LES BIBLIOTHÈQUES DE QUARTIERS, UN PATRIMOINE EN PÉRIL
ACCES A LA LECTURE
La lecture offre à des élèves plus ou moins jeunes un moyen d’accéder aux mystères de la lecture et de l’écriture. Mais pour cela, il faut des bibliothèques. Or, à Dakar, les rares bibliothèques de quartier qui fonctionnent n’offrent que des fonds obsolètes.
Dans les rayons de cette bibliothèque municipale située dans le quartier huppé du Point E, il y a quelques BD (bandes dessinées), des romans policiers, des œuvres classiques, et même quelques revues spécialisées, etc.
Le très sérieux Balzac y côtoie non seulement la Prix Nobel de littérature en 2007, Doris Lessing, mais aussi de vieux usuels devenus hors du temps, comme dirait Saint- John Perse. C’est tout. Rien d’attrayant, même pour un rat de bibliothèque.
Pourtant, il s’agit de l’une des bibliothèques les mieux fréquentée parmi les 14 créées par la municipalité de Dakar dans les différents centres socioculturels, avance Mawo Diouf, un agent municipal qui y fait office de bibliothécaire.
Une information confirmée par Codou Diop, chef du bureau des bibliothèques à la Division des arts et de la culture à la mairie de Dakar. En ce matin du 19 mars 2014, nous n’avons trouvé que deux lecteurs sur place.
L’un d’eux, Alpha Nabé, étudiant, se contente de ce qu’il trouve sur place : quelques classiques et de vieux livres de philosophie. « Nous recevons généralement des élèves, des étudiants et quelques rares habitants du quartier », indique Mawo Diouf.
Le fonds, qui est resté le même depuis fort longtemps, n’est constitué que de dons en provenance de certains pays étrangers. « Cela fait trois ans que je suis ici. Chaque année, je fais un bilan plus une liste d’ouvrages à acheter que je transmets à la municipalité, mais il n’y a jamais eu de suite », déplore Abdoulaye Tall, le co- gestionnaire de la bibliothèque. Ce que Codou Diop n’a aucune peine à admettre.
En réalité, cette bibliothèque, qui fait la fierté de la municipalité, n’est que l’arbre qui cache la forêt. Sur les 14 bibliothèques municipales, seules 12 fonctionnent encore. Celle des Parcelles Assainies a été fermée après l’affaissement du bâtiment.
Et celles qui continuent de fonctionner ne disposent que d’un fonds obsolète. « La plupart des contenus sont dépassés et ne cadrent plus avec les besoins des usagers. C’est pourquoi, je suis en train de me battre pour plaider la cause des bibliothèques auprès des autorités municipales afin de pourvoir faire des acquisitions cette année », indique Codou Diop.
Seulement, elle ne dispose pas d’un budget autonome. Pourtant, à la création des bibliothèques municipales en 1992, l’objectif était d’accompagner le système scolaire de proximité.
Un projet qu’entend relancer Mme Diop, qui prévoit un plan à cet effet et de mettre en place un réseau des bibliothèques municipales. Elle plaide aussi le recrutement de bibliothécaires professionnels sortant de l’Ecole des bibliothécaires, archivistes et documentalistes (Ebad) pour une meilleure gestion.
Errance
Autre endroit, autre réalité. A Sicap Mbao, nous sommes devant un immeuble ordinaire. Rien n’indique qu’il renferme une bibliothèque. A l’intérieur de la pièce située au premier étage, règne un désordre indescriptible : des cartons, des fiches éparses, quelques BD sur les rayonnages, etc. Le tout dans un environnement austère.
« Excusez-nous du désordre, nous sommes en plein déménagement », s’excuse la secrétaire. Dans son bureau, Mme Corréa, la responsable de la Bld (Bibliothèque, lecture, développement), est tout aussi ensevelie dans la paperasse.
Lancée en 1994 par Antoinette Fall Corréa, une enseignante de bibliothéconomie à la retraite, la Bld est une sorte de méga bibliothèque qui équipe en livres les bibliothèques des écoles de l’élémentaire et des Collèges d’enseignement moyen (Cem) de Pikine et Guédiawaye.
« Nous recevons beaucoup de livres en provenance du Canada, de la France et de la Belgique que nous donnons aux écoles de la banlieue qui acceptent de mettre à notre disposition une salle. Nous avions même une bibliothèque dédiée aux habitants du quartier », explique Mme Corréa, avec fierté.
Au total, une trentaine de bibliothèques ont été installées dans les écoles de la banlieue depuis le début du programme en 1994, soit plus de 60.000 ouvrages. « A partir de 2012, nous avons commencé à faire de l’édition [notamment des BD] parce que nous nous sommes rendus compte que le contenu des livres que nous recevions de l’étranger ne cadrait pas forcément avec les réalités locales », ajoute-t-elle. L’objectif de la Bld est d’aider les élèves à acquérir le goût de la lecture et, par conséquent, d’avoir une bonne base scolaire.
Malheureusement, aujourd’hui, le projet Bld bat de l’aile. Son principal bailleur, l’Agence canadienne de développement international (Acdi), a arrêté son financement depuis sa restructuration imposée par la crise économique.
N’ayant plus de ressources, la Bld a abandonné le volet d’installation de bibliothèques pour se concentrer sur l’édition. « Nous sommes même obligés de déménager parce que nous n’avons plus de quoi payer le loyer », indique Mme Corréa, l’air un peu triste. Elle nous conduit au site de Grand Mbao. Un grand bâtiment de trois niveaux, en phase de finition, se dresse devant la route nationale n°1.
Pour le moment, il ne dispose ni eau, ni électricité, encore moins de mobilier. Et les travaux sont à l’arrêt. « Mais nous sommes obligés de venir nous y installer. Si nous pouvions gagner un seul appel d’offres de manuels scolaires, nous aurions de quoi finaliser les travaux », soupire Mme Corréa.
Au vu de ce qui précède, force est de constater que l’accès à la lecture dans les quartiers relève d’un véritable parcours du combattant. Compte non tenu de l’espace scolaire et universitaire ou du Centre culturel français, il n’existe pratiquement plus d’espaces où on peut trouver de la bonne lecture à Dakar. Or, à ce jour, le meilleur accès à la connaissance reste le livre.
Mais la lecture est un apprentissage. « Dès le bas âge, il faut donner à l’enfant l’amour du livre. Il y a des parents qui lisent à leurs enfants des histoires au coucher pour qu’ils aient déjà la sonorité à l’oreille. Au-delà de la famille, si dans le quartier, il n’y a pas d’infrastructures (des bibliothèques) qui les prédisposent à la lecture, les enfants ne vont pas s’habituer à la lecture », analyse Souleymane Gomis, sociologue de l’éducation.