LES «DELOGES» DE L’AUTOROUTE A PEAGE VIVENT UN CAUCHEMAR
LEUR SITE DE RECASEMENT NON ENCORE ASSAINI, SANS EAU NI ELECTRICITE
Une ville fantôme avec des infrastructures non fonctionnelles, sans eau, ni électricité. Voilà comment pourrait-ont décrire le site de Tivaouane peulh réservé au recasement des délogés de l’autoroute à péage.
Sur ce site, il est difficile de croiser un habitant. Les routes sont bien balisées, du goudron gît sur des pistes bien délimitées par des trottoirs et des chaussées recouvertes de dalles également goudronnées. Des réverbères se dressent de part et d’autre de la route. Il fait chaud en cette fin de matinée du mois de Ramadan. Il y a des bâtisses qui ont tout l’air d’infrastructures publiques. Une mosquée et deux écoles qui font aussi partie des toutes nouvelles constructions.
Cependant, les maisons sont très rares. Il n’y a quasiment pas de logement achevé. Même la poignée de famille, qui a décidé d’emménager, s’est installée dans des maisons encore en construction. Ici, il n’y a pas encore d’eau potable, ni d’électricité. Ici, c’est Tivaouane Peulh. Précisément en plein cœur des 85 hectares choisis par l’Apix pour accueillir les déguerpis de l’autoroute à péage.
Le site de recasement «imaginé» par l’Apix s’étend sur 165 hectares. Il a été conçu pour recaser les personnes qui ont été déplacées pour les besoins de la construction de la nouvelle autoroute à péage. Celle-là même qui sera inaugurée aujourd’hui.
Prévus pour accueillir 30 000 âmes, les 85 hectares déjà aménagés n’ont encore accueilli qu’une cinquantaine de personnes. Soit une dizaine de familles. Ces gens vivent dans des conditions extrêmes. Très loin des promesses de l’Apix qui leur a fait quitter leurs maisons depuis déjà 2 ans.
En face de ce qui ressemble fort bien à un futur marché, se dresse un immeuble R+3 non peint. C’est le domicile de la famille Kanouté. Ils viennent de Diamaguène et se sont installés sur le site depuis le 6 juillet 2013, il y a moins d’un mois. Aucune commodité trouvée sur place. Ce qui irrite Mme Kanouté. «Il n’y a pas d’électricité, ni d’eau potable. Nous dépensons, chaque jour, 1500 francs Cfa pour faire venir des charrettes du village de Tivaouane Peulh», se plaint elle. Plus grave encore, les maisons ne sont pas dotées de système d’évacuation des eaux domestiques et il n’y a pas de commerces. «Le marché est trop loin, c’est tout un calvaire pour y aller. Il n’y a même pas de boutique, il n’y a rien ici, vous voyez», s’indigne la dame.
«Un voisin qui a installé une moto pompe chez lui. C’est cette eau là que nous buvons»
Un discours similaire est sorti de la bouche de sa voisine. Mme Thiam est la plus ancienne du site, car elle est la première à s’y être installée avec sa famille. «Il n’y a pas d’électricité, on continue à utiliser des chandelles le soir. On ne sort plus au-delà de 18h car tout devient vraiment sombre», explique-t-elle. Mais ce qui émeut plus cette dame au teint noir foncé, c’est l’absence de fourniture en eau potable. «Il y a un voisin qui a installé une moto pompe chez lui. C’est cette eau-là que nous buvons. Même si elle est filtrée cette eau n’est pas bonne pour notre santé. Mais, nous sommes obligés de la consommer, car n’ayant pas les moyens d’acheter quotidiennement de l’eau», déclare résignée, Mme Thiam.
L’autre problème de survie que rencontrent les nouveaux résidents de ce site, c’est l’absence de structure de santé fonctionnelle et d’école. «Ce qu’on nous présentait comme poste de santé est là, mais il n’a pas encore ouvert ses portes. Il y a de cela quelques jours, mon enfant était malade et j’ai été obligé de l’amener jusqu’au village de Tivaouane Peulh», déplore cette mère de famille.
