LES ARGUMENTS "PATHÉ-TI-QUES" DU GÉNÉRAL SECK
ON CROIT RÊVER : LE MINISTRE DE L’INTERIEUR NE "VEUT PAS PRENDRE PARTIE"
Les propos sortis hier par le ministre de l’Intérieur poussent à demander si ce pays a des dirigeants à sa tête. Non pas des gens qui sont au sommet de l’autorité, qui donnent des ordres et qui bénéficient des privilèges de la fonction. Non, vraiment des dirigeants, qui indiquent une direction, et mettent les moyens pour réaliser les objectifs assignés.
Le ministre Pathé Seck, interpellé sur les documents que lui avait adressés le commissaire Cheikhna Cheikh Keïta, et qui mettent en cause le Dgpn Abdoulaye Niang, n’a rien pu trouver mieux à rétorquer que le fait qu’il ne voulait pas (s’) «immiscer dans un duel fratricide entre chefs de la police» ! Mais on est où là ?, comme on disait dans une émission sur une radio française bien écoutée en Afrique.
Si lui, le chef direct de ces deux policiers, qui a le pouvoir et la prérogative de nommer chacun d’eux et de les remettre à l’ordre, ne veut pas «intervenir», qui pourrait le faire ? Ou alors, il souhaite une guerre de services ?
Néanmoins, au-delà du caractère ridicule de cette déclaration, le ministre n’a pas dit toute la vérité, car il est déjà intervenu. En décidant, lors du Conseil des ministres du 11 juillet dernier, de faire sauter de son poste à la tête de l’Ocrtis le commissaire Cheikhna Cheikh Keïta, pour mettre à sa place le commissaire Mame Seydou Ndour, alors qu’au même moment le commissaire Abdoulaye Niang reste maintenu à la Dgpn, le général Pathé Seck a montré de manière très claire où allaient se préférences. Mais cela n’a été une surprise que pour ceux qui ne le connaissent pas très bien.
En effet, les informations en provenance de la Place Washington indiquent que, dès lors qu’il a été question de mettre Codé Mbengue à la retraite, le général Seck a proposé en premier lieu, pour sa succession, le nom du commissaire Abdoulaye Niang. Mais lorsque les gens lui ont fait valoir la réputation que ce dernier traînait, le ministre de l’Intérieur a dû faire amende honorable et retirer le nom de son candidat. Malheureusement (ou heureusement ?), aucun autre profil parmi ceux mis sur la table n’a pu rencontrer l’assentiment du ministre et de ses conseillers.
Il faut savoir que pour occuper le poste de Directeur général de la police nationale (Dgpn), il faut être commissaire de police divisionnaire de classe exceptionnelle, ou alors être commissaire divisionnaire âgé d’au moins 50 ans. Et parmi les candidats répondant à ces critères, aucun ne donnait de gage de probité ou de moralité assez élevé pour être nommé à ce poste les yeux fermés. Le Quotidien avait d’ailleurs, en son temps, fait état des péripéties qui ont entouré la succession de Codé Mbengue.
On sait que c’est dans la précipitation que le nom de Abdoulaye Niang était ressorti, parce que Mbengue avait été «limogé» et remplacé sans que le communiqué du Conseil des ministres n’en fasse état, alors que le nom de son successeur se murmurait dans tout Dakar. Dans cette situation de «confusion»( ?), le ministre a pu réintroduire son poulain, sans que personne ne trouve rien à y redire.
Mais déjà en ce moment, plusieurs sources avaient attiré l’attention du ministre de l’Intérieur sur le caractère sulfureux de la réputation de son Dgpn. D’ailleurs, au siège du ministère, des conseillers du ministre affirment en toute discrétion que «Keïta n’a rien révélé de nouveau. Tout le monde savait cela depuis ; et il y a même plein de choses dont Keïta n’a pas parlé. La différence, c’est que lui a eu assez de courage pour sortir de l’ombre». Ce qui n’est pas le cas de ceux qui veulent gérer des conforts.
Ce qui est choquant dans l’affaire, c’est que le flot des accusations n’a pas contraint le ministre à enclencher une enquête interne.
Car contrairement à ce qu’il prétend, si enquête il y avait, il ne se serait pas précipité pour limoger l’accusateur en laissant en place l’accusé. Le simple principe de précaution aurait demandé que la nomination de Niang soit suspendue jusqu’à la fin de l’enquête de moralité.
De plus, limiter les accusations de Keïta à des «révélations d’un dealer nigérian» est aussi une manière gauche d’évacuer le problème. C’est, n’en déplaise à Monsieur le ministre de l’Intérieur, tout le fonctionnement de l’Ocrtis qui a été mis en cause. Le commissaire Keïta a démonté tout un système mafieux, donné des noms, indiqué des pistes, qui vont au-delà des simples déclarations d’un dealer. Ne serait-ce que pour la confiance qu’on lui avait témoigné en le nommant à ce poste, il aurait fallu creuser un peu plus pour savoir ce qu’il en était exactement.
Cette affaire a été conduite avec une légèreté telle qu’on se demande si les autorités de ce pays ont jamais cherché vraiment à connaître la vérité sur le trafic de drogue qui gangrène les services de police. A tout le moins, on peut douter de leur compétence, sinon de leur moralité. On ne peut couvrir un présumé dealer et lui confier la responsabilité de la sécurité de tous les citoyens d’un pays sans des motifs très forts. Il faut que ces motifs soient d’airain, car sinon, ce serait dramatique qu’un de nos dirigeants ait jamais à connaître le sort du Bissau guinéen Bubo Na Tchuté.