LES LIMITES DE L'OFNAC
DÉCLARATION DE PATRIMOINE
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L’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) est-elle l’instance la plus indiquée pour recevoir les déclarations de patrimoine des personnes assujetties ? Cette question, un spécialiste du droit que nous avons interrogé y répond par la négative. Selon ce professeur de droit, la déclaration de patrimoine ne peut pas faire l’objet d’une «enquête d’acquisition» de la part de l’Ofnac.
Le débat autour de la déclaration de patrimoine continue de plus belle. Et les commentaires et réactions ne manquent pas, surtout avec les récentes sorties de la Présidente de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac). Nafy Ngom, accusée par certains de faire du déballage et de manquer à l’obligation de réserve, du fait de ses révélations à propos de ses échanges avec certaines autorités assujetties à la déclaration de patrimoine.
Mais pour certains observateurs, la question est beaucoup plus complexe encore. Car c’est l’essence même du contenu du formulaire de déclaration de patrimoine qui pose problème. «L’objet de la déclaration de patrimoine, c’est d’éviter que des personnes occupant certaines fonctions publiques s’enrichissent au détriment de la communauté. Mais ce patrimoine, quand vous le déclarez, est-ce que ça doit faire l’objet d’une enquête d’acquisition ? C’est ça le problème», s’interroge un juriste.
Le risque que la confidentialité ne soit pas respectée
Pour ce professeur agrégé de droit, le constat, sur la base des informations contenues dans le formulaire de l’Ofnac, est qu’au Sénégal, «on fait une enquête d’acquisition sur certains biens. Donc, c’est peut-être la loi sénégalaise qui le permet, mais est-ce que les Sénégalais sont prêts à faire cela ? Et à supposer que l’on dise oui il faut le faire, est-ce que c’est à l’Ofnac de faire cette enquête. L’Ofnac, vu sa composition, vu les gens qui y sont et vu son positionnement institutionnel, n’est pas, de mon point de vue, bien armé ni tout à fait indiqué pour faire cette enquête d’acquisition».
Le spécialiste du droit est, en effet, d’avis que «dans un pays de séparation de pouvoir, l’Ofnac relevant de l’administration, donc de l’Exécutif, c’est aux juges, c’est-à-dire au Judiciaire, de faire ce travail. Et à ce moment-là, ils n’ont qu’à aller trouver la Crei ou un autre juge pour le faire». Poursuivant son analyse, il se demande «pourquoi on ne prévoit pas que la déclaration de patrimoine doit se faire sous scellé confiée peut-être à d’autres personnes. Et pourquoi pas un notaire, car les notaires ont l’habitude de garder des secrets. Même les services fiscaux qui reçoivent des déclarations d’impôts. Mais un organe qu’on vient de créer et qui est composé de gens de la fonction publique, de la société civile et du secteur privé, ce n’est pas sûr qu’ils aient l’habitude de garder des secrets. Et ça peut poser des problèmes».
La solution du placement sous scellés
La meilleure formule, dit ce spécialiste du droit, sera que la déclaration soit mise sous scellés, sans même que le président de l’Ofnac ne sache son contenu et qu’elle soit gardée jusqu’à la fin de la fonction de la personne assujettie. «Et en ce moment, on ouvre la déclaration à la fin de la fonction et s’il y a des variations, on appelle le concerné pour qu’il justifie. Et s’il se trouve qu’il a pris l’argent qu’on lui a confié pour avoir ces acquisitions, à ce moment, elle tombe sous le coup de la loi. Mais la manière dont on le présente aujourd’hui, pose véritablement problème», soutient-il.
Et d’ajouter : «Si par contre on fait la comparaison et qu’il n’y a aucune variation ou bien que les variations soient justifiées, il faudrait que cette déclaration, on la remette à la personne concernée sans aucun système d’archivage, et qu’elle parte avec. Parce qu’on ne devrait pas la garder au niveau de l’Ofnac à la cessation de la fonction. Parce qu’on a aujourd’hui un système dans lequel on fait tout pour que les données personnelles des individus ne puissent être utilisées à d’autres fins. Il y a même une loi au Sénégal sur la protection des données personnelles».
Se voulant formel, ce spécialiste du droit se dit convaincu, avec toutes les questions soulevées aujourd’hui, que «l’Ofnac, telle qu’elle est composée actuellement, ne doit pas recevoir de déclaration de patrimoine. Ou alors, si elle la reçoit, cela doit se faire juste comme système transitoire et on confie à quelqu’un de neutre ces déclarations sous scellé qui ne seront ouverts que le jour où la personne assujettie partira».
Les incongruités de la procédure
Pour ce professeur de droit, il ne fait aucun doute qu’il faut qu’on trouve un autre système. «Avec ce système-là, même si on veut lutter contre les dérives, il faudrait qu’on fasse attention à ne pas sacrifier des gens. Parce qu’il porte en lui-même des germes destructeurs qui vont à l’opposée de ce qu’on veut faire», lâche-t-il. Et il en veut pour preuve le fait qu’on demande au déclarant qui dit par exemple qu’il a deux maisons ou deux voitures, de dire comment il a fait pour les avoir, alors même que cela est antérieur à sa fonction nouvelle.
«Ça, c’est du voyeurisme. Parce que quelqu’un qui est nommé directeur et qui dit j’ai deux maisons et deux voitures. On ne peut lui demander comment il a eu ses biens. C’est seulement au moment où il quitte sa fonction qu’on peut lui dire que tu avais deux maisons et deux voitures, maintenant tu as trois ou quatre maisons, justifie leur origine. Or, tel n’est pas le cas avec le système actuel», s’inquiète-t-il en s’interrogeant sur le fait qu’on demande dans le formulaire aux assujettis de dire jusqu’à leur date de mariage. Autant de choses qui l’amènent à parler «d’incongruités».