LES ENJEUX D’UN COME-BACK
WADE ANNONCÉ À DAKAR MERCREDI PROCHAIN
«Mon cœur fut déchiré, mais mon âme resta inébranlable. Je ne consultai que l'intérêt de la patrie, je m'exilai sur un rocher au milieu des mers. Ma vie vous était et devait encore vous être utile.» Ainsi s’était prononcé Napoléon, le 1er mars 1815, lors de son débarquement à Golfe-Juan à la suite son premier exil sur l’Ile d’Elbe.
Abdoulaye Wade, tel celui que Victor Hugo appelle le «Prométhée moderne», va opérer un come-back sous les mêmes allures même si son âge ne lui permet plus d’être aussi dynamique sur le champ politique qu’il a pu l’être au cours des années de braises des décennies 80 et 90.
Du départ humiliant du Président déchu au retour triomphal du rédempteur, le retour d’Abdoulaye Wade présente, pour les libéraux, beaucoup d’intérêts politiques et stratégiques pour la reconquête du champ politique perdu.
Le 25 mars 2012, Abdoulaye Wade a chuté de son piédestal, a connu l’épreuve de la solitude dans son exil français, mais a toujours considéré qu’il est l’homme providentiel dans la situation actuelle du Sénégal.
En attestent ses interviews où, sans arrêt, il se plaint du fait que les Sénégalais ne lui ont pas permis de terminer ses chantiers pharaoniques. Si son prédécesseur Abdou Diouf, après sa chute du 19 mars 2000, s’est abstenu de toute posture ou action politique nationale, il n’en est pas de même pour Wade. L’animal politique qui dort en lui ne mourra jamais.
TEL LE CHRIST SAUVEUR D’UN SOPI DÉLIQUESCENT
Son retour flamboyant au pays a pour but essentiellement de le faire passer de l’ombre de la défaite électorale à la lumière de la réhabilitation. Après deux années d’errance en France et dans les pays du Golfe, mais aussi dans quelques pays africains, voilà l’ex-président de la République qui fait un retour au bercail pour retrouver le Sénégal, pays qu’il a dirigé pendant 12 ans.
Ce retour au pays natal suscite un intérêt particulier dans les chaumières et les chapelles politiques. Déjà, c’est l’effervescence au sein du Pds (Parti démocratique sénégalais) où le reste de la troupe libérale, complètement érodé par les nombreux départs et mouvements politico-citoyens qui ont poussé en son sein, s’active pour accueillir le Christ sauveur d’un «Sopi» déliquescent, en perte de projet politique et de discours idéologique encore accrocheur.
Au même moment, du côté de certains responsables du pouvoir en place, la méfiance et l’affolement semblent être de mise. Et ce même si ces mêmes responsables feignent l’indifférence.
Si Seydou Guèye, le secrétaire général du gouvernement, est intervenu dans les médias dès l’annonce de la nouvelle sur les antennes de la RFM, pour dire que la venue de Wade ne les ébranle pas, d’une façon subliminale, il exprime une certaine crainte quant au retour au bercail du libéral en chef.
Si on replonge dans l’histoire politique du Sénégal, les retours d’Abdoulaye Wade lorsqu’il était l’opposant du Président Abdou Diouf ont toujours revêtu un cachet populaire mobilisateur. Bien calculés et ajustés selon le degré qu’affichait la température populaire, les retours populaires du «Pape du Sopi» ont été traumatisants pour l’alors président Abdou Diouf.
Pour cause, Wade mobilisait les foules et chamboulait toute la République. En bon politicien, il savait mesurer dans la rue le degré de sa popularité pendant les moments idoines. Et ce même si cette popularité ne se traduisait pas très souvent en termes de suffrages dans les urnes à cause des fraudes massives que la machine électorale du régime socialiste opérait à chaque scrutin. Du moins, cette popularité avait le mérite de constituer un contre-pouvoir, un levier d’équilibrage par rapport au régime d’alors.
Le pouvoir du Président Abdou Diouf, sous ajustement structurel dans les années 80, en a vu de toutes les couleurs du fait de l’opposant Abdoulaye Wade qui avait l’art et l’ingéniosité de chauffer les rues avec ses jeunes loups : Ousmane Ngom, Idrissa Seck, Abdoulaye Faye, le défunt Boubacar Sall et Jean Paul Dias.
L’actuel président de la République, à l’époque de la bataille pour le renforcement de la démocratie, était encore un illustre inconnu qui militait dans le parti d’extrême-gauche Aj/Pads dirigé par Landing Savané. Ces remous récurrents avaient finalement contraint le pouvoir socialiste à aménager des plages de dialogue avec l’opposition libérale et ses alliés de la gauche communiste jusqu’à aboutir à un gouvernement de majorité présidentielle élargie où Abdoulaye Wade et alliés siégeaient au Conseil des ministres.