Ils sont plus d’une cinquantaine de personnes qui ont décidé d’emménager dans ce site de recasement. Mais loin de la ville moderne que leur avait promis l’Apix, c’est un calvaire quotidien que vivent ces «délogés» de l’autoroute à péage.
RECASEMENT DE CERTAINS DEGUERPIS DE L’AUTOROUTE A PEAGE
Un grand coup de bluff savamment orchestré ?
Sur le site de recasement des déguerpis de l’autoroute, la colère et la désillusion sont les sentiments les mieux partagés. Ici, on se sent trahi et surtout roulé dans la farine. Notre visite sur les lieux nous a permis de rencontrer celui qui se proclame délégué des habitants du site de recasement. Il s’appelle Mamadou Thiam. Et il fait partie des premières personnes qui ont emménagé dans cet endroit. C’est avec une voix tremblante mais profonde que ce vieux septuagénaire raconte sa douloureuse expérience de vie.
«Le 3 décembre 2011, l’Apix nous a trouvés à Pikine Guinaw Rail pour nous demander de quitter notre domicile moyennant une indemnisation. Ils nous ont remis un premier chèque et nous ont donné 3 jours pour vider les lieux», raconte ce vieux qui occupait les fonctions de délégué dans le quartier d’où il a été déguerpi. Ce que renseigne son témoignage, c’est que la galère des siens a commencé le jour où ils ont accepté d’encaisser ce premier chèque de l’Apix. Car, le site de recasement était loin d’être disponible. Très loin même. «Quand nous avons été obligés de libérer nos maisons, nous n’avions plus où aller. Le site de recasement n’était même pas encore rasé. C’était une forêt avec des arbres», se remémore M. Thiam.
La location était alors la seule solution à leur portée. «Nous étions obligés d’aller louer et c’est ce que j’ai fait pendant presque un an. Je payais 60 000 francs Cfa par mois à mes propres frais, car l’Apix n’a supporté que 6 mois de location», confie notre interlocuteur.
L’indemnisation de l’Apix n’a pas fait l’unanimité. Mamadou Thiam de dire : «C’était dans l’ordre de 15 millions de francs Cfa dans mon cas parce que j’avais une maison de 7 pièces. Mais près de la moitié de cet argent a servi à payer la location le temps qu’on nous livre le site de recasement».
C’est en décembre 2012 que le vieux Thiam a pu emménager avec sa famille sur le site de recasement. Soit un an après avoir été délogé de la maison qui a vu naître et grandir tous ses enfants. Le terrain de près de 92 m² qu’il occupe aujourd’hui lui est revenu à 3 millions de francs Cfa. Mais il a tous les problèmes du monde pour terminer sa construction qui, du reste, était souvent interdite par l’Apix. «Plus d’une fois, l’Apix a demandé à mon maçon d’arrêter les travaux pour des raisons que j’ai toujours ignorées. Les ingénieurs répondaient juste qu’il faut attendre», fait savoir le délégué.
Des riches achètent les terrains des déguerpis, fauchés et incapables de les construire 30 000 personnes sont attendues sur le site de recasement qui se trouve à Tivaouane Peulh. Aujourd’hui, il n’y en a pas encore 100. Et ce qui explique cette situation, c’est un peu le manque de moyens qui ne permet pas à certains de construire leurs maisons. Car si le terrain est vendu à un prix amorti, la construction reste entièrement à la charge des bénéficiaires. Ce qui n’est pas évident car ceux-là ont déjà dépensé les indemnités dans la location.
L’attente qui a trop duré a essoufflé les épargnes de certains déguerpis. Ce qui a donné naissance à la vente récurrente de terrains à des personnes qui ne devraient pas y avoir droit. Le site de recasement des déguerpis risque de devenir un havre de paix pour riches. «Quand les pauvres n’ont pas les moyens de construire ils revendent leur terrain à ce qui en ont les moyens», objecte le vieux Mamadou Thiam. Et il est aussi à préciser que l’accès au site n’est pas une obligation pour tous les déguerpis.
Nous avons tenté d’entrer en contact avec le responsable de la libération des emprises à l’Apix mais en vain. Le service de communication a fait savoir qu’ils étaient tous pris par les préparatifs de l’inauguration, en ce jour de l’autoroute à péage.