LES BONS RÉFLEXES DU PRÉSIDENT MACKY SALL
Le Sénégal n’est pas encore en crise politique. Les institutions fonctionnement dans une paix sociale relative. Mais les développements politico-judiciaires, l’en rapprochent. La mise aux arrêts de Hamad Samuel Sarr ajoute, une dose de pression dans une situation tendue. Les accusations portées contre lui sont tout aussi graves que le geste qu’il a posé. Ses révélations d’enrichissements du Président paraissent bien tardives car celui-ci est protégé par son immunité. Et trop circonstanciées et préventives, pour être objectives, car elles servent de pare-feu à sa probable convocation devant le juge de la CREI.
Si elles étaient l’œuvre d’un journaliste investigateur, on aurait applaudi des deux mains. Mais venant d’un homme politique, ex-allié du Président, cela ressemble à une réponse contre l’acharnement dont les responsables du PDS sont l’objet, à travers la traque des biens supposés mal acquis, qui en aurait intéressé plus d’un.
La sortie et les révélations sur l’enrichissement prétendu ou réel du Président, empestent un climat social en détérioration permanente. La mort de l’étudiant Bassirou Faye, dans les désastreuses conditions qu’on n’arrive pas à élucider, a plongé notre pays dans une sorte d’imbroglio politico-social, qui peut à tout moment se transfigurer en malaise.
Les Universités sont encore bloquées par une grève illimitée qui en paralyse le fonctionnement. Le climat social est tendu par la prévalence d’un mal-être permanent, en toile de fond d’un sentiment de désespérance.
L’hivernage tarde à s’installer. La famine et la paupérisation affichent un visage en pointilles, mais dont la configuration hideuse, semble-t-il prend forme, tout de même. Le procès de Karim Wade s’embourbe dans les marécages de procédures et jettent un trouble dans l’esprit des Sénégalais jusqu’ici très attentifs à la traque des biens supposés mal acquis. Il dérive tranquillement vers l’acharnement politique, tant dans sa forme que dans le fond des accusations.
L’éminence d’une inculpation d’Abdoulaye Baldé pour enrichissements présumés illicites, accentue ce sentiment de politisation d’un procès aux apparences, sélectif, lassant et contre-productif économiquement.
Le timide retour en grâce d’Abdoulaye Wade, ancien Président, et de son ex-fils putatif Idrissa Seck n’augure rien de rassurant, car les démons qu’il charrie encore nous angoissent. Rien que le souvenir de leurs sombres passages au pouvoir nous donne froid au dos. Et pourtant, la succession des faits graves de ces dernières semaines, pourrait bien les remettre en selle, hélas. Opportunistes à souhait, ils surfent allégrement sur les développements malheureux de la crise universitaire pour espérer en tirer le maximum de profit politique.
Fort heureusement, à son retour à Dakar après un séjour aux Etats-Unis et en France, le Président Macky Sall d’habitude si poussif, a retrouvé dans une compréhensible indignation, un souffle nouveau pour traduire en termes clairs et incisifs son irritation devant une situation politico-sociale plus que délétère. Son discours a été franc et massif, dit avec la tonalité, la solennité, la fermeté et la détermination nécessaires en pareille circonstance.
Il est assurément rare de voir le Président sortir de ses gongs avec tant de hardiesse et d’habileté. Le ton grave et le verbe haut, il a su agencer ses mots et les placer où il faut et quand il faut. Fait suffisamment rare pour ne pas être relaté, la belle sortie présidentielle à l’heur de remettre en ordre la légalité institutionnelle et l’équilibre socio-politique sans lesquels notre société pourrait basculer dans l’instabilité.
Si on avait laissé Abdoulaye Wade faire, la mort de Bassirou Faye allait se traduire par un effet d’entrainement politique avec le rassemblement qu’il entendait faire samedi à la mythique Place de l’Obélisque. Une telle récupération est d’autant plus scandaleuse que l’ancien chef de l’État a posé lui-même les germes de cette crise. C’est bien sa police qui a tiré sur l’étudiant Balla Gaye en 2002, sans que l’auteur ne fût jamais arrêté. L’enquête a fait long feu et les suspects se sont fondus dans la nature. Comment une telle perfidie pourrait-elle être passée par pertes et profits ? Et son auteur se gargariser encore de mots, pour appeler à une quelconque forme de mobilisation ?
C’est ce même Abdoulaye Wade qui, a la suite de cette bavure mortelle avait décidé non sans arrière-pensée démagogique d’élargir le bénéfice de la bourse universitaire à plus de 70 000 étudiants, pour une bagatelle de plus 40 milliards FCFA.
Un legs si lourd à porter, assorti de problèmes académiques récurrents, est à l’origine d’une situation difficile que vit notre Université. L’universalisation de la bourse l’a aggravée et le régime précédent en porte encore la responsabilité. Quelle que soient les erreurs postérieures que ce régime a pu commettre dans la gestion de la crise universitaire, personne ne peut se dénantir de son éthique de responsabilité et taire l’énorme de responsabilité du régime précédent. Y compris la part qu’y a joué, l’actuel Président, alors qu’il était ministre de l’Intérieur et plus tard Premier ministre.
Laisser Abdoulaye Wade tirer les marrons du feu, en utilisant ces moments difficiles pour précipiter le Sénégal dans la crise serait tout aussi irresponsable. Regarder Idrissa Seck se pavaner comme un paon pour accentuer les difficultés en occultant sa part de responsabilité, ne l’est moins. Quant à l’ancien Premier ministre Mme Aminata Touré, elle a parfaitement le droit de gérer son nouveau destin en donnant son avis sur le déroulement des faits. Cependant, il serait hasardeux pour Mme Touré de se lancer dans une stratégie de positionnement à partir d’une situation dont elle porte une grande responsabilité.
Mais le Président Macky Sall ne doit pas s’en arrêter là. Le dialogue direct qu’il entend engager avec les acteurs de tous ordres, cette prise directe avec les réalités à travers l’écoute active des acteurs, peut fournir au Président des éléments d’analyse et de décisions. Les journées de concertations d’avril ont abouti à des conclusions pertinentes, mais elles ont occulté un problème essentiel, l’engorgement. Et l’augmentation des frais d’inscription a pour ainsi dire «canibalisé» les autres conclusions.
Les étudiants qui cherchaient à parler directement au Président trouvent une belle occasion de le faire sans intermédiaire. Les déviances sociales nombreuses que recèlent les universités (drogue, prostitution, circulation des armes, dérives religieuses et politiques, violences physique et verbales) devront être mises sur la table pour une franche discussion. Pour toutes ces raisons l’invite présidentielle garde sa valeur et son sens. A condition qu’elle ne se réduise à un faire-valoir pour calmer la situation et noyer le poisson. Les mesures attendues seront décisives, en tout état de cause.