Les députés sonnent la mobilisation
ADOPTION DE LA LOI SUR LE LITTORAL
Les agressions sur les côtes sénégalaises continuent de plus belle, faute de cadre normatif. Pour mettre fin à ces destructions aux conséquences incalculables, le Réseau des parlementaires pour la protection de l’environnement au Sénégal (REPES) a pris l’engagement de doter le Sénégal d’une loi allant dans ce sens, dans les plus brefs délais.
Le projet de loi sur le littoral est dans sa phase ultime. La nouvelle mouture a été présentée aux députés. L’objectif est de faire en sorte qu’ils se l’approprient et puissent y apporter les amendements nécessaires. C’était ce mardi 09 juillet, au cours d’une journée d’information, dernière étape d’un long processus qui a débuté en 2009, c’est-à-dire sous l’ancienne législature. La rencontre a réuni la Direction de l’environnement et des établissements classés, l’Union mondiale pour la nature (UICN), le Réseau des journalistes pour le littoral et, naturellement, les députés membres du Repes. Après la rencontre, tout le monde se demande pourquoi le « projet de loi connaît des blocages ».
Cela, d’autant plus que le texte se veut « consensuel » avec un contenu conforme aux attentes des acteurs et usagers du littoral qui ont été impliqués du début à la fin. Qui plus est, le projet de loi a subi avec succès toute la procédure de la validation jusqu’à la Cour suprême. Il ne reste plus qu’à l’adopter en Conseil des ministres, avant son envoi devant la représentation nationale pour son examen et son adoption. Chez les députés membres du Réseau des parlementaires pour la protection de l’environnement au Sénégal, on se mobilise déjà pour faire passer ce projet de loi comme lettre à la poste.
En attendant, le littoral continue de subir chaque jour des agressions multiples, qui sont autant de menaces pour la survie des populations et la préservation des infrastructures. « La loi protège une personne, la loi sur le littoral doit protéger un écosystème qui est de plus en plus victime d’agressions. Si on ne fait rien, la situation va être irréversible. On veut que les députés se rendent compte de la situation », a expliqué Racine Kane, représentant de l’Union mondiale pour la nature (UICN).
Le président du REPES, le député Lamine Thiam du Parti démocratique sénégalais (Pds) voit dans cette nouvelle mouture « un corpus juridique exigeant et novateur, qui va désormais régir le littoral ». Pour lui, « l’originalité du projet de loi tient au fait que nous avons tenu à concilier aménagement, protection et mise en valeur ».« Le projet de loi, a-t-il soutenu, a ainsi fixé les principes fondamentaux tels que le développement durable, le principe du pollueur-payeur, le principe de précaution, la réparation des dommages causés par l’environnement, la transparence dans la gouvernance du littéral, la gestion participative dans l’élaboration et dans la mise en œuvre des décisions de gestion du littéral et ses composantes ».
De l’avis de l’un des rédacteurs de ce projet de loi, Me Mamadou Diobé Guèye, avocat spécialisé sur les questions environnementales, l’équilibre entre la nécessaire protection et l’indispensable exploitation du littoral est pris en compte dans ce texte. « C’est une loi qui veut relever le défi d’une gestion intégrée du lit- toral. Il s’agit d’assurer l’équilibre entre son exploitation et sa protection, pour que le littoral conserve son intégrité et ses fonctions essentielles de lieu de résidence, de production et de divertissement », a-t-il soutenu. Me Guèye a suggéré aux députés de ne pas apporter des modifications aux cinquante-deux articles du texte. C’est, a-t-il dit, éviter qu’il fasse encore tout le circuit administratif jusqu’au secrétariat général du gouvernement, où il n’attend que de figurer dans le rôle pour son adoption en conseil des ministres.
LOBBYS DES RICHES
Pour Khady Dramé, « ce sera un ouf de soulagement pour les populations si le projet de loi est adopté par l’Assemblée nationale ». Cette députée fonde sa conviction sur le fait que le texte prend en compte en même temps la gestion du domaine public. L’attention des représentants du peuple a porté également sur la systématisation de l’évaluation des impacts environnementaux avant la réalisation de tout projet. Ce qui, à leurs yeux, « va réduire les agressions de toutes parts sur le littoral ». D’ailleurs, cette disposition existait déjà dans la loi 1976 portant sur le domaine national. Cependant, certains élus craignent que l’Etat revienne sur certaines dépositions du texte, ce qui va remettre en cause tout le travail abattu jusqu’ici dans ce domaine.
D’autres députés comme Maguette Diokh de Mbour et Abdoulaye Ndiaye de Grand-Yoff ont estimé qu’il y a un travail à faire au niveau des citoyens, en vue de leur faire prendre con- science de la nécessité de protéger le littoral. Un avis largement partagé par le président du Réseau des journalistes sur le littoral, par ailleurs directeur de publication de la Gazette, Pape Amadou Fall. D’après lui, il y a un voile d’ignorance qui entoure le projet de loi sur le littoral. Le retard de son adoption serait lié en partie à cela.
« Le jour où les populations sauront que ce sont des magouilles et des combines qui retardent le vote de la loi, depuis 2009, elles seront dehors pour réclamer son adoption sans délai aux députés », a-t-il souligné. Sa conviction est que les blocages pour l’adoption de la loi sont l’œuvre des lobbyings de riches, qui font tout pour retarder l’échéance. Il préconise d’ailleurs l’organisation de séances de sensibilisation avec les populations, pour les informer du contenu du texte. « Le Sénégal vous attend », a-t-il lancé aux députés, sourire au coin.
RETROACTIVITE ?
Par contre, des divergences de vues sont apparues sur la question de la rétroactivité ou non de la loi, au sujet de certaines constructions qui sont déjà sur le littoral. « La loi devait être rétroactive sur certains points. Certaines infrastructures qui ont été réalisées, mais qui portent préjudice aux populations, devaient être détruites », réclame le député Abdoulaye Ndiaye. A sa suite, Mamadou Diobé Guèye est monté au créneau pour calmer les débats. Directeur adjoint de l’environnement, Ernest Dione de renchérir : « La solution n’est pas de détruire ce qui est déjà construit sur le littoral. Le mieux serait de continuer à les laisser là, mais de leur infliger de fortes amendes, qui vont servir ailleurs ».
Selon Aminata Ndiaye, experte en conflits, le seul moyen d’agir contre les menaces sur le lit- toral est la loi elle-même. « On ne peut pas continuer à ne rien faire, alors que notre littoral se dégrade. On doit l’adopter si l’on veut développer l’économie du pays », appelle-t-elle de ses vœux. Toutefois, des députés comme Rama Diatta de l’Alliance pour la République (APR) ont déploré le fait qu’on vote des lois sans pour autant les appliquer. Elle n’a pas manqué de plaider pour « des actions concrètes » contre l’avancée de la mer, qui menace de faire disparaître certaines îles en Casamance.
« Il faut que notre littoral retrouve une figure de littoral. Pour cela, il faut corriger la faiblesse de la réglementation, en adoptant la loi sur le littoral », a plaidé le Dr Amadou Diallo, juriste spécialisé en droit de l’environnement à l’Ucad. La loi prévoit également la création de l’Office national du littoral (ONL), une structure chargée de la gestion du littoral.