LES FEMMES NE VEULENT PLUS "JOUER LES POM-POM GIRLS"
ELECTIONS AU NIGERIA
Lagos, 18 mars 2015 (AFP) - "Nous avons assez joué les pom-pom girls! Les femmes ne peuvent pas continuer à n'être que des supportrices dans ce pays!", s'écrie Remi Sonaiya.
Cette universitaire est la première candidate à l'élection présidentielle au Nigeria, qui aura lieu le 28 mars. La scène se passe dans une salle chic de Lagos, la capitale économique, devant un parterre de femmes d'affaires venues discuter de la place des femmes dans le débat politique, à l'initiative du très select "Cosmopolitan Women's club".
Les deux principaux candidats au poste de gouverneur de l'Etat de Lagos, dont l'élection doit avoir lieu le 11 avril, se sont succédé sur l'estrade pour convaincre ces décideuses de voter pour eux, en multipliant les promesses, de l'instauration d'un quota de 35% de femmes dans l'équipe dirigeante de l'Etat à des mesures pour l'éducation des jeunes filles.
Quand Mme Sonaiya traverse la salle pour prendre la parole, elle est ovationnée pendant plusieurs minutes. Si les femmes sont très nombreuses à la tête de grandes entreprises et à des postes clés dans l'administration, la politique reste un monde d'hommes au Nigeria, dans lequel bien peu d'entre elles osent s'aventurer.
Le président Goodluck Jonathan s'est certes entouré de deux femmes à la tête de ministères stratégiques: les finances pour l'ancienne directrice générale adjointe de la Banque mondiale, Ngozi Okonjo-Iweala, et le pétrole pour Diezani Alison-Madueke, première femme à accéder à la présidence de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep).
D'autres hauts postes de l'administration ont été confiés à des femmes à poigne, comme Arunma Oteh. Elle fut à la tête de la Commission de régulation des marchés, d'où elle a tenté, non sans mal, de lutter contre la corruption, endémique dans la première puissance économique d'Afrique.
Mais, selon un rapport du British Council datant de 2012, seulement 9% des candidats aux dernières législatives étaient des femmes. Et ce n'est guère mieux en 2015. Le Nigeria n'est pas un cas isolé en Afrique, qui ne compte que deux présidentes en exercice:
la Libérienne Ellen Johnson Sirleaf et Catherine Samba-Panza, présidente de la transition en Centrafrique. Au Nigeria, les hommes "ont dicté les règles: ils nous ont fait comprendre que c'était un monde dégoûtant, que la politique n'était pas pour les femmes. (...)
Les femmes ont donc pris peur", explique l'avocate Ebere Ifendu, à la tête de l'ONG locale "Forum pour les femmes en politique".
- Ni 'parrain' ni jet privé -
Carrure imposante et franc-parler, Remi Sonaiya ne s'est pas découragée. Cette professeure de français à la retraite, âgée de 60 ans, n'est pas seulement la première et l'unique femme candidate à la présidentielle.
Elle et son parti, KOWA, veulent prouver qu'il est possible de faire campagne sans "parrain" ni jet privé, dans un pays où les hommes politiques ont coutume de dépenser des fortunes dans des meetings gigantesques et de distribuer les cadeaux.
"La politique a mauvaise réputation au Nigeria. Encore récemment, un gouverneur a déclaré qu'on ne pouvait pas faire de politique sans être un menteur", déplore-t-elle lors d'un entretien dans le lobby d'un hôtel de Lagos.
Petit budget et équipe de campagne réduite, Mme Sonaiya voyage donc à travers le Nigeria --en classe économique-- pour transmettre les valeurs de son parti, "l'honnêteté, la vérité, l'efficacité, le dur labeur, la transparence", lors de réunions de quartier.
Avec ses 10 à 15.000 membres, le KOWA fait figure de poids-plume par rapport aux énormes machines électorales qui oeuvrent pour le président-candidat Jonathan et son principal rival, l'ancien général Muhammadu Buhari.
Mais, pour les femmes d'affaires du "Cosmopolitan Women's Club", Mme Sonaiya aura eu le mérite de faire entendre une voix différente. "La plupart des femmes continuent à voir la politique comme un monde de coups bas...
On a besoin que des femmes de qualité s'y impliquent", estime Amodugbe Okanlawon, une dirigeante d'entreprise de 54 ans. Pour Ebere Ifendu, dont l'ONG milite pour la mise en place de quotas afin de faciliter l'accès des femmes à des fonctions électives, des étapes restent à franchir avant qu'une femme puisse diriger le pays le plus peuplé d'Afrique (173 millions d'habitants).
"Si nous arrivons à rompre ce cycle infernal et à élire une femme gouverneure à la tête d'un Etat au Nigeria en 2015, dit-elle, je vous assure qu'assez rapidement nous pourrons avoir une femme vice-présidente ou même présidente" du pays.