Ils ont aussi participé à l’élaboration du code électoral consensuel de 1992. Après des entrées et sorties de différents gouvernements d’Abdou Diouf, Wade finit par s’exiler de nouveau en France après les législatives de 1998. Comme on l’a exprimé supra, en bon stratège politique, le leader du Sopi opéra le 27 octobre 1999, soit après un an d’absence, son dernier grand retour au pays avant la prise de la Bastille sénégalaise de l’an 2000.
L’accueil chaleureux par des centaines de milliers de Sénégalais surexcités fut exceptionnel. De 16h20 à 19h, ce jour-là, et sur une distance d’une dizaine de kilomètres qui sépare l’aéroport de Dakar du siège du Pds à Colobane, l’opposant historique de Diouf baigna dans une marée humaine indescriptible qui allait lui déléguer les destinées de la nation cinq mois plus tard.
Aujourd’hui que Wade n’est plus au pouvoir, ce retour-ci sera-t-il comme ceux du temps de son opposition avant 2000 ? Une chose est sûre, la bête politique Abdoulaye Wade a bien mûri l’opportunité de la date de son retour. Combien de fois son entourage a-t-il annoncé intentionnellement des dates fallacieuses sur sa venue, histoire de mesurer un peu encore sa popularité et mettre la pression sur le pouvoir ?
En décembre 2013, il est venu jusqu’à Abidjan pour participer à un colloque sur invitation d’une association de juristes africains. Il en avait profité pour dénoncer le caractère «arbitraire», selon lui, de l’incarcération de son fils Karim Wade. Enfonçant le clou, il avait martelé : «Etre fils de Président est un délit en Afrique. On l'a (Karim, Ndlr) accusé d'avoir détourné 700 milliards, une campagne internationale est lancée contre lui, mais on n’a trouvé de l’argent que dans une seule banque. Et cet argent, c’est le mien. Je vais le récupérer un jour.»
A l’époque, il avait fait la une des journaux depuis les bords de la lagune Ébrié. Mais, par stratégie et, sans doute, prudence politique, il n’avait pas porté personnellement le combat pour l’élargissement de son fils Karim. Lequel ne jouissait pas encore d’une estime absolutoire chez la plupart des Sénégalais.
FIN TACTICIEN ET BON STRATÈGE AVEC LES MÉDIAS
Aujourd’hui, Wade utilise la même tactique pour occuper les médias et l’actualité au détriment de son tombeur du 25 mars 2012 en annonçant sa venue le 23 avril prochain, soit six jours après la fin de la deuxième mise en demeure de son fils en détention provisoire depuis le 17 avril 2013. Au moment où les Sénégalais ne sont pas encore satisfaits par l’actuel pouvoir encore fragile et cherchant toujours son chemin, Wade, comme une sorte de porteur d’espoirs, arrivera en plein jour pour prendre un grand bain de foule que ses militants lui préparent.
Une éventuelle réussite populaire de la venue de celui que les Sénégalais ont presque chassé et pourchassé le 25 mars 2012 serait un signal fort à l’endroit du régime du Président Macky Sall qui vient de boucler ses deux ans au pouvoir sans avoir réalisé grand-chose sur les plans économique et politique. Seules quelques satisfactions ont été notées au plan social, notamment avec la baisse des prix du loyer et l’abaissement des impôts sur les salaires.
Et si après 23 mois d’absence du territoire, le vieil opposant et président déchu parvenait à redresser sa cote de popularité au point de reléguer dans les bas-fonds celle du Président Macky Sall, il y aura de quoi s’inquiéter, voire s’alarmer, du côté du pouvoir qui s’enorgueillit encore de ses maigres broutilles-réalisations. Le raz-de-marée populaire annoncé serait en tout cas un coup de pouce pour le Pds en direction des élections locales qui seront la première mi-temps du match électoral présidentiel de 2017 (à moins que les manœuvres pour maintenir le mandat présidentiel à sept ans n’aboutissent).
Certes, Abdoulaye Wade, qui a blanchi sous le harnais de l’opposition frontale au régime socialiste, n’a plus les potentialités physiques pour descendre sur le terrain, galvaniser et haranguer les foules, mais il conserve toute sa capacité de nuisance médiatique qui risque de faire mal au pouvoir en place. Il s’échinera à occuper l’espace médiatique avec des déclarations-chocs et des discours provocateurs capables de faire réagir systématiquement les communicants du président Sall.
Autant dire qu’on est parti pour une bataille médiatique sans précédent avec la venue de Wade. Si le président Abdou Diouf, après sa défaite électorale de 2000, a évité toute action qui gênerait le pouvoir de son successeur et en gardant le silence sur la gestion du pays, en s’abstenant aussi de retour prématuré ou médiatisé au Sénégal, il n’en sera pas de même pour Me Abdoulaye Wade qui, n’ayant jamais oublié sa déconvenue de mars 2012, rêve de toute opportunité pour en découdre avec son tombeur.
Il en sera tout bénéfique pour le Pds léthargique qui a besoin d’un nouvel élan mobilisateur et d’une nouvelle oxygénation de ses organes politiques statutaires afin d’engager en toute confiance la bataille électorale de juin prochain…