LES JOUES DE L'UN, LE VENTRE DE L'AUTRE
La lutte est pourrie par le dopage. Et s'il s'agit de traquer le mal sous toutes ses formes, il sera difficile de voir un lutteur passer à travers le tamis
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Les singes devraient envier à Guy Gui ses joues. Cela leur ferait de belles poches pour emmagasiner de la bouffe. De même, l'appendice ventral qui coulait devant Balla Gaye, lors de son combat contre Eumeu Sène, a de quoi rendre jaloux les kangourous. Plus qu'un bébé, ces bipèdes pourraient se payer des jumeaux sans avoir des difficultés à les loger. Les joues du premier valent un frigo deux portes et le bidon du second offre assez d'espace pour un appartement F3.
Tout cela paraît hors normes et ne peut relever que d'un enrichissement (corporel) illicite. D'ailleurs, les accusations de dopage ne sont plus voilées, remettant à jour ce qui n'est secret que pour les déficients visuels. Devant ces soupçons de biens mal acquis, la Crei de la lutte a lancé son organe de recherche, poursuite et répression. Elle s'appelle Office national antidopage au Sénégal (Onas).
Ça va rigoler ferme, les gars ! Et puis, Onas, ça rappelle un office qui fait dans les eaux usées. Ça ne s'invente vraiment pas…
A la lecture du Populaire d'hier, on apprend que cette instance dirigée par Pr. Fallou Cissé va agir à l'improviste. Elle peut surgir en plein milieu d'une séance d'entrainement (avec des gardes du corps ?) ou débarquer sans crier gare dans les maisons des lutteurs (l'ancienne mode des maisons à deux portes va renaître). Ça va vraiment rigoler ferme. On en entendra des joyeusetés quand les preneurs de sang ou d'urine vont commencer à se promener, avec leurs seringues et éprouvettes, pour faire le tour des écuries.
Personne ne peut en douter : la lutte est pourrie par le dopage. Et s'il s'agit de traquer le mal sous toutes ses formes, il sera difficile de voir un lutteur passer à travers le tamis. Car il faut être d'une candeur de nourrisson pour penser que dans cette discipline sportive, qui est la seule au monde où les combattants se cognent à poings nus, dégageant des forces propres à assommer un rhinocéros, il est possible de tout encaisser en restant soi-même.
Le phénomène n'est pas nouveau. Il a juste pris de l'ampleur à partir du moment où le poids du lutteur a commencé à se mesurer non plus en talent, mais en kilos. Quand il suffit désormais de ressembler à un "Michelin" pour s'offrir d'office une place dans l'ascenseur vers les sommets.
Déjà, au temps de la Rome antique où les athlètes savaient qu'un corps ne se sur-développait pas tout seul, les lanceurs de poids se nourrissaient de viande de taureau, les sauteurs avaient pour menu de la chèvre, alors que les lutteurs se mettaient au porc. Aujourd'hui, le bétail est juste un complément alimentaire. La potion magique est concentrée dans des comprimés ou transfusée avec des seringues. Ainsi la triche a pris des proportions massives pour devenir un péril en soi.
Naguère, les dieux de l'arène sénégalaise grossissaient avec du couscous plein la panse, plutôt qu'avec des comprimés et des potions magiques, mais le dopage était une réalité. La flore africaine est pleine de ces plantes hallucinogènes qu'on a fumées et mastiquées à volonté dans l'arène. Cela ne suffisait pas au courage, mais cela aidait à la témérité. Certains se jetaient même à pieds joints dans le cannabis pour s'offrir l'insouciance qui enlève la pression, réduit à zéro la tension nerveuse et installe dans cet état d'euphorie qui fait planer entre ciel et terre. Parfois, cela faisait même partie de… la préparation mystique.
Aujourd'hui, on s'auto-détruit. Parler d'esprit sain dans un corps est une blague dans l'arène. On a plutôt affaire à des mentalités perverties, pour des physiques trafiqués. Le phénomène atteint des proportions telles que ne rien dire c'est s'installer dans une situation de non-assistance à personnes en danger.
Le dopage n'est pas seulement une cause de vieillesse prématurée, d'impuissance sexuelle à court terme ou de maladie dégénérative à long terme. Il tue tout simplement. Cela s'est vu dans nombre de disciplines comme le cyclisme. Et si la mort subite qui se répand sur les terrains peut avoir des origines naturelles, le dopage n'est pas toujours absent de ces drames.
Le pire, c'est que les voleurs, comme les tricheurs, ont toujours une longueur d'avance sur la patrouille. Armstrong a aligné sept Tours de France entre 1999 et 2005, subjugué le monde avec "sa" ténacité d'un miraculé du cancer, avant qu'on ne découvre que le cycliste américain était une pharmacie ambulante. Et pourtant on ne compte pas le nombre de fois où il est passé entre les mains des testeurs.
Les lutteurs peuvent donc se rendre aux Etats-Unis, se doper à leur guise, gonfler à l'envi et ne rentrer que quand toute trace de produit aura disparu de leur corps. Ce n'est pas à New York ou dans l'Oklahoma que les pisteurs du Pr. Fallou Cissé vont aller les trouver.
Mais le pire c'est quand les héros de l'arène commenceront à prendre la direction des pays de l'Est. Car de ce côté de l'Europe, il y a encore des "faiseurs de miracle" qui se promènent avec les archives de la Stasi, l'ex-ministère de la Sécurité d'Etat en Allemagne de l'Est. Ce fut un pays où le dopage était une idéologie. Quand certains sauront…