle d'un "candidat par défaut" que ses alliés sont allés chercher à Paris à la veille des élections "pour clôturer le cycle senghorien" , souligne Pathé Diagne sa remarquable contribution. Pour autant, la mandature wadienne a eu du mal à s'élaborer autour d'une alternance alternative pour la simple raison que l'avoir va prendre le dessus sur toute autre considération.
Aussi le pouvoir du "Sopi" n'a-t-il pas été vécu comme un moyen au service l'amélioration des conditions de vie des populations mais comme un moyen d'enrichissement personnel, familial et clanique. L'avoir ayant pris le dessus sur toute autre considération, l'impérieuse nécessité de s'enrichir se retrouvait alors au centre de tout projet. Cette situation était illustrative de la gouvernance de Birima dans son inclination jouissive et compulsive. Aussi, cela s'est-il traduit, selon Aminata Diaw, par l'érection d'un "espace public et politique captif de la logique de marchandisation". La sphère religieuse ne sera même pas épargnée puisqu'on va s'employer à instrumentaliser le ndigël maraboutique.
Mais c'était sans compter avec les canaux de résistance. L'analyse des relations entre pouvoir politique et religion sur fond de "ndigël" ou consigne de vote, a ainsi permis de voir comment le citoyen a pu imposer une laïcité respectueuse de la conviction de tout un chacun. C'est pourquoi, face à la réticence des fidèles de voir religion et politique se croiser dans une confusion dommageable, les confréries ont senti la nécessité de s'inscrire dans une neutralité politique, quitte ensuite à se livrer, comme le fait remarquer le Pr CHeikh Anta Babou, à des "négociations de salon avec l'Etat, à l'abri des yeux du public".
Au-delà du mode gestion politique et économique de la chose publique, "Le Sénégal sous Abdoulaye Wade" traite de la nature de la violence au temps du Sopi, notamment dans sa version théâtralisée avec quelques tentatives de suicide devant les grilles du palais. Pour Ousseynou Faye, Enseignant-chercheur à l'UCAD, en choisissant ce "lieu passant symboliquement chargé de sens (…), les auteurs des suicides recherchent visiblement à maculer le lieu du suicide , à tenir in fine le chef de l'Etat pour responsable de la survenue du drame programmé".
La gestion de la crise casamançaise n'est pas en reste dans les analyses proposées. Dans une contribution instructive et critique, Paul Diédhiou se démarque du rôle que l'ancien chef d'Etat, Me Abdoulaye Wade, voulait faire jouer aux femmes diolas, en soulignant l'inefficacité d'un quelconque recours à la tradition pour résoudre le conflit casamançais. La raison procède du fait qu' "une majorité de Casamançais a plus ou moins abandonné les procédures traditionnelles, parce qu'elle s'est convertie à l'islam , ou parce qu'elle vit en ville, y compris hors de la région".
Revisité sous différents angles, le Sopi, slogan emblématique des années de braise et qui a fini par revêtir le manteau du Sapi dans les années fastes de la "gouvernance Birima", rend compte de la richesse dramatique de la gouvernance wadienne.
Il s'agissait pourtant d'enfanter un monde nouveau sous les décombres de l'ancien, et en arrière fond de magnifier des attentes qui avaient pris le visage de la lutte contre la corruption, le renforcement de la démocratie, le rééquilibrage des pouvoirs, etc. Des puissantes contributions, il se dégage un constat amer puisque les différents engagements auront fondu comme karité au soleil. A la place s'est édifiée "une économie de la prédation et de la jouissance". Préfacé par l'historien Mamadou Diouf, l'ouvrage collectif, "Le Sénégal sous Abdoulaye Wade. Le Sopi à l'épreuve du pouvoir", est à lire absolument pour mieux comprendre le Sénégal contemporain.
Par Momar-Coumba Diop (Dir.) - CRES-Karthala. 835 pages. Juillet 2013 - La revanche de l'avoir