LE TÉMOIN CLÉ DE L’ACCUSATION LIVRE HABRÉ À LA COUR
Audition de Faustin Facho Balaam

Faustin Facho Balaam, témoin de contexte, devant la barre. Ce vétérinaire, chef traditionnel de Canton actuellement en exil en France, a décrit Hissein Habré comme le principal responsable de la guerre qui a éclaté entre le Gouvernement d’union nationale du Tchad (Gunt) et les Forces armées nationales du Tchad (Fant). Il reproche à Habré d‘avoir torpillé les accords de Lagos qui prévoyaient une unification du pays avec le soutien de la France et des Etats-Unis.
Le témoin appelé hier à la barre a été un acteur politique actif durant le règne de Habré au Tchad. Faustin Facho Balaam, vétérinaire, chef traditionnel de Canton, déclare qu’il était un des responsables de l’aile politique du Gouvernement d’union nationale du Tchad (Gunt) dirigé par Goukouni Weddey en conflit avec les Forces armées nationales du Tchad (Fant) de Habré. La première rencontre de Facho Balaam avec l’ex-Président du Tchad date de 1979, à l’occasion de la signature des accords de Lagos.
Des accords qui, rappelle t-il, prévoyaient de créer une Armée nationale unie pour pacifier le pays, un gouvernement d’union nationale de transition de 18 mois avant d’aller à des élections. Et de libérer les prisonniers. Pendant ce temps, Habré assurait les fonctions de ministre de la Défense et des Finances sous la présidence de Goukouni Weddey.
Cet accord, estime-t-il, avait la chance d’unir le pays et de mettre fin à la guerre. Mais c’est des étrangers (Ndlr : la France et les Etats-Unis) «qui se sont mêlés à cette affaire pour torpiller les accords», accuse le témoin devant la Cour.
Selon lui, c’est sur ces entrefaites que Habré a reçu l’aide de l’étranger. «Les membres du Gunt ont été ainsi combattus parce que considérés comme des communistes. De notre côté aussi, nous avions fait appel à la Libye et la rupture consommée», déclare-t-il.
Les deux parties se sont affrontées à la bataille de Faya-Largeau en 1983. A la suite de cette guerre, note le témoin, des combattants du Gunt ont été arrêtés, d’autres tués ou portés disparus. Répondant aux questions du Procureur général qui voulait savoir la nature de l’aide libyenne, Facho Balaam soutient qu’elle était seulement logistique.
Il ajoute toutefois que Kadhafi n’a jamais joué franc-jeu avec le Gunt. M. Facho invoque l’offensive du Gunt vers Abéché pour justifier ses propos. «A un moment, on n’avait pas besoin d’appui pour avancer, Kadhafi nous a abandonnés en pleine route pour vous dire que le soutien de Kadhafi était calculé», raconte l’homme politique.
Par ailleurs, le témoin a également rappelé les accords de Bagdad en 1988 qui ont permis la formation d’un gouvernement d’union nationale avec le Gunt. Cette période d’accalmie notée durant la tempête pousse le vétérinaire à dire que c’est durant cette époque qu’il a appris sa nomination au poste de secrétaire d’Etat dans le régime de Habré à la radio.
Un poste, dit-il, qu’il a conservé jusqu’en 1988. Il précise à cet effet que les ministres de Habré n’avaient pas un mot à dire dans la gestion du pays. «Habré est un demi-dieu. Il méprisait tout le monde, y compris ses ministres. En Conseil des ministres, il n’y avait pas de débat. Les débats de fond n’étaient pas abordés. Il sortait avant tout le monde», raconte Facho.
Interpelé par la partie civile et le Parquet qui voulaient savoir avec précision le déroulement des massacres, le témoin a répondu vaguement en répétant les tueries de septembre noir. «Pour les Zagawa, je ne pourrais pas dire, car je n’étais pas tout le temps à Ndjamena. J’étais entre Cotonou et Tripoli», déclare-t-il.
MASSACRES PRÉSUMÉS AU TCHAD ENTRE 1982 ET 1990
Jean Bawoyeu Alingué indexe Hissein Habré
Jean Bawoyeu Alingué, administrateur civil à la retraite, conseiller spécial de l’actuel président de la République du Tchad, Idriss Deby, a été entendu hier dans le cadre du procès de Hissein Habré. L’exdeuxième vice-président du Conseil constitutionnel tchadien a comparu à la barre des Chambres africaines extraordinaires (Cae) à titre de témoin. Le temps pour lui de tout déballer.
Au cours de son audition, il a pointé du doigt la responsabilité de l’ancien Président qui dirigé le Tchad entre le 7 juin 1982 et le 1er décembre 1990. Dans les témoignages de M. Alingué, il en ressort que le gouvernement tchadien, dirigé par Hissein Habré, fut responsable de nombreux assassinats. Selon le témoin, l’usage systématique de la torture a été une réalité durant le règne du «Lion du désert».
A l’en croire, plusieurs arrestations ainsi que des persécutions ciblées visant certains groupes ethniques ont été commises à l’initiative de la Direction de la documentation et de la sécurité (Dds). «Mon cousin germain a été assassiné par la Dds. Il était commissaire de police. Un de mes neveux a aussi été assassiné. J’ai pas mal de parents qui sont également des victimes», se rappelle l’ambassadeur du Tchad en France de 1977 à 1980.
En tant qu’ex-deuxième vice-président du Conseil constitutionnel tchadien, M. Alingué reconnaît que Hissein Habré leur avait demandé de lui donner les pleins pouvoirs. Il avoue que l’ex-homme fort de Ndjamena fut un administrateur avec une forte autorité. «Il était rigoureux sur le plan administratif. Habré était un nationaliste ambitieux pour son pays», a-t-il avoué.
M. Alingué, par ailleurs ancien président de l’Assemblée nationale tchadienne, a évoqué les raisons pour lesquelles Habré est impliqué dans les crimes commis chez lui. «Aucune décision ne pouvait être prise sans que Hissein Habré ne soit au courant. Il ne peut pas dire qu’il n’était pas au courant», estime le témoin.
Son audition a été interrompue à l’heure de la suspension. Elle se poursuit ce matin.