Les députés face aux pressions et aux...mallettes
LOBBYING A L’ASSEMBLÉE NATIONALE
Les parlementaires commencent à s'y habituer ; de plus en plus de lobbies veulent les transformer en porteurs d'«idées» ou de «projets» au service d'intérêts économiques et financiers pas souvent nets.
Dans sa livraison d’hier, le journal Le Populaire a révélé que des homosexuels, «appuyés par de grands lobbies internationaux», se sont «rencontrés discrètement» à Dakar pour plancher sur «la criminalisation des populations cibles». Selon cette même source, ce groupe d’homosexuels compte «porter le plaidoyer à l’Assemblée nationale». Ce qui serait une première au Sénégal où l‘homosexualité reste jusque-là un sujet tabou et même passible de condamnation à la prison ferme.
Mais au-delà de cette histoire, il y a lieu de s’interroger sur les rapports entre l’Assemblée nationale et les lobbies de tous bords (politique, social, économique, culturel, sportif). Car, il est fréquent de voir des groupes de pressions s’activer pour influencer dans un sens ou dans un autre le vote des députés à travers divers procédés.
Selon nos informations, de plus en plus d'«activistes» arpentent les couloirs et bureaux de l'Assemblée nationale, porteurs de documents et de...mallettes pour «vendre» des «idées» à des députés. Selon Moustapha Diakhaté, président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar (BBY), ce fait n’est pas nouveau. «A chaque fois, dit le député, on reçoit des gens qui viennent faire du lobbying. C’est surtout des conseillers en communication qui viennent me voir.»
Il dit se souvenir encore de certaines audiences qu’il a accordées à des personnes expressément venues lui proposer l'introduction d'«amendements» à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif au nouveau code général des impôts, entré en vigueur le 1er janvier de cette année 2013. Cette offensive n’a servi à rien car le texte est, dit-on, passé en l'état, ainsi que le souhaitait le gouvernement. Pourtant, M. Diakhaté trouve normal que les «représentants du peuple (soient) à l’écoute des populations», mais c'est le fait de subir des pressions qu'il n'accepte pas, surtout si elles visent à obtenir des résultats contraires aux intérêts de la collectivité nationale.
D’autres députés par contre sont saisis par correspondance par les citoyens. C’est le cas de Mamadou Lamine Diallo qui dit avoir reçu une lettre du collectif des ferrailleurs, une autre venant du syndicat du nettoiement. «C’est cela le travail d’un député, opine le président du Mouvement Tekki. Dans toute politique publique, il y a des gens qui sont contents, d’autre non».
Et pour défendre leurs intérêts, ces «mécontents» useront de tous les moyens. Parfois peu orthodoxes. Mais dans ce cas, ce serait mal tomber que de s'adresser à lui. «Personne n’ose venir me corrompre ; c’est impensable, dit-il. Lorsqu’on me soumet un texte de loi, je me réfère d’abord à mon parti et on en discute. Ensuite, nous prenons une décision en fonction de nos principes.» Son collègue Samba Bathily, qui dit avoir été approché par les chauffeurs de taxi en conflits avec la société Seniran Auto, est sur la même ligne.
Par contre, d’autres organisations préfèrent agir par des rencontres formelles pour atteindre leurs objectifs. Le modus operandi est plus ou moins subtile. Il consiste à convier une commission parlementaire à un atelier ou à un séminaire de formation à mille lieux de Dakar, quelque part dans un hôtel 5 étoiles, perdiem garanti, thème bien choisi, formateurs trillés au volet. Mais le député imam Mbaye Niang refuse de croire à un lobbying possible puisque «le député est libre d’y aller ou de ne pas y aller». Les choses sont plus complexes que cela, semble lui répondre son collègue Cheikh Oumar Sy.
Pour le membre de Bés du Ñak, il y a bel et bien du «lobbying» dès lors que ces Ong travaillent pour le compte d’autres intérêts. «La société civile tente de nous orienter en fonction des attentes de leurs bailleurs de fonds», explique le jeune parlementaire. «C’est bien de nous donner des outils pour travailler et améliorer notre cadre de travail, Nous devons être à équidistance des acteurs sociaux en distinguant les outils que les Ong nous donnent.»
Pour lever toute équivoque et éviter toute suspicion, Moustapha Diakhaté propose un «code de déontologie» à l’Hémicycle à l’image de ce qui se fait en France. «Nous n’avons pas d’organe d’autorégulation. Ni la Cour des comptes, ni l’Inspection générale d’Etat (IGE) ne viennent auditer l’Assemblée nationale», regrette le président du groupe Bby.