Les indiens empruntent la VDM
POUR CONTOURNER L'INTERDICTION D'EXPORTER LA FERRAILLE
Au Sénégal la nature a d'autant plus horreur du vide qu'en l'absence d'un décret d'application de la mesure qui frappe l'exportation de la ferraille, les opérateurs indiens s'engouffrent de nouveau dans la brèche et continuent de convoyer la matière première. Le modus operandi a de quoi faire frémir le protocole d'accord signé le 28 mars dernier entre le gouvernement, la Société métallurgique d'Afrique (Someta) et le Regroupement des opérateurs de la ferraille du Sénégal (ROFS).
Et de deux ! Deux fois annoncée, deux fois transgressée. On peut bien annoncer une mesure mais derrière, s’il n’y a aucun acte rendant obligatoire son application… Les mesures sans effet prises par le gouvernement grossissent davantage sous le prisme du secteur de la ferraille. L’accord tripartite signé le jeudi 28 mars 2013 entre le ministère du Commerce, de l’industrie et du secteur informel, la Société métallurgique (Someta) et le Regroupement des opérateurs de la ferraille du Sénégal (ROFS), visant à structurer le secteur et assurer l’approvisionnement de l’industrie locale, ne semble pas émouvoir les partisans de l’exportation de la matière première. Derrière les courtiers et autres brocanteurs réfractaires à la mesure d’interdiction, il y a les indiens et leur puissance financière qui continuent à charger des containers remplis de produits ferreux et non ferreux, destination export. C’est le cas dans ce « Pack ferrailles », un grand dépôt sis à Dalifort qui appartient à des indiens.
Ici, l’activité se déroule au pas de charge pour remplir les deux grands containers qui attendent. Il faut plutôt slalomer pour se frayer un chemin dans ces tas de ferrailles de toutes sortes, pour arriver dans un bureau où nous reçoit un sympathique Ibrahima, un des superviseurs.
Le patron indien ne parle pas la langue de Molière encore moins celle de Kocc, alors Ibrahima nous campe le décor et annonce tout de suite la couleur : «Le protocole ne nous engage pas, ils ont fait ce qui les arrange, eux, mais nous, ne sommes pas d’accord !» A la question de savoir pourquoi malgré la mesure d’interdiction, eux continuent à exporter la ferraille, Ibrahima lâche un argument massue : « Personne ne nous a rien notifié dans ce sens, ils (le gouvernement) ont annoncé une mesure mais sans plus, pourtant ce dépôt n’a pas été ouvert ici à l’insu des autorités…. ».
Un ange passe pendant que le patron indien qui est venu entretemps nous rejoindre, approuve par un sourire estampillé « merci d’être passé » tout en se tournant vers ses ouvriers pour superviser les chargements.
Le message est capté et le même slalom nous conduit dehors sous le regard inquisiteur des ouvriers…
Voie De contournement par le Mali
Plus loin, le « Garage Bada Lo » sis à la cité Hacienda, ne paye pas de mine. C’est en tout cas ici qu’un autre opérateur indien a installé ses quartiers protégés par un mur très haut qui enserre un énorme portail d’un rouge qui a «démisssionné». Pas besoin de taper ; comme par miracle, le portail s’ouvre grand soudainement pour laisser sortir un gros camion, laissant apercevoir le patron du dépôt. Un indien bon teint qui ne connaît pas Molière et qui, dans la langue de Shakespeare, répond gentiment : « No comment ! » Non pas pour nous envoyer circuler, mais pour dire « Nous ne commentons pas les décisions du gouvernement. » Mais alors, ce camion, ce gros container en chargement-là et, cet autre camion aux couleurs vert et blanc là-bas ?… Le gentilhomme daigne alors lâcher : «Que je sache la mesure d’interdiction concerne le produit domestique… ». En langage décodé, cela signifie que la ferraille qui est en chargement au fond du dépôt provient d’ailleurs, du Mali précisément, d’où le camion aux couleurs vert et blanc.
Voila donc la parade que les indiens ont trouvé pour contourner la mesure d’interdiction de sortir la ferraille du Sénégal : la VDM (Voie De contournement par le Mali).
Vérification faite, le modus operandi est simple et passe par une « Déclaration TRIE » ; Le Trie est un régime institué entre les Etats membres de la Cedeao et qui permet le transport par route de marchandises en suspension des droits, taxes et prohibitions, d’un bureau de douane d’un Etat Membre donné à un bureau de douane d’un autre Etat Membre. Aussi, la Déclaration TRIE est un document douanier unique et sans rupture de charge qui permet de déclarer une marchandise en transit.
Dans le cas d’espèce, le bureau de départ est celui de Kayes et les opérateurs indiens, par l’intermédiaire de leurs courtiers préfinancés, achèteraient tout bonnement cette «Déclaration TRIE» qui leur permet ainsi, une fois remplie, de la présenter avec la marchandise pourtant chargée à partir de Dakar, à l’export. Et le tour est joué.
Il va sans dire que cette opération frauduleuse n’est possible qu’avec une puissance financière comme celui dont disposent les indiens qui obtiennent ainsi forcément de la complicité au niveau de certains bureau de douane. D’autant plus qu’à l’article 4 de la convention instituant le TRIE, à l’alinéa 7.4, il est stipulé que « Sauf soupçon d'abus, les autorités douanières des Etats membres respectent les scellements apposés au départ ».
Aussi, que ce soit à Pikine Dépôt Marko ; Bel air ; Dépôt Km 4,5 ; Benex ; VDN ; Marché Guediawaye ; Parking Malien Km 18 ; Mbao près du rond point de l’autoroute à Péage ; Dépôts Usine Darling ; ou au Croisement Camberene – technopole (la liste n’est pas exhaustive); Ce ne sont pas moins de 17 sites où des containers seraient chargés frauduleusement de ferrailles destinées à l’export.
Le même constat a d’ailleurs été fait par un huissier de justice qui s’est rendu sur les lieux notamment sur le site dénommé Pack Ferrailles sis à Colobane sous le pont, pour découvrir deux camions porte-char sur lesquels étaient montés des conteneurs entrain d’être chargés de ferrailles par des manœuvres. Ces derniers, sur interpellation, ont refusé de décliner toute identité encore moins donné le nom des commanditaires du chargement.
Au cœur du business
On le voit, les enjeux de la ferraille sont devenus énormes et à travers la signature du protocole d’accord tripartite, le 28 mars denier, l’état a l’heur d’entamer un processus de normalisation et de formalisation nécessaires pour ce secteur d’activé, en vue de préserver l’industrie locale et optimiser ses recettes fiscales et douanières. Sauf que cette volonté, jusqu’ici, semble rester sur le papier et les déclarations. Surtout si l’on considère que l’Etat n’a fait que confirmer la mesure d’interdiction de sortir la ferraille mais comme pour la première fois alors que El Hadj Malick Gackou était en charge du secteur, il n’y a toujours pas de décret d’application. Quand on sait la manne financière qui circule dans ce business de la ferraille, on comprend dès lors que certains d’entre eux n’aient pas l’intention de lâcher le bébé avec l’eau du bain. Pour donner une idée de ce business très lucratif, les chiffres dont nous disposons renseignent 50 containers de ferrailles chargés journalièrement dans tous les points de collecte du Sénégal ; 1250 Containers de ferraille soient environ 25 000 tonnes de ferraille seraient exportés mensuellement ; Environ 3 250 000 Francs de revenu mensuel pour les collecteurs sénégalais…
Un business détenu à 95% par les acteurs du Rofs, des professionnels qui auraient investi des centaines de millions de FCfa et emploient des centaines de personnes, payant des taxes et autres droits et, qui font face à la première strate qui, elle, se trouve dans l’informel donc hors de contrôle de l’état, répondant allègrement aux sirènes trébuchantes du lobby indien. Celui-ci, il faut le dire, a bel et bien contribué à la valorisation de ce qu’on considérait comme de « simples déchets », mais qui aujourd’hui, n’en a que faire de la valeur ajoutée de l’industrie locale naissante. La problématique est simple, faut-il permettre d’approvisionner les industries asiatiques au détriment de la notre qui se bâttit sur la matière première